L’inceste, le berceau de toutes les dominations.

mardi 8 mars 2022, par janek.

Sûrement, ai-je été bien naïf durant toutes ces années. J’ai du fermer les yeux et les oreilles pour ne pas entendre ce qui se chuchote, ce qui se dit à mot voilé. Pour ne pas voir ces douleurs nouées dans le secret, ces histoires que personnes ne veut entendre. J’ai été complice par mon silence, mon détournement du regard devant l’innommable.


Pourtant, dans mon entourage, dans les milieux politiques que je côtoie la question des violences sexuelles, les témoignages d’agressions et de viols sont nommées depuis plusieurs années maintenant. Le silence reste fort, mais les langues se délies, on s’est rendu compte de l’ampleur de la violence patriarcale et à quel point celui-ci s’insinue en nous, dans nos intimes, dans nos mots, nos postures, nos positions sociales. Le patriarcat est bel et bien un des pieds sur lequel se structure l’État et son corollaire, le capitalisme.

Mais tapie loin des oreilles et des regards se cache ce dont personne ne veut entendre parler.

Il n’est plus possible de fermer les yeux et les oreilles, les récits affluent, il est temps collectivement de soulever le tapis, de camper son regard face à l’océan de merde qui s’y trouve.
Il est temps de comprendre que l’inceste n’est pas l’interdit sur lequel se fonde notre société, mais plutôt le non-dit, le tabou sur lequel s’assoie le patriarcat.
Il est temps de mettre en lumière les vies détruites, les silences obtus, les responsabilités collectives.

Comment en est-on arrivé là ? Comment est-il possible que dans une classe de 30 élèves trois enfants se font violer régulièrement par un homme de leurs familles ? Comment est-il possible qu’on estime que 6 millions de personnes ont subis l’inceste en fRance ?
Comment est il possible pour l’enfant de grandir sereinement lorsque le socle inconditionnel de l’amour parentale se confond avec l’intrusion dans le corps enfant et le secret ignominieux qui en découle ?
C’est avec les yeux hagards, la nausée au bord des lèvres que je me pose ces question. Si on rajoute à l’inceste, dans un calcul insupportable, toutes les personnes qui ont subi des violences on contemple alors avec vertige un puits sans fond. Combien de personnes ont subi un viol, se sont faites agresser par un conjoint ou un proche, combien d’enfants violé par une personne de l’église, combien… Combien de violeurs, d’incesteur, de brutes épaisses au gros poings… COMBIEN
Comment, alors, ne pas regarder chaque homme cis autour de soi en se demandant s’il en est ?


« Tous les jours, près de chez vous, un bon père de famille couche avec sa petite fille de neuf ans. Ou parfois elle lui fait juste une petite fellation. Ou c’est un oncle avec son neveu. » Ainsi s’ouvre Le Berceau des dominations, l’ouvrage de Dorothée Dussy sur l’inceste
Elisabeth Guigou, présidente de la toute nouvelle commission sur l’inceste estime quant à elle « nous côtoyons tous des victimes et des agresseurs sans le savoir ».
Cette phrase Elisabeth Guigou fait résonner en moi les récits de mon père qui a dû se cacher durant toute la seconde guerre mondiale, car fils d’une famille juive déporté et assassiné et qui me racontait qu’il n’a jamais pu aller en Allemagne. Cet impossible voyage n’était pas du à un sentiment nationaliste anti allemand mais plutôt au fait qu’il n’aurait pas pu croiser un humain en age d’avoir vécu la guerre sans l’imaginer en bourreau, en collaborateur du système nazi, actif ou silencieux...
Je fais le parallèle entre l’histoire de mon père et l’inceste pour tenter d’imager autrement cette idée du bourreau qui peut-être n’importe qui. Loin de la figure du monstre le bourreau est tout ce qu’il y a de plus normal. Il peut être notre ami, un oncle éloigné, une personne insoupçonnable, inséré, dans des fonctions à responsabilité…

Pourtant, lors de ma scolarité, j’ai appris que l’inceste était un interdit, le socle sur lequel se fondait toutes les sociétés. Mais merde, comment peut-on se pavaner avec ces phrases toutes faites quand l’ampleur du problème ne laisse aucun doute sur le fait que l’inceste est au contraire le berceau des dominations. Si dès les plus jeunes ages les enfants subissent des sévices sexuels, si la loi du silence n’est quasiment que l’unique horizon, si les chiffres défient l’entendement on peut alors parler de système. Et le système de domination patriarcale, ou l’inceste est la première des domination, fait tout pour se protéger en invisibilisant le problème, en niant la parole des opprimé.e.s, en parlant d’erreur à la marge pour éviter de se remettre en question etc... On peut même dire que inceste et capitalisme sont intimement lié dans le sens où l’inceste est l’un des premiers actes de la perpétuation de la domination hiérarchique car il nie la volonté de la personne qui le subit, créant un ordre social où effectivement il y a des dominants et des dominé.e.s. Les dominants n’étant jamais puni car il n’existe pas de conséquence aux actes menés par une personne d’une classe/ collectif dominante vers une, dominée . (Je tiens à préciser que je ne cherche pas la punition pour ceux qui commettent l’innommable mais plutôt la réparation qui ne pourra exister qu’avec la chute des privilèges d’une classe dominante sur une autre...)

L’inceste, donc, se perpétue dans le silence et le déni de la parole. Dans son podcast « ou peut-être une nuit » Charlotte Pudlowski dis qu’à chaque fois qu’une brèche s’est ouverte et que la parole a émergé elle s’est vite refermée. Que la boite de pandore se retrouve alors enseveli sous l’amnésie collective et qu’à chaque fois qu’une nouvelle personne témoigne, c’est la même surprise face à l’ampleur du phénomène, comme si la société dans son ensemble était atteinte du syndrome d’Alzheimer. Essayez de parler du problème et vous verrez que souvent les regards se détournent, le silence se fait, et on change vite de sujet, vite, vite, vite pour éviter de devoir raconter quelque chose. Raconter un soupçon, le récit d’un.e camarade de classe, son propre inceste, le secret dans sa famille, une mère qui toute sa vie continue à fréquenter son père alors que de ses 5 ans à 12 ans elle s’est faite violer dans la salle de bain sous couverts d’amour débordant, d’une sororité qui est toutes passées sous les mains du grand-père dans le silence insupportable de toute la famille qui ferme les yeux et ne veut pas voir.

Je tremble de rage et pense au courage qu’il a fallu pour livrer des récits sur ces violences. Des récits à charge contre son propre père, son propre frère, son oncle, son grand-père.

Depuis peu les langues se délie comme jamais, le metoo de l’inceste est passé par là, beaucoup de gens ont écrit leur récit afin que la loi du silence se brise, des podcasts et des documentaires permettent de comprendre l’ampleur du phénomène, mais il faut prendre part pour que la boite ne se referme plus jamais. Il faut écouter les enfants et les croire, car il est bien rare qu’un enfant invente un tel récit, il faut que la peur s’insinue chez ceux qui pense que dans leurs maisons les enfants sont leurs objets et qu’ils peuvent en abuser comme ils veulent.

Il faut détruire cet engrenage honteux, arrêter la spirale de reproduction des dominations, hurler à la face du monde que cela suffit, que la parole des sans-mots ne s’éteindra plus, que les tyrans des foyers, les violeurs insoupçonnés vont devoir rendre des comptes.
Il s’agit, je crois, de prendre part pour que le mur du silence s’effondre à jamais.
Il s’agit de prendre part pour détruire à jamais tous les systèmes de dominations.
Il s’agit de prendre part pour que la dignité et l’intégrité des toutes et tous ne soient pas un vain mot.


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