Cette société dystopique, démultipliée par la pandémie et les lois sécuritaires dont la loi "sécurité globale" et la loi "contre les séparatismes", pousse tout le monde à la délation et à la suveillance de TOUT ce qui pourrait sortir un petit peu du cadre standard défini unilatéralement par les pouvoirs.
Vanessa Codaccioni : « L’État nous pousse à agir comme la police » - Promouvoir la surveillance de tous par tous. Voilà ce que veut l’État, comme l’explique Vanessa Codaccioni dans son dernier ouvrage, « La société de vigilance ». Et en plus d’appeler les citoyens à la délation, il les surveille toujours plus en renforçant les pouvoirs de la police, comme l’illustre la loi de « sécurité globale ».
- L’Etat français appelle contamment à l’autosurveillance et à la délation ! Tous policiers ??
- C’est banalisé et ça se déroule en temps de « paix », c’est insidieux et permanent
Extraits de l’interview :
On retrouve dans l’histoire les appels à la délation et à la surveillance mutuelle dans tous les contextes de crise et de guerre, et dans les régimes autoritaires. Mais il se passe quelque chose de nouveau aujourd’hui : cet appel à l’autosurveillance, à la délation, est banalisé et se déroule en temps de paix. Il est insidieux et permanent.
La société de vigilance a commencé à se mettre en place à partir des années 1970. Des appels à la vigilance personnelle à des fins d’autoprotection se mettent en place. On disait aux gens : « méfiez-vous les uns des autres », « fermez votre porte à clé », « n’ouvrez pas à des inconnus ». Puis cela s’est véritablement développé à partir du début des années 2000, après les attentats du 11 septembre 2001. La rupture date de ce moment.
La France n’en est pas au niveau des États-Unis et de la Chine, mais elle y vient. Par exemple, la reconnaissance faciale commence à être expérimentée. On est à un niveau élevé de surveillance étatique et d’appel constant à la participation citoyenne aux chasses aux sorcières.
- L’Etat français appelle contamment à l’autosurveillance et à la délation ! Tous policiers ??
- C’est banalisé et ça se déroule en temps de « paix », c’est insidieux et permanent
Il y a trois types de surveillance dans la société : la surveillance de l’État sur la population ; la surveillance de la société contre elle-même — les citoyennes et citoyens se surveillent les uns les autres — ; et la surveillance qui part des citoyennes et citoyens vers le haut, l’État. Cette dernière est une vigilance démocratique, valorisée depuis la Révolution française, et qui s’exerce par le biais de demandes d’explications publiques des décisions politiques, des demandes de plus de transparence sur les politiques publiques, etc.
Depuis plusieurs années, on observe que les gouvernements veulent renforcer les deux premières — la surveillance exercée par l’État et l’autosurveillance — mais veulent affaiblir le contrôle citoyen du pouvoir, des institutions, des agissements des agents de l’État. Dans le projet de loi « sécurité globale », on retrouve ces deux aspects : le renforcement de la surveillance de l’État sur la population avec l’utilisation de drones, de caméras-piétons, par les forces de l’ordre ; et, dans le même temps, la volonté d’empêcher de filmer les agissements de la police, et donc d’invisibiliser la répression.
À partir des années 2000, avec la lutte antiterroriste, le regard et le profilage se sont orientés vers les musulmanes et les musulmans. Par exemple, aux États-Unis, les musulmans noirs sont particulièrement surveillés. En France, on cible les musulmanes et musulmans, réels ou supposés, en élaborant des guides de prévention de la radicalisation et en mettant en exergue des signaux plus ou moins faibles de radicalisation. Ils sont les principales cibles de cette société de vigilance, mais tout le monde peut être visé par ces pratiques de surveillance massive et intrusive.
À partir de quel moment devient-on une cible ?
À partir du moment où l’on dérange l’État, que l’on commence à contester l’ordre politique, économique ou social. Cela se combine avec la stratégie du bouc émissaire qui met la focale sur certains ennemis, pour continuer à gouverner par la peur. D’abord, il s’agissait des bandes de jeunes, dans les années 70, ensuite, cela a été les jeunes des quartiers populaires et les minorités racisées qui créent des émeutes dans les banlieues, et puis les musulmanes et les musulmans.
La deuxième façon d’appeler à la délation est de la valoriser comme un devoir citoyen, civique. Ce n’est plus de la délation, c’est de la dénonciation dans le sens où c’est pour aider l’État, la population.
Et puis, il y a une troisième forme, très importante, d’incitation, qui consiste à lever tous les freins à la dénonciation. Aux États-Unis, après les attentats du 11 septembre, il y avait eu énormément de débats autour de la question : pourquoi les gens ne signalent pas plus ? Plusieurs freins ont été identifiés : la peur d’être désigné comme islamophobe, la peur de se tromper, et la peur des procès. Chaque fois, on essaye d’enlever ces freins, en garantissant l’anonymat de la personne qui dénonce par exemple, ou en incitant à faire remonter n’importe quelle information, qu’elle soit vraie ou fausse. Puis, on essaye d’obtenir l’impunité pour les personnes qui dénoncent, même si c’est une dénonciation malveillante.
Enfin, la dernière forme d’incitation est l’incitation négative, soit le délit de non-dénonciation. Il devient de plus en plus étendu, dans de plus en plus de pays du monde.
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- C’est banalisé et ça se déroule en temps de « paix », c’est insidieux et permanent
Les gouvernements veulent entrer dans les derniers espaces d’intimité qui existent. Ils veulent s’attaquer aux liens amicaux, familiaux, militants, qui excluent l’État, et aussi aux professions qui préservent des domaines d’ombre à l’État comme les avocats, ou les travailleurs sociaux en Belgique, qui ont été contraints de dénoncer certaines personnes. On assiste à une attaque contre tout ce qui peut résister à la surveillance de l’État.
Cela témoigne aussi de ce que l’on veut faire faire à la population, c’est-à-dire la diviser, l’isoler, la séparer, contraindre les gens au repli sur soi. Développer des formes de haine sécuritaire contre les minorités racisées.
Quelles sont les conséquences de cette incitation à la surveillance de tous par tous sur le vivre-ensemble ?
L’objectif est véritablement d’isoler les individus, d’empêcher toute forme de solidarité et de faire de l’autre une menace. Cela accroît le contrôle de l’État, légitime son action de répression et sa domination sur la population.
La pandémie de Covid, avec les atteintes aux libertés individuelles — justifiées par la très forte mortalité — accroît beaucoup de phénomènes : l’isolement, les appels à la responsabilité des citoyens et à la surveillance mutuelle.
L’avènement d’une société néolibérale fait de chacune et chacun des consommatrices et des consommateurs, des individus égoïstes, qui doivent aller de l’avant, s’adapter continuellement, prendre des risques, les peser et sont responsables dans tous les domaines, y compris dans celui de la sécurité. C’est à chacune et chacun de s’équiper – en assurance antivol ou en caméras de vidéosurveillance – et d’assurer la sécurité de la Nation, du territoire. C’est la start-up nation de Macron appliquée au domaine sécuritaire.
Cela rend les citoyennes et citoyens responsables de ce qui ne fonctionne pas. C’est ce que l’on a vu dans le cas du Covid : on nous explique que si on a été confinés, ce n’est pas en raison des défaillances du gouvernement, mais parce que les gens se sont mal conduits. On culpabilise, on infantilise, les citoyennes et les citoyens, ce qui permet dans le même temps, de déresponsabiliser l’État.
Il faudrait également, évidemment, que l’on évite de participer aux traques punitives de l’État. Et aussi que chacun d’entre nous lutte contre ses peurs, ses désirs de répression, évite d’appeler trop rapidement à l’incarcération d’untel ou untel. C’est très dur.
NOTE :
La France prend le même chemin que la Chine : centralisme autoritaire, surveillance et délation partout, technopolice omniprésente....
Les sales manies de la délation et de la surveillance reviennent, encouragées fortement par l’Etat qui, bien qu’augmentant constamment la meute de ses flics et de leurs moyens, ne peut pas encore avoir l’oeil et l’oreille partout. Aussi, les gouvernements font appel aux habitants pour parfaire le carcan et la prison générale.
Citons par exemple la cellule DEMETER pour l’agro-industrie, les dispositifs « voisins vigilants », les chasseurs investis de missions de surveillance, les partenariats communes/gendarmerie, les brigades anti-tags, etc.
Plus généralement, comme le dit très bien l’auteure, l’individualisation ultra-libérale bien entamée entraîne l’individualisation des rôles étatiques (soutien social, surveillance) et l’accroissement de la délation, de la compétition, de l’écrasement d’autrui durant la guerre économique permanente et totale...
Le chacun pour soi et « tous les moyens sont bons » tendent à remplacer la solidarité, le partage, la convialité, l’entraide, la collaboration, l’empathie...
Le brave sujet a bien intégré les normes capitalistes, essaie de « s’en sortir » seul (de survivre, de « faire son trou » dans le grand cimetière des vivants déjà morts), et fait peser ses "échecs (à gagner dans ce système antisocial) sur sa pomme, ce qui peut conduire à la dévalorisation, à la déprime et au suicide.
L’étatisme et le libéralisme poussent constamment à ce type de société perverse, sociopathique, nombrilique, égoïste, peureuse, suicidaire, autophage, une société directement à l’image des tyrans technocrates et grands capitalistes qui la dirigent et à l’image des principes délétères fondamentaux et ancestraux de la civilisation industrielle.
Le pire est l’auto-surveillance, l’auto-censure, le flicage de soi-même. On devient tellement intoxiqué et soumis à la peur qu’on devance les exigences de l’Etat, qu’on se surveille constamment pour vérifier qu’on ne deviendrait pas un subversif sans le savoir, on évite d’avoir un mot de trop, on a peur d’être violent dans les gestes ou les propos alors on se gendarme préventivement.
Dans cette prison géante, on confond prise en compte des autres et répression de la vie. Le mimétisme grégaire humain pousse fortement à ce penchant mortifère, sans s’en rendre compte on adopte les normes de comportement des autres.
Cette société destructrice, vampirique et tarée survit grâce au sang et à l’auto-destruction progressive de ses membres, une auto-destruction souvent consentie, désirée, en tout cas encouragée, imposée, normalisée, glorifiée même.
Remarquons qu’un Etat « fort » et « partenaliste-maternaliste » serait aussi pire, en posant d’autres problèmes : la dépendance, l’absence d’autonomie et d’initiative, la perfusion avilissante, la domination bureaucratique, la technocratie intrusive, etc.
Pour vivre bien et libre, il ne reste donc que que la voie étroite et très exigente de la démocratie directe, de l’auto-organisation, de la responsabilité individuelle et collective, de l’entraide, des idées développées et expérimentées notamment par l’anarchisme et des courants proches ou « anarchistes sans le savoir ».
C’est parce que cette voie est difficile et exigente, et aussi parce qu’elle a été constamment réprimée sans pitié par les pouvoirs, qu’elle n’est pas plus présente de nos jours.
Pour autant, même sous le joug de la civilisation industrielle, les traits sociaux positifs de l’humain ne sont pas détruits, ils sont juste largement étouffés et peuvent ressurgir lors de certains événements dramatiques (ouragan, inondation...), quand on choisit d’autres voies et qu’on se révolte contre le « darwinisme social » moderne imposé partout par l’ultra-capitalisme et les Etats.
Kropotkine et d’autres nous le disent depuis longtemps.
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