1- Message adressé initialement à une vingtaine de personnes, rendu publique avec l’accord de son auteur.e :
« Bonjour à tous,
Je vous contacte car j’ai besoin d’aide. L’asso La Trame qui est censée m’accompagner dans ma situation précaire souhaite me mettre dans une position encore plus vulnérable.
Ils m’ont d’ors et déjà coupé les vivres brutalement et sans délai, je suis donc sans revenu depuis début mars, obligé de puiser dans mes économies et grappiller quelques sous ici et là.
De plus, ils veulent m’expulser de mon logement au 30 avril sans solution de relogement.
En bref, ils m’ont exclu de l’asso sans autre recours et sans m’avoir consulté. Les autres personnes suivies par l’asso courent le même risque : se voir couper les ressources de base du jour au lendemain.
Je veux faire de cette date du 30 avril une date symbolique. C’est pour ça que vous êtes tous invités le mercredi 30 avril à 16h, chez moi, au 13b rue du Treuil à Die pour manifester votre désaccord face à ce qu’il se passe à huit clos entre les murs des Petits Fourneaux (restaurant racheté par la trame où ils font travailler des migrants dans des conditions plus que douteuses).
Merci à vous et à bientôt pour plus de musique et joie de vivre j’espère !
Yassine »
2- quelques réactions :
La semaine passée, plusieurs personnes ont contacté l’association pour affirmer leur soutien et exiger de renoncer à ce que l’association appelle un "accompagnement vers la sortie" (sic).
La demande d’un engagement écrit de renoncer à l’expulsion à reçu une réponse négative "compte tenu des délais trop courts" pour prendre une décision formelle en ce sens...
Une lettre de soutien se terminait en affirmant que « nous restons aux côtés de Yassine, de la façon qu’il jugera nécessaire, pour l’aider à faire valoir ses droits. Et y compris à résister à une éventuelle tentative d’expulsion forcée. »
3- Contexte et commentaires :
Les conflits sont récurrents au sein de cette association. Une expulsion manu militari à déjà été mise en pratique il y a plus d’un an. Une menace d’expulsion similaire a déjà eu lieu cet hivers, finalement annulée au dernier moment suite aux réactions des personnes concernées, en même temps que démissionnait la majeure partie du conseil d’administration. Les salariés qui « gèrent » la structure changent peu.
Et de fait, ils en vivent : le budget (prévisionnel 2024) de l’asso, accessible sur son site internet, mentionne (sans chipoter sur les virgules) un total de 300 000 euros, dont 158 000 de "charge de personnel" : 156 000 pour les salariés, la moitié du budget de l’asso leur revient (ceux qui ont les bons papiers donc). Les « compagnons » (qui n’ont pas les bons papiers, et sont censés en être les principaux bénéficiaires) reçoivent 100 euros par semaine pour 30 heures de présence obligatoire, principalement en restauration, cela sans aucun droit, ni recours possible en cas de mésentente, puisque légalement « ce n’est pas du travail » mais du volontariat (à côté de quoi, les 15 ou 20 heures du RSA, c’est le grand luxe !).
Certes on leur concède un toit (renouvelable par trois mois, dixit le site internet). Une chambre chacun.e, certaines sans aucune autre ouverture que la porte, en compagnie de personnes non choisies : le minimum vital.
La réalité de la Trame n’a pas grand chose en commun avec ce qu’elle affiche et que beaucoup veulent croire. Il est temps d’en parler dans la vallée.
4- un texte antérieur pour approfondir la question :
possibilités de solidarités
Les personnes exilées sans les bons papiers sont exclues par la législation (elle-même, bien sûr, le fruit de nos politiques française et européenne) des droits (des privilèges) qu’ont les citoyens et les autres personnes ayant, par mesure d’exception, droit au séjour.
Leur est refusé :
• le droit au séjour légal (donc toutes les « protections » liées à la justice et à la police dans la vie courante)
• le droit au travail légal (donc toutes les protections liées au droit du travail)
• les aides sociales financières (toutes) sauf l’Aide Médicale d’État
Ces personnes sont fortement précarisées par le statut dans lequel les place l’administration.
Elles sont impactées par l’arbitraire et la violence de ce sous-sous-sous-statut.
Les conditions discriminatoires et inégalitaires de ce statut, et l’arbitraire et la violence qu’il produit sur les personnes qui y sont assignées, doivent impérativement être à la base de toute réflexion autour des possibilités de solidarités.
Le point de départ est de critiquer et combattre ce système oppressif et légalisé, et la façon dont il se diffuse et se matérialise dans nos manières collectives de faire et de penser. De le politiser, montrer qu’il est le fruit de décisions politiques qui ne sont pas inexorables, qu’elles découlent d’une certaine vision du monde, qu’on se doit de visibiliser, discuter et combattre.
Les dominations, et les rapports de pouvoir et d’oppression qu’elles engendrent, nous traversent toutes et tous, mais ce n’est pas une fatalité !
Faute d’une réflexion sur ces dominations, elles se reproduisent de façon quasiment systématique dans les rapports au sein des structures et collectifs qui prétendent ou veulent agir en solidarité avec les personnes qui n’ont pas de droit au séjour.
Et l’organisation et l’action de ces structures doivent découler de ces réflexions, et s’en nourrir dans la pratique.
Partant de là, il doit être exclu de
• se salarier, créer une structure dont ses responsables dépendent pour leur revenu
• créer une structure qui rende des comptes à la préfecture (garante du système oppressif)
• créer une structure qui dépende, en pratique et économiquement, des personnes qu’elle est sensée soutenir
• créer une structure qui induise des liens de subordination
• renforcer l’exposition à l’arbitraire des personnes concernées
• diminuer le pouvoir qu’ont les personnes concernées sur les différents aspects de leur vie
• empêcher par le dispositif en place l’accès aux possibilités d’indépendance qui pourraient se présenter
Il est absurde (abusif ?) de créer une structure avec des salariés qui eux ont les bons papiers, pour encadrer des personnes qui ne sont pas inaptes au travail. Une telle structure pourrait directement fournir du travail déclaré à des personnes sans droit au séjour, et du même coup gaspiller moins d’argent et d’énergie. Ou poser une égalité de conditions et de revenus entre toustes, indépendamment du statut de chacun.e.
Les bénéfices liés au travail sont ici réservés aux seuls « privilégiés », les autres étant maintenus dans un statut à part de « compagnonnes ». Les bénéfices du travail (même sans droit au séjour) et par rapport au travail octroyé aux compagnonnes sont notamment :
• une reconnaissance sociale
• la possibilité de louer un logement à soi
• possiblement y trouver du sens, sentiment de participation à la société
• meilleure estime de soi, plus grande légitimité
• possibilité de ne pas dépendre pour son logement de la même personne que pour son travail
• possibilité de ne pas dépendre pour ses démarches sociales, administratives et juridiques de la même personne que pour son travail
Le fait que les personnes exilées sans les bons papiers soient sans droit et ouvertement maltraitées par les politiques d’État, peut facilement faire virer ses responsables vers des comportements paternalistes et abusifs.
Le fait que la structure encadre les aspects de la vie des compagnonnes qui les rendent le plus dépendant, travail, logement, argent, accompagnement administratif et social peut facilement faire virer ses responsables vers des comportements paternalistes et abusifs.
Le fait que la structure dépende d’un agrément préfectoral,
que plusieurs de ses responsables et encadrants soient salariés,
que la structure et ces personnes dépendent de la participation adéquate et du travail des compagnonnes,
peut facilement les faire virer vers des comportements oppressifs, des mécaniques de flicage, contrôle, de menaces et de sanctions.
Ainsi :
Comment se négocient l’entrée et la sortie de la structure ?
Les conditions du contrat sont-elles fixes ? peuvent-elles évoluer et à quelles conditions ?
Quelle est la durée d’un contrat ?
Quelles sont les conditions pour y entrer et en sortir ?
Une compagnonne peut-elle chercher du travail ?
Que se passe-t-il si elle trouve un travail salarié, (dans toutes les différentes situations déclaré ou pas, quelques heures ou quelques mois, cdd et cdi, temps partiel, temps plein) ?
Quelles sont les critères d’exclusion de la structure ?
Quelles en sont les conditions et limites ? trêve hivernale, relogement, moyens de coercition en cas d’expulsion
Quelles sont les voies de recours ?
Quelle instance peut défendre une compagnonne dans ses droits par rapport à la structure ?
Existe t-il une instance et des mécanismes pour défendre une compagnonne dans ses droits par rapport à la structure ?
Comment s’imbriquent les conditions d’hébergement, et de l’allocation ? Le travail pour la structure est-il une condition ? Y en a-t-il d’autres ?
Les compagnonnes reçoivent-elles les contacts de différentes structures pouvant les informer sur leurs droits et les accompagner dans leurs démarches ?
Les compagnonnes trouvent-elles une indépendance de la structure si elles le souhaitent par rapport à leurs démarches concernant leur santé, leur démarche de régularisation du séjour ?
Quelles sont les droits et devoirs des compagnonnes par rapport à leur logement ?