Depuis le 17 mai dernier, je cohabite avec un bracelet noir et gris à la cheville droite, un bracelet qui permet à l’administration pénitentiaire de savoir quand je suis chez moi. Et de chez moi, je peux en sortir de 8h à 19h en semaine et de 14h à 18h les weekend (de 10h à 18h pour ceux ou je suis avec ma fille). Ainsi, je suis devenu mon propre gardien, qui s’autorise à sortir durant les heures admises, qui vérifie l’heure comme jamais auparavant et qui en cas de manquement, peut se voir sucrer un temps de remise de peine, voir être dirigé vers la prison. Une vraie expérience d’autocontrôle dans la veine des autoattestations de sortie mise en place pendant le confinement dû au Covid.
Tout au long de cette affaire, lors des procès, par la sévérité du jugement, par les paroles hautaines des juges et procureurs mais aussi lors de cette période de bracelet, j’ai aussi ressenti et vécu à quelle point nous avons une justice de classe dans ce pays. Entre celles.ceux qui vivent leur peine sous bracelet dans un petit logement sans espace extérieur et ceux.celles (Balkany, Tapie, Guéant et consort.) qui la vivent dans leur villa. Entre ceux qui voient leur peine réduite, à la manière de J.Cahuzac, dont la surveillance sous bracelet a été suspendue au bout d’un an pour qu’il puisse exercer son activité de médecin puis tout bonnement stoppée par décision du juge, qui dit s’être appuyé sur “les profonds regrets” et ceux qui ne bénéficient pas de toutes les remises de peines sous prétexte qu’il n’ont pas retrouvé de travail.
Le bracelet m’a d’ailleurs mis devant les yeux à quel point la valeur travail supplantait les autres pour le pouvoir judiciaire. J’ai pu le constater par rapport aux d’aménagements d’horaires, possible pour aller travailler mais pas possible pour participer à une réunion associative ou s’impliquer bénévolement dans un événement. Mine de rien, c’est le lien social qui peut en prendre un coup ! Avec dans le même temps, une organisation administrative lourde puisqu’en plus d’envoyer les fiches de salaires après la période d’emploi, il est nécessaire de demander des justificatifs préalables à l’embauche aux employeurs. Et donc de leur expliquer ma situation particulière et ma peine... On a connu mieux comme dispositif favorisant la réinsertion et l’emploi.
Même s’il a le mérite de permettre de rester dans son milieu de vie, je tiens ici à dire que le bracelet est une vraie peine, pas du sursis, une peine qui rentre dans le corps et l’esprit, une peine faite pour punir, une peine visible, que certain.e.s ne supportent pas, préférant rejoindre la prison. Je précise aussi que je suis contre les peines d’enfermement et bien plus sensible à la démarche de la justice restaurative qui consiste à mettre face à face les protagonistes d’une affaire. Ce type de justice est notamment mise en place sur le territoire zapatiste du Chiapas au Mexique [1], comme ont pu nous l’expliquer cinq zapatistes, de passage dans la vallée de la Drôme et en voyage pour la vie [2]. Là-bas, pas d’avocat.e.s, pas de juges, pas de prison, pas d’amende mais une justice de médiation, de réconciliation, de réparation et/ou de compensation, en nature ou en travail communautaire.
La lucha sigue
Ces 6 dernier mois sous bracelet électronique, ma détermination à lutter pour d’autres mondes plus égalitaires, plus justes, plus épanouissants n’a pas faibli, bien au contraire. Elle a parfois pris des formes différentes mais elle s’est renforcée, à la fois face aux dérives autoritaires, identitaires et capitalistes du pouvoir mais aussi face à cette peine injuste que je subie, comme de nombreux autres militant.e.s, gilets jaunes notamment, qui a entre autre pour but de nous faire rentrer dans le rang [3].
Ma peine de surveillance, cumulée avec l’interdiction de manifester sur la voie publique pendant 3 ans à laquelle j’ai été condamné6, m’a contraint a transformer mes modalités d’action. Je me suis investi autrement dans des mouvements comme celui des acteurs culturels [4] (je suis intermittent du spectacle), avec notamment l’occupation des lieux de culture au printemps dernier [5]. Investissement aussi contre le passe sanitaire ou en soutien aux personnes qui font face à la police et à la justice.
Les difficultés à avoir des lieux pour se réunir m’ont également poussé, avec d’autres, à remettre au goût du jour un projet de Maison du Peuple à Saillans, le village où j’habite. Un projet initié en 2019 par le groupe local des Gilets Jaunes dont je fais partie et qui a failli prendre forme en mars 2020. Un lieu d’auto-organisation, de partage de savoir faire, de lien, un lieu dont on a tant besoin, encore plus par les temps qui courent.
Gilet au bout de mes rêves
Mon implication dans le mouvement des Gilets jaunes a également subi les conséquences de ma condamnation. Le gilet est toujours bien visible dans le véhicule mais il m’est devenu compliqué d’assister aux réunions locales, encore plus de me rendre sur les ronds-points, comme celui de Valence, qui a repris des couleurs le samedi. Je continue à agir, en témoignant dans des médias, en réalisant des affiches, des tracts, des vidéos, en sensibilisant, en assistant quand cela reste possible aux réunions. Ce sera un vrai pincement au cœur de ne pas pouvoir me rendre au rassemblement anniversaire du mouvement mercredi 17 novembre. Je reste malgré tout tellement heureux de voir que les Gilets Jaunes sortent de nouveau, que des personnes se rassemblent à nouveau sur la voie publique, se rencontrent, débattent, convergent, affichent leur mécontentement, imaginent leur société idéale et montrent qu’elles sont debout et qu’elles n’ont pas l’intention de se laisser faire.
Avec trois ans de recul depuis ma condamnation, je peux affirmer que le mouvement des Gilets jaunes, comme l’épreuve judiciaire que je vis, m’a transformé et a transformé ma vie de militant. J’ai lié connaissance avec énormément de personnes de ma région, tissé des amitiés, entrepris des luttes, organisé des événements, pris plaisir à débattre, partagé des moments difficiles… Entre nous s’est noué un lien puissant de solidarité, qu’on ne nous prendra pas. C’est une victoire loin d’être anodine selon moi. A coup sûr un terreau fertile qui fera germer les graines d’autres mondes auxquels nous sommes nombreux.ses à aspirer.
Ils n’auront ni notre détermination ni notre solidarité !
Stéphane Trouille
Numéro d’écrou 4954 encore pour quelques heures...