Jean-Marc Gancille, Ne plus se mentir - exercice de lucidité par temps d’effondrement écologique

Notes de lecture - Ni « consomm’action » ni greentech ni appels ni alliances avec les responsables : lucidité, autonomie et radicalité

mercredi 29 mai 2019, par Les Indiens du Futur.

- Voici un petit livre à conseiller à tout le monde de toute urgence, pour un bon décrassage des neurones, pour déconstruire tous les mensonges, illusions, faux semblants et insuffisances des pensées et actions dites écologistes.

- Quelques extraits de l’article pour vous mettre en bouche :

A l’instar du philosophe Frédéric Lordon, il est sans concession avec les appels qui surgissent dans les médias depuis quelques mois. Si le philosophe insiste sur l’inanité de lancer de beaux appels à l’écologie dans les grands médias qui en même temps louent l’ultra-libéralisme de Macron, Jean-Marc Gancille, lui, s’interroge sur la portée de ces textes. Des alertes, il y en a depuis longtemps ! L’auteur ne peut que rappeler à notre souvenir le Printemps Silencieux (1962) de Rachel Carson ou le fameux Rapport Meadows (1972). « Des décennies de révélations accablantes et d’indignations justifiées sont tombées dans l’oubli collectif et l’apathie générale . »

On se plaint, on alerte, on appelle, mais rien ne change, sinon en pire, comme le soulignent également Nicolino et Veillerette dans Nous voulons des coquelicots.

Nul besoin aujourd’hui d’être crypto marxiste, anticapitaliste viscéral ou anarchiste tapis dans l’ombre pour constater que notre système représentatif n’est pas démocratique, que l’ADN du capitalisme est fondamentalement amoral et que l’alliance des deux permet à l’oligarchie de maintenir ses intérêts en évitant une trop grande ingérence dans ses affaires. »

Les politiciens :

« Nous n’avons plus rien à attendre d’un système politique et économique viscéralement lié et obsédé par la préservation d’un modèle à bout de souffle. Finalement, le pire que l’on puisse faire c’est d’enjoindre ses représentants à agir, car ils le font désormais systématiquement contre ceux qui veulent changer le monde et expérimenter des alternatives. »

« Désormais soumis aux règles du divertissement mainstream, les plaidoyers ont sacrifié leur charge subversive pour des messages souvent lénifiants à haute dose de bonne conscience, visant principalement à alimenter les compteurs pour entretenir l’illusion du nombre. »

L’engagement collectif et solidaire est petit à petit remplacé par l’illusion du nombre, l’éphémérité du buzz, l’engouement pour le like individuel.

D’où l’intérêt de cet essai de porter un regard lucide sur toutes les formes d’engagement en faveur de la cause environnementale et y démasquer l’influence pernicieuse de l’individualisme.

Il y a toutefois un autre écueil que ce texte a du mal à éviter.

Celui de tout considérer par le prisme de l’écologie. Certes, c’est le sujet mais – et Gancille le reconnaît explicitement – cette question peut difficilement être traitée sans référence au contexte social politique et économique.

Trop souvent, la crise écologique permet de reléguer à l’arrière-plan la crise politique, sociale, économique, humaine… On ne peut pas reprocher à Gancille de ne pas faire référence au capitalisme. « Le système capitaliste fera tout pour se maintenir jusqu’à l’absurde » écrit-il. Mais il le fait de manière abstraite.

Que faire ?

Combattre nos préjugés.

Combattre l’idée reçue selon laquelle un regard trop lucide serait démobilisateur. Il faut enfin être lucide sur ce qui peut ou non être fait, sur ce qui est efficace ou non.

« considérons enfin nos actions individuelles pour ce qu’elles sont. Les gestes qui font sens pour chacun d’entre nous ont le mérite de réduire la dissonance cognitive qui nous tiraille en nous permettant de nous aligner sur nos convictions. Ce n’est déjà pas mal. Mais le ’faire sa part’ ne résoudra rien, surtout s’il se mue en alibi facile… »

Arrêter de croire que la transition énergétique se fera par en haut. C’est déjà trop tard pour espérer. Il faut maintenant se révolter. Tel est donc le message de cet essai. L’auteur va jusqu’à estimer qu’il y a « un devoir moral et politique de désobéissance et même de rébellion ». Il fait une place aux mouvements radicaux émergents comme Deep Green Resistance. L’auteur tient désormais la méthode pacifiste pour illusoire.

Si le mouvement des gilets jaunes a, selon l’auteur, permis de « faire voler en éclats la fable puérile d’une communauté d’intérêts [avec les élites] », ses revendications autour du pouvoir d’achat sont symptomatiques d’une difficulté à se résoudre à un monde décroissant.

Aussi Gancille est-il pessimiste sur la transition en douceur : « on n’est pas près de réconcilier la fin du monde et la fin du mois ».

Selon lui, les gens ne sont pas prêts à faire des efforts. Il faudra des mesures impopulaires.

L’auteur ne voit pas comment et où le citoyen moderne pourra trouver le courage de renoncer à la civilisation industrielle, au train de vie occidental : « est-il vraiment prêt à assumer la perte de sécurité, de protection sociale, de santé et de confort minimum que permet la société consumériste ? ».

En cela, peut-être le convivialisme pourrait apporter des réponses. J’ignore si Gancille connaît la pensée des convivialistes (pas la version moderne mais celle des penseurs Ivan Illich et Majid Rahnema). Mais dans cette philosophie de la simplicité volontaire, il y a bien une sorte de compensation en ce que la solidarité retrouve un espace pour s’exprimer.

C’est d’ailleurs ce que Gancille envisage lorsqu’il parle des avantages d’un mode de vie frugal : « se libérer du superflu permet de cultiver sa créativité, de retrouver de l’autonomie, suppose de se tourner vers les autres pour faire face aux difficultés et encourage à coopérer pour mutualiser ce qui peut l’être. C’est une façon à la fois de reprendre le contrôle de sa vie et de créer du commun . »

L’auteur se réfère plus à la pensée de Murray Bookchin qui appelle les citoyens à refonder du lien. Il se félicite sur ce point des nombreuses initiatives collectives pour construire un monde alternatif, solidaire et non marchand, mais déplore que ces initiatives soient toujours locales. Il faudra dépasser cet isolement. Parmi les pistes pour dépasser cet isolement, il évoque l’association La Suite du Monde qui cherche, selon le site web dédié, à « multiplier les pratiques coopératives locales et connectées entre elles... expérimenter une organisation communaliste afin de faire communs et communes... permettre l’autogestion de grappes de terrains de vie et de production... à acquérir et libérer des terres agricoles et biens immobiliser afin d’y développer des projets liés à l’habitat, la production agricole, l’énergie, l’organisation communaliste, l’événementiel, l’éducation, ou toute activité permettant davantage d’autonomie... »

Loin des appels grandiloquents, moralisateurs et lénifiants, Gancille nous offre ici un petit livre, un manifeste, qui tranche enfin par sa radicalité. Avec un propos souvent pertinent et une plume malignement corrosive, ce livre devrait faire mouche. A mettre entre toutes les mains, ne serait-ce que pour provoquer la discussion sur un sujet sensible avec pour base une bonne dose de lucidité.


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