Karim Berrouka : « La fin du monde, c’est le paradis des punks »

lundi 17 décembre 2018, par janek.

Interviewer Karim Berrouka, figure du groupe punk Ludwig Von 88 et auteur fantaisiste de fantasy et de S. F. relève d’un gageure. Pas facile de rester sérieux plus de deux secondes… Mais au final on obtient quand même un scoop !

Vos deux derniers livres traitent de punks, d’apocalypse, de zombies et du mythe de Cthulhu [1]. Vous les avez conçus comme une sorte de diptyque ?

« Tout à fait. Entre le poulpe et le punk, il y a plus que deux lettres en commun : il y a une culture de la rébellion, une aspiration à l’égalité, une tendance forte à l’émergence de l’anarchie. Toutefois, on pourrait considérer que Cthulhu prône plus le chaos que l’anarchie, mais ce serait le confondre avec Azathoth [2] qui est le nihiliste suprême, un peu surcoté toutefois vu qu’il n’a pas “nihilé” grand-chose jusqu’à présent (ou du moins rien de significatif comparé à ce que nous, humains, “nihilons” quotidiennement). Mais l’important n’est pas là. Mes trois romans suivent une progression logique. Mathématique même. Le premier est jaune, le second est rouge, est le dernier est vert. D’aucuns pensent que c’est là un hommage à Bob Marley. Ce sont des sots. Quand mon prochain romain paraîtra, le code couleur sera complet et le monde entier découvrira l’ampleur de mon génie. »

Comme souvent chez vous, on note un glissement du sérieux vers l’humour, et réciproquement.

« C’est que les pentes sont glissantes en ces temps. Mais c’est la faute au gouvernement. »

C’est une particularité qui nous renvoie à votre première vie, en tant que chanteur et parolier pour le groupe Ludwig Von 88.

« En effet, j’ai deux vies, ce qui est tient du surnaturel, il faut le souligner. Je suis double. D’un côté écrivain ignoré des masses, adulé par sa mère. De l’autre, chanteur rive gauche de punk approximatif adulé par la foule, détesté par ma mère. Ce qui, régulièrement, débouche à des accès de schizophrénie. Mais j’ai toute la collection des Cyrulnik alors, quand je vais mal, ça me fait du bien. »

Vos chansons fonctionnent un peu de la même façon que vos livres. Il y a un côté « éclat de rire » qui dissimule une réalité souvent atroce. Le rire, seule arme contre l’horreur et l’injustice ?

« Tout à fait. Il est bien connu que les régimes totalitaires s’effondrent toujours quand des bataillons de comiques montent à l’assaut. Le rire, c’est l’arme ultime. Moi-même, j’arrive à me mettre KO en me racontant des blagues de Toto. Concernant l’injustice, je ne crois pas que le rire puisse y remédier. Il n’est jamais employé dans nos tribunaux, garants de justice et d’égalité, ni par notre gouvernement, garant d’égalité et de justice. C’est bien la preuve qu’il n’est pas très efficace. Ou peut-être l’est-il, vraiment, et on nous ment. Tout cela est une conspiration pour conserver les basses et moyennes classes sociales dans un obscurantisme dépressif, où l’on écoute du Joy Division en citant du Jean d’Ormesson. Plus sérieusement : votre question n’est pas drôle. »

Cette séparation entre le Berrouka auteur et le Berrouka chanteur est-elle complexe à gérer ?

« Absolument pas. Grâce à la PNL [programmation neuro-linguistique], je m’automanage en douceur. J’arrive même à m’automanipuler. Ma vie est un exemple pour les entreprises françaises. Je suis un start-up individu ! »

On vous imagine à la campagne, entouré de chats, devant un feu de cheminée, vêtu d’un gros pull en laine, occupé à écrire romans et chansons, devant un grand bol de Ricoré.

« Vous me confondez avec Georges Brassens, jeune homme. J’habite un manoir hanté en Cornouailles avec des cochons domestiques et je bois du keffir. En ce qui concerne les chansons et les romans, je suis à la pointe de la modernité, du progrès : ils sont écrits par des enfants chinois ou des militants de l’ultragauche français détenus pour possession de tracts subversifs. »

Que pensez-vous de votre place au sein de la littérature française contemporaine ?

« J’y suis très bien, même si personne n’a remarqué que j’y occupe un siège. »

Que pensez-vous de la littérature française contemporaine ?

« Elle est pleine d’auteurs. »

Sur quoi travaillez-vous en ce moment ?

« Une table. J’ai essayé la pelouse mais avec le temps qui fraîchit, la brume qui se lève, je sens poindre mes douleurs de rhumatisme. Pourtant, près de la terre, près de la racine de toutes les sources, je me sentais l’âme d’un Pierre Rabhi revenu à la ruralité, faisant pousser des navets par la force du Seigneur, élu label bio par la grâce de Dieu. »

Sur un album ?

« Non, j’ai dit une table. »

Un album de quoi ? Un nouvel album des Ludwig von 88 ?

« Vous êtes insistant, vous… OK. Un nouvel album des Ludwig dont le nom est à ce jour inconnu de tous, même des Ludwig, mais qui sortira en juin avec plein de titres emblématiques, parfaits pour l’insurrection qui se fait attendre, et que l’on sera encouragé de chanter dans les manifs au rythme des matraques, ou dans les geôles où nous allons tous finir si nous continuons à refuser de croire que le néo-libéralisme sauvera le monde. »

Reprenons. Dans Le Club des punks contre l’apocalypse zombie, vous décrivez une apocalypse zombie au beau milieu de laquelle survivent, en plein Paris, quelques punks désœuvrés. La marginalité comme moyen de survie ?

« Les histoires de zombies mettent toujours en exergue la marginalité. Quand il reste 500 humains pour 5 milliards de zombies, il n’y a pas plus marginal. Maintenant, pour pimenter l’affaire et rester un poil plus réaliste, le survivant, dans ce livre, n’est pas un survivaliste de l’Idaho, armé d’une vingtaine de fusils d’assaut avec un stock inépuisable de munitions et de testostérone. Non, il vit dans un squat à Paris et ne possède aucune arme car il a eu le bons sens de ne pas être chasseur. Ce qui fait de lui le survivant parfait : il survivait déjà avant la fin du monde, rien ne change vraiment après. Il était poursuivi par la police, il l’est maintenant par des zombies. On voulait son âme avant. Désormais on ne veut plus que sa cervelle (qu’il jamais vraiment eue). La fin du monde, c’est le paradis des punks. »

Et le titre du nouvel album des Ludwig von 88 ?

« Je vous laisse choisir. C’est une création participative. »

Dans votre roman Celle qui n’avait pas peur de Cthulhu, vous mettez en scène une jeune fille aux prises avec plusieurs organisations de cinglés qui œuvrent dans l’ombre pour le retour du Grand Ancien et l’apocalypse. C’est une obsession, chez vous, l’apocalypse.

« Tout à fait. Comme il semble improbable qu’on puisse un jour inverser la tendance, réparer les pots cassés, guérir du capitalisme, autant repartir sur des bases saines. Du passé, faisons table rase. De la civilisation, faisons un champ de compost biodynamique. »

Qu’est-ce qui vous plaît dans la littérature fantastique ?

« Le fait que son manque de crédibilité soit intrinsèque au genre. Cela permet de raconter n’importe quoi, comme en littérature générale, sans souci du réalisme, comme en littérature générale, mais au final sans avoir l’air d’un fagotin, puisque c’était, contrairement à la littérature originale, le but. »

Quelques livres de chevet à nous conseiller ?

« Tous les Rushdie, tous les Marie N’Diaye, tous les Beckett, tous les Mike Davis, tous le Hilsenrath, tous les livres des éditions Libertalia et de L’Échappée. Et, n’oublions pas ce qui est inoubliable, tous les Berrouka (surtout les pires). »
Propos recueillis par Patrick Cockpit


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