Jusqu’à quand ?

ou la stratégie du choc en action

vendredi 23 octobre 2020, par Stéphane.

En apprenant l’assassinat lâche et impardonnable de Samuel Paty, j’ai été comme beaucoup sous le choc, non seulement par l’atrocité du geste mais aussi par son mobile et son symbole. De nouveau, un être humain innocent perdait la vie et était assassiné. De nouveau, un fanatique, bien jeune pour le coup, se laissait emporter par une idéologie totalitaire qui l’amenait à décapiter sous prétexte qu’on aurait offenser sa religion et son prophète.

Très vite, la machine politico-médiatique s’emballe et se met en ordre de marche. Membres du gouvernement, de la police, des cabinets occupent le terrain, bien accompagnés par les journalistes et chroniqueurs. Sur les plateaux radios et tv, les paroles sont uniformes, sans contradictions, le ton est martial, guerrier, le pouvoir est au commande pour marteler sa version des faits, son analyse : notre liberté d’expression, votre liberté d’expression est une fois de plus attaquée, le système éducatif, pilier de la République est visé, on ne laissera pas faire, faites nous confiance pour régler ça et surtout faisons bloc. Face à cet axe de com à sens unique, pas une once de questionnement ou presque, que ce soit :

  • sur la stigmatisation des musulmans, la droitisation des discours politique et médiatique voir même leur penchant raciste qui se décomplexe, s’affiche et s’exprime tranquillement sur les plateaux tv et radio (1 2 3)
  • sur le profil de l ’assassin, son jeune âge, ses origines tchétchènes, son parcours, les raisons pour lesquelles lui et sa famille ont demandé l’asile en France. Ne serait ce pas important de savoir que le peuple tchétchène est un peuple qui a subi un génocide (15% à 25% de la population assassinée en moins de 10 ans), dans le cadre d’une guerre contre le terrorisme (déjà), sur fond de conquête coloniale contre les peuples musulmans du Caucase.
  • Sur les liens de certains personnages mis en cause dans les affaires d’attentats avec l’extreme droite. Abdelhakim Sefrioui cette fois, Claude Hermant dans l’affaire des attentats de Charlie hebdo et de l’hyper cacher (4)
  • sur le repli identitaire favorisé par la politique d’ « appel à l’imam » menée depuis de longues années en France par les gouvernements de droite comme de gauche » en privilégiant ce type d’interlocuteur . Un choix qui s’est fait au détriment des associations de quartier ou d’ initiatives politiques autonomes prônant une véritable citoyenneté et l’égalité des droits pour les habitant·e·s des quartiers populaires et la reconnaissance du racisme issu du passé colonial du pays. Certes, cette politique a pu, dans un premier temps, neutraliser une contestation gênante, mais n’aurait elle pas sa part de responsabilité dans l’émergence de groupes politico-religieux (5)
  • sur la défense de la liberté d’expression érigée en totem sur cette affaire mais de plus en plus fréquemment bafouée par le pouvoir quand cette expression le remet en cause. Voir à ce sujet le rapport récent d’Amnesty international (6) mais aussi ces articles sur la liberté d’expression durant le confinement (7)
  • sur la dégradation de l’image des enseignant.e.s (profiteurs, fainéants...) par certains discours politiques et médiatiques.
  • sur le fait que le compte tweeter de l’assassin avait été repéré en juillet dernier sans aucune conséquence concrète. (8)
  • sur l’affaiblissement du système éducatif par son dé tricotage sur l’hôtel de la rentabilité malgré les alertes lancées par les enseignant.e.s et leurs syndicats, sans aucun effet sur les politiques gouvernementales.
  • sur le traitement des enseignant.e.s qui osent dénoncer leur conditions de travail, les réformes avec, par exemple, la présence massive de policiers dans les établissements pour empêcher à certain.e.s de s’exprimer sur la réforme du bac. Avec aussi des enseignant.e.s sanctionné.e.s durement par leur implication dans des mouvements de contestations. (9)

Au fil des heures, c’est même un nouveau tournant qui est pris dans la stigmatisation des mulsulman.e.s mais aussi parfois des migrant.e.s. Un tournant aussi dans les libertés prises par le pouvoir pour s’attaquer aux associations, aux individus au mépris de la lois, sous couvert d’urgence. Le gouvernement et une grande partie de la classe politique montre ses gros biscotos comme jamais et communique allégrement

  • sur le renvoi des fichés S musulmans alors même, comme le rapporte le juge Marc Trévidic, ancien juge antiterroriste, en 2016 « que le ficher S ne veut rien dire, on ne peut pas incarcérer des individus sans preuves, juste avec un nom sur une liste. Qui va décider du degré de radicalisation ? Je ne veux pas vivre dans un pays où on en mettra en prison quelqu’un parce que les services de renseignement auront mis son nom sur une liste »
  • sur la dissolution d’associations comme le CCIF (Collectif contre l’islamophobie en France) sur la base de jugement politique sans aucun fondement juridique.(10)
  • sur la remise en cause du droit d’asile (dont a bénéficié l’assassin du professeur) qui serait donné de manière systématique.(11)
  • sur des opérations de visites domiciliaires de personnes qui n’ont rien à voir avec l’enquête, pour faire peur, déstabiliser. Comme le souligne Alexandre Langlois du syndicat de police Vigi : "Ce sont des perquisitions administratives qui sont effectuées uniquement sur la base de soupçons. Ici, les faisceaux d’indices remplacent la preuve. Résultat : on perquisitionne des gens sur lesquels on n’a pas d’éléments pour les envoyer devant la justice. Or, notre travail c’est de faire la part des choses entre les gens dangereux et ceux qui ne le sont pas".

Bref, une fois de plus, la stratégie du pouvoir et d’un côté de stigmatiser les musulmans, les rendre source de peur et, de l’autre, comme il le fait pour la crise de la covid, d’infantiliser les citoyen.ne.s en quadrillant les possibilités de réflexion, de questionnement, en distillant sur ce quoi il est bon de s’indigner et comment (manifestations sociales et environnementales interdites mais rassemblements en hommage à Samuel Paty autorisés et encouragés, applaudissement des soignant.e.s à 20h...)

Pendant ce temps la, les guerres et le marché de l’armement (12) se portent au mieux, il n’y a jamais eu autant d’inégalités sociales, de millionnaires et de milliardaires (13) la répression policière s’intensifie (14), les interdictions de manifester se multiplient, les dépressions, les suicides se développent, la corruption grandit mais chut, l’heure est une fois de plus au front... national, masqué bien entendu !
Jusqu’à quand allons-nous nous laisser diviser et berner par ce pouvoir qui applique à merveille la stratégie du choc mise en lumière par Naomie Klein (15) ?

PS : les conséquences de la com anti musulman et anti migrant n’ont pas mis longtemps à m’apparaitre concrètement puisque pas plus tard qu’hier jeudi ont été posées dans mon village de Saillans des affiches faisant demande aux arabes de rentrer chez eux...

1 Après le meurtre de Samuel Paty, le concours Lépine des idées d’extrême droite
2 Chaînes d’info : l’extrême droite en croisière
3 La gauche sur les chaînes d’info : « On se place en position de combat »
4 Attentats de 2015 : comment Amedy Coulibaly a-t-il pu se procurer des armes ?
5À propos d’Abdelhakim Sefrioui et du collectif Cheikh Yassine
6 https://www.amnesty.fr/liberte-d-expression/actualites/france-milliers-de-manifestants-pacifiques-arbitrairement-arretes-et-poursuivis
7La police du « Macronavirus » attaque la liberté de s’exprimer par banderole // Reporterre et Toulouse  : une jeune femme placée en garde à vue pour une banderole sur sa maison
8 Professeur décapité à Conflans : le terroriste avait déjà été signalé sur Twitter
9 L’acharnement. Les 4 de Melle et la répression dans l’éducation
10 Menace de dissolution du CCIF et de BarakaCity : le gouvernement instrumentalise Conflans à des fins islamophobes
11Professeur décapité : pourquoi le droit d’asile est pointé du doigt
12 Les ventes d’armes augmentent encore dans le monde // les echos
13 Comment une poignée d’entreprises et de riches actionnaires profite de la pandémie de COVID-19 et CAC 40 : des profits sans lendemain ?
14 Violences policières : l’ONU sermonne la France et Allo Place Beauvau de David Dufresne
15 https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Strat%C3%A9gie_du_choc


Forum de l’article

  • Jusqu’à quand ? Le 25 octobre 2020 à 10:23, par Yvonne

    A propos de ce point « sur la dissolution d’associations comme le CCIF (Collectif contre l’islamophobie en France) sur la base de jugement politique sans aucun fondement juridique », il peut être intéressant d’écouter l’audition au Sénat de Zineb El Rhazoui, journalistE de Charlie Hebdo sur le CCIF, sous marin des Frères musulmans. On peut aussi s’interroger sur la pression ressentie dans les quartiers de forte population musulmane, en provenance de barbus qui donnent des « conseils » de comportement aux femmes et aux commerçants (pas d’alcool, sinon...). Pas sûr du tout que les musulmans de ces quartiers aient toute la liberté d’agir conformément aux valeurs françaises, et notamment les femmes, ni même qu’ils aient laliberté de pleinement s’intégrer. La dissolution bienvenue du CCIF s’est faite selon la loi, et non pas en dehors de tout cadre juridique.

    Répondre à ce message

Répondre à cet article

modération a priori

Attention, votre message n’apparaîtra qu’après avoir été relu et approuvé.

Qui êtes-vous ?
[Se connecter]
Ajoutez votre commentaire ici

Ce champ accepte les raccourcis SPIP {{gras}} {italique} -*liste [texte->url] <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Partagez la page

Site réalisé avec SPIP | | Plan du site | Drôme infos locales | Articles | Thèmes | Présentation | Contact | Rechercher | Mentions légales | Suivre la vie du site RSS 2.0
Médial local d'information et d'expression libre pour la Drôme et ses vallées, journal local de contre-pouvoir à but non-lucratif, média participatif indépendant :
Valence, Romans-sur-Isère, Montélimar, Crest, Saillans, Die, Dieulefit, Vercheny, Grane, Eurre, Loriol, Livron, Aouste sur Sye, Mirabel et Blacons, Piegros la Clastre, Beaufort sur Gervanne, Allex, Divajeu, Saou, Suze, Upie, Pontaix, Barsac, St Benois en Diois, Aurel...
Vous avez le droit de reproduire les contenus de ce site à condition de citer la source et qu'il s'agisse d'utilisations non-commerciales
Copyleft