Depuis plus de cent cinquante ans, la tradition anarchiste dénonce l’État comme étant l’une des principales source de domination. Pourtant, encore aujourd’hui, la plus grande confusion règne autour de cette notion, au sein même des milieux les plus critiques. Cela peut en partie s’expliquer par le fait que, dans le langage courant, le mot État se réfère autant à une structure politique, un ensemble d’institutions, un gouvernement, qu’à une manière globale de faire société.
Il y a pourtant au cœur de ce phénomène politique une logique structurelle simple. Quelque soit sa forme – monarchie, théocratie, dictature, démocratie – l’État repose toujours sur un principe de délégation/domestication. Autrement dit, l’appareil d’État structure le pouvoir de façon à ce que les gouverné.e.s cèdent le pouvoir politique aux gouvernant.e.s, qui en retour ajuste les réalités sociales dans le sens de leurs propres intérêts pratiques et idéologiques. Cette logique a pour effet de concentrer le pouvoir dans les mains d’une élite, à partir de laquelle s’établit une hiérarchie du haut vers le bas, du centre vers la marge. Pour organiser cette captation du politique, la minorité de gouvernant.e.s s’appuient sur des institutions qui répondent autant aux besoins de la population, qu’elle maintient la main mise des gouvernements. C’est par exemple le cas des forces de l’ordre qui poursuivent les criminels, mais aussi répriment les manifestations populaires. Ou encore de l’éducation nationale qui transmet du savoir formel autant qu’une idéologie favorable à l’État.
N’étant ni pleinement au service des populations, ni totalement contre, l’État joue de cette confusion fondamentale pour asseoir sa crédibilité. Autrement dit, il associe ses inconvénients à ses avantages, tout en présentant cet ensemble comme indissociable. Toute personne voulant opérer une dissociation est traitée d’irresponsable. Puisque sans lui, qu’en serait-il de la sécurité ? De l’ordre économique ? Des services publics ? De la santé ? Sa structure politique n’est-elle pas la condition nécessaire au maintien de ces acquis ? L’État n’est-il pas la somme des individu.e.s qui le compose ? Ce dernier point constitue le plus grand mensonge de nos sociétés. Tout en étant une structure de pouvoir qui permet aux gouvernant.e.s de gouverner, l’État se représente comme un tout englobant gouvernant.e.s et gouverné.e.s, comme une sorte de compromis. Rien n’est plus faux, même sous un régime « démocratique », nos choix et aspirations n’ont aucun impact sur l’État, hormis lors des élections qui procèdent justement d’une délégation du pouvoir politique à des professionnel.le.s.
La banalité de la condition étatique est telle - dans nos vies et nos imaginaires - qu’il importe de clarifier les modes d’organisation politique qui s’en écartent. Ce sont les communautés autochtones, les communaux du moyen-âge, l’expérience zapatiste, la tentative confédéraliste du Rojava, en clair les mouvements d’émancipation politique qui font de la petite échelle le socle et le point de départ de l’organisation politique. Si l’État garantie la primauté du pouvoir central, l’émancipation politique garantie la souveraineté politique de la commune ou du quartier. Selon ces conceptions, être anti-étatique ne revient pas à prôner le désordre social ou l’absence de structure, mais de souhaiter un renversement qui placerait les communes libres au cœur d’une nouvelle organisation politique.
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