« La 5G cristallise un paquet de colères »

dimanche 27 septembre 2020, par janek.

Avec la connexion surpuissante du prochain réseau de téléphonie mobile, on pourra dans les années qui viennent télécharger un film entier en quelques secondes. Un progrès ? La 5G ouvre surtout la porte au monde déshumanisé du tout connecté, où chaque objet qui nous entoure pourra jouer les mouchards et renseigner l’industrie sur le moindre de nos comportements. Ce qui n’a pas l’heur de plaire à tout le monde... Entretien avec Nicolas Bérard, journaliste au mensuel écologiste L’Âge de faire et auteur du livre-enquête 5G mon amour [1].

Qu’est-ce que la 5G ?

« C’est le réseau mobile de cinquième génération. Le premier date des années 1980, le deuxième des années 90. Dans les années 2000, on est passés à la 3G. C’est à cette époque-là que s’est produit le boum de la téléphonie mobile. La 4G, au début des années 2010, a correspondu à la généralisation des smartphones permettant de regarder des vidéos en ligne.

Si la 5G représente une rupture, c’est parce qu’il ne s’agit plus seulement de faire fonctionner nos téléphones, mais de connecter les objets qui nous entourent. Un document de la Commission européenne table sur 75 milliards d’objets connectés d’ici 2025. Cependant, rien ne dit que les industriels arriveront à mener à bien ce plan, parce que les gens ne semblent pas adhérer à ce modèle autant que prévu. »

Ce concept d’objets connectés, c’est ce qu’on appelle l’internet des objets, en anglais Internet of Things (IoT). Un univers très large, qui va du grille-pain à la brosse à dents électrique en passant par la voiture connectée : comme s’il s’agissait de toucher tous les domaines de la vie…

« Oui, les industriels projettent de connecter tous les objets qui font partie de notre quotidien. Violet, une entreprise française que je cite dans le bouquin, disait en 2008 qu’il y a environ 6 000 objets dans une maison et – à l’époque – seulement trois qui sont connectés : le téléphone, l’ordinateur et la télévision. L’objectif, grosso modo, est de connecter les 5 997 restants.

Il s’agit de construire un monde où tout est relié, où chaque marchandise peut être tracée du début à la fin. Ça s’inscrit aussi dans le projet smart city [2], avec des voitures autonomes censées fonctionner toutes seules, etc. C’est vraiment un projet global de société. »

Un projet qui a des aspects franchement inquiétants, notamment en termes de surveillance…
« Selon une étude réalisée par l’entreprise étatusienne Gartner, au cours des trois premières années du réseau 5G, 70 % des objets qui y seront connectés seront des caméras de vidéosurveillance [3] – l’idée étant évidemment d’y adjoindre, par la suite, la reconnaissance faciale.

Sans même passer par l’image, la surveillance sera omniprésente, dans le monde du travail par exemple. Avec les technologies actuelles, un chauffeur de poids lourd peut déjà être pisté en permanence : son patron peut savoir quel itinéraire il a pris, où et quand il fait une pause, etc. La 5G risque de généraliser ce phénomène : dès lors que tous les objets seront connectés, le moindre mouvement, la moindre action pourront être surveillés. Notre façon de vivre n’aura plus aucun secret pour l’industrie. »

Chose assez rare en ce qui concerne un « progrès » technique, un mouvement d’opposition à la 5G commence à émerger. Cette fronde rappelle celle suscitée par le compteur connecté Linky, au sujet duquel tu as également écrit un livre [4]. Comment expliquer ce surgissement ?

« Déjà, il y a un vrai problème démocratique. C’est ce qui s’est passé avec Linky : quand les gens ont vu débarquer ce compteur, ils ont commencé à se renseigner et en creusant, en se réunissant, en discutant, ils se sont rendu compte qu’un monde était en train de se mettre en place, impulsé par nos dirigeants et toute la technostructure. Ce monde, c’est en gros celui de la smart city : un vrai projet de société, au sujet duquel la population n’a jamais été concertée ni même informée. On l’a entraînée sur ce chemin sans lui laisser le choix, comme si c’était une marche naturelle. De ce constat est née une résistance, que la technostructure a tenté de faire taire, en passant en force : Enedis a sommé ses installateurs de poser coûte que coûte les Linky, quitte à casser les cadenas posés sur les anciens compteurs par les récalcitrants.

Aujourd’hui, beaucoup des collectifs anti-Linky sont passés à la lutte contre la 5G, qui est la continuité de ce compteur connecté : c’est encore et toujours le monde de la smart city. Or il y a réellement un ras-le-bol du numérique. Les gens n’ont plus le choix : pour déclarer ses impôts, il faut passer par internet ; réserver un billet de train sans connexion devient la croix et la bannière ; au niveau professionnel aussi, l’informatique prend de plus en plus de place. Dans pas mal d’entreprises, les employés perdent peu à peu la main sur ce qu’ils font. Leurs moindres faits et gestes pouvant être surveillés, ils perdent toute autonomie, toute capacité d’initiative, devenant de simples exécutants, des robots au service de leur boîte. »

Ce rejet de la 5G, c’est donc en fait celui du monde qui va avec ?

« La 5G cristallise un paquet de colères. Notamment celle dirigée contre le fait d’aller toujours plus vite. Il y a eu la 2G, la 3G : les gens ont adhéré. Avec la 4G, le consentement a continué parce qu’il peut être pratique de regarder de temps en temps une vidéo sur son portable. Mais là quand on essaye de les faire rêver en leur disant qu’avec la 5G, ça va aller encore plus vite, je crois que chez beaucoup de gens, ça ne prend plus, et même que cela suscite un dégoût, un rejet. Le confinement a peut-être encore renforcé ce sentiment- là : nous sommes nombreux à avoir déjà l’impression d’aller beaucoup trop vite.

Et puis il y a la déshumanisation. C’est l’exemple type du facteur dont la tournée est construite par un algorithme et qui n’a plus le droit de s’arrêter boire un café chez les gens à moins qu’ils aient payé pour ça [5]. Même quand il s’agit des impôts, tu ne peux quasiment plus jamais avoir quelqu’un en face de toi. Et c’est comme ça pour tout. Dans le meilleur des cas, tu peux appeler un numéro de téléphone – et encore, c’est souvent un répondeur automatique qui décroche ! Tout l’aspect humain est désormais remplacé par de l’informatique.

Au final, on peut tout à fait considérer que la 5G est un grand projet nuisible, inutile et imposé, comme l’a été l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. »

Un autre point particulièrement flippant, c’est l’aspect global de la 5G. Google, Amazon et Elon Musk (patron de Tesla) projettent d’installer des antennes-relais dans la stratosphère pour qu’il n’y ait plus un seul mètre carré de la planète qui reste hors réseau…

« On peut séparer deux projets distincts : le projet franco-français de 5G, qui a priori ne va toucher dans un premier temps que les grandes métropoles ; et ces projets encore plus fous qui arrivent des États-Unis. Ils consistent à envoyer des satellites dans l’espace pour mettre en place un réseau planétaire, de façon à ce que tout puisse être tracé et surveillé en permanence. Ce n’est pas de la science-fiction : Elon Musk a réellement obtenu l’autorisation [de la Commission fédérale étatsunienne des communications] de balancer plus de 40 000 satellites dans la stratosphère. Question surveillance et liberté, le 1984 de George Orwell est complètement dépassé. »

Et en termes d’écologie ?

« C’est une aberration. Pour mettre en place le réseau 5G, il va falloir aller chercher des matières premières, puis dépenser énormément d’énergie pour le faire fonctionner. Ensuite, nous allons être poussés à renouveler tout notre matériel : on sera censés acheter de nouveaux smartphones compatibles 5G, des frigos connectés qui nous diront s’il n’y a plus de yaourts, des oreil lers connectés qui nous indiqueront si on a bien dormi, etc. Et tout ça au nom d’un monde dont pas mal de gens ne veulent absolument pas ! Un monde de contrôle, de surveillance, qui consiste à aller toujours plus vite. Un monde de compétitivité aussi, parce que c’est le discours que ses promoteurs tiennent : “La 5G on n’a pas le choix, parce que sinon on va prendre du retard sur nos voisins.” Les industriels tentent de faire passer cette technologie pour une super nouveauté, alors qu’en réalité, c’est un projet du siècle dernier, dépassé, qui repose sur un modèle dont on doit sortir. »

Risque sanitaire : « Tous les citoyens vont servir de cobaye »

Quid des éventuels dangers des ondes de la 5G ? En France, aucune agence sanitaire publique n’a encore publié d’étude aboutie sur le sujet. Les enchères pour l’attribution aux opérateurs de ces nouvelles fréquences seront pourtant lancées à la fin du mois de septembre, pour un déploiement des premières antennes dans l’année qui suivra. Ci-dessous, Nicolas Bérard détaille ses inquiétudes.

En quoi la 5G va-t-elle augmenter notre exposition aux ondes ?

« Sur cette question, je pense qu’il faut partir d’un constat : beaucoup de gens disent souffrir des ondes. Même s’il est difficile de quantifier le phénomène, c’est un fait et une agence sanitaire comme l’Anses [Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail] reconnaît que ces personnes existent et qu’il y en a de plus en plus.

Avec la 5G, on va doubler le nombre d’antennes telles qu’on les connaît actuellement : les antennes en haut d’un pylône, dites antennes-hauteur. Mais en plus, on va ajouter de petites antennes dotées d’une très importante capacité de transmission. Or, le défaut de ces dernières, c’est qu’elles utilisent des ondes à très haute fréquence, qui ont beaucoup de mal à traverser les obstacles. Si une feuille tombe d’un arbre, elle peut couper le faisceau. La solution à ce problème ? Poser des antennes partout : on parle d’en mettre une tous les 100 mètres en milieu urbain.

Tout cela va forcément augmenter l’épaisseur du brouillard électromagnétique, que certaines personnes ne supportent déjà plus. C’est d’autant plus problématique qu’on ne dispose d’aucune étude sur les effets sanitaires potentiels, sachant que la 5G a recours à des fréquences d’ondes différentes de celles utilisées actuellement ; or, en fonction des fréquences, une onde peut avoir, ou non, des effets sur la santé. Ça dépend de nombreux facteurs, d’autant plus qu’il peut y avoir des effets cocktails. Mais ce qui est sûr, c’est qu’aucune étude n’a encore été réalisée à ce jour. »

Dans ton livre, tu racontes qu’un responsable de l’Anses s’est plaint d’un manque de données techniques, qui ne permettait pas à l’agence de réaliser les études nécessaires…

« Au départ, sous prétexte de secret des affaires, les industriels ne voulaient même pas donner les informations techniques sur le fonctionnement de leur réseau, donc l’agence ne pouvait pas travailler. Finalement ils ont commencé à divulguer quelques informations, permettant à l’Anses de se mettre au boulot… A priori elle devrait rendre ses conclusions en 2021. Les personnes réclamant un moratoire le font notamment en expliquant qu’attendre les résultats de cette étude est un minimum. Histoire qu’on ait au moins une petite idée des impacts que la 5G peut avoir. Dans le cas contraire, tous les citoyens vont servir de cobaye. »


Dans ton livre, tu expliques que le flou régnant autour de la dangerosité des ondes (5G ou autres) tient au fait que les dés sont pipés, le secteur de la téléphonie mobile ayant développé une « industrie du doute »...

« C’est une technique de lobbying qui a été développée par l’industrie du tabac. L’idée : si des études scientifiques montrent que la cigarette provoque le cancer du poumon, il faut produire soi-même des études semblant démontrer le contraire. Même si plus tard, il se révèle qu’il y avait des biais dans ces études-là, qu’elles n’étaient pas valables, elles auront quand même tué les certitudes. Et le doute profite à l’industrie, car en l’absence de certitudes, elle peut poursuivre son business.

C’est pareil avec les ondes de la téléphonie mobile. Des études très sérieuses, notamment celles financées par de l’argent public, montrent que les ondes peuvent avoir des effets néfastes sur la santé. Mais en parallèle, une palanquée d’études réalisées par des instituts privés financés par les opérateurs semble montrer l’inverse. À mon sens, un scientifique étudiant honnêtement la littérature scientifique disponible aujourd’hui ne pourrait pas affirmer que les ondes n’ont pas d’effet sur la santé. Après, il reste à savoir quelle est la gravité de ces effets. Un indice : un programme de recherche public étatsunien – le National Toxicology Program – a récemment conclu chez les rats à l’existence d’un lien certain entre l’exposition à des ondes électromagnétiques de type téléphonie mobile et le développement de schwannomes – une sorte de tumeur. »

Dans 5G mon amour, tu décris une offensive très large, avec un lobby de la téléphonie mobile actif dans de nombreux milieux : chez les scientifiques, les médecins, mais aussi dans les médias, dont beaucoup appartiennent à des opérateurs [6]...

« Le poids de ce lobby est hallucinant. En France, il a ses relais au gouvernement : la start-up nation s’inscrit en plein dans le projet 5G, smart city, etc. D’ailleurs la loi Macron de 2015 – quand il était ministre de l’Économie – n’était pas consacrée qu’au développement du transport par cars, mais également à l’abandon du réseau historique de téléphonie fixe. Si ce dernier n’est pas encore totalement démonté, on ne peut déjà plus ouvrir une ligne téléphonique fixe classique : on est obligé d’avoir une box. Il faut également signaler qu’au début du quinquennat d’Emmanuel Macron, une taxe destinée à financer de la recherche publique sur les ondes électromagnétiques a été supprimée... Or, s’il y a un domaine où il est particulièrement important de faire de la recherche publique, c’est bien celui-là. »

Propos recueillis par Clair Rivière

Voir en ligne : http://cqfd-journal.org/La-5G-crist...

P.-S.

- Cet entretien est extrait du dossier « Reprendre le temps volé », qui a été publié sur papier dans le numéro 190 de CQFD, en kiosque du 4 septembre au 1er octobre.


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