Hong Kong, correspondance.– Qui aurait imaginé le 9 juin, quand une foule pacifique emplissait les rues de Hong Kong contre le projet d’extradition vers la Chine, que la colère enflerait au point de parvenir à clouer au sol le trafic du huitième aéroport international du monde ? Qui aurait imaginé alors que l’armée chinoise montrerait les muscles au point de masser des chars aux portes de l’ex-colonie britannique ?
La région chinoise semi-autonome vient de vivre son pire week-end depuis le début de la crise actuelle et s’est enfoncée encore un peu plus dans une spirale de la violence : plus de quarante blessés pour la seule journée de dimanche, une répression policière de plus en plus musclée qui a provoqué un vif émoi et exacerbé la colère de manifestants qui ont occupé une partie de l’aéroport. Un mouvement initialement pacifique et focalisé sur une question politique s’est mu au fil des semaines, et du refus des autorités locales de transiger, en une contestation tous azimuts du pouvoir central chinois, au travers d’actions sans cesse renouvelées, et sans cesse plus rudement réprimées. Pékin vient aussi de durcir sérieusement sa rhétorique jusqu’à voir dans la contestation inédite des « signes de terrorisme », et ses organes de propagande ont, eux, délivré des messages de plus en plus menaçants. C’est sans doute le développement le plus glaçant de ces derniers jours.
La Chine avait déjà lancé début août un avertissement retentissant au travers d’une vidéo de propagande diffusée par l’Armée populaire de libération (APL) montrant chars, matraques et forces spéciales en plein exercice antiterroriste, sur fond de musique de film d’action. Lundi, Yang Guang, porte-parole du Bureau des affaires de Hong Kong et Macao – le même qui, il y a une semaine, avertissait que « ceux qui jouent avec le feu périront par le feu » –, a déclaré que « les manifestants radicaux de Hong Kong ont à plusieurs reprises eu recours à des objets extrêmement dangereux afin d’attaquer des policiers », comme des cocktails Molotov, « ce qui constitue déjà un crime grave et révèle de premiers signes de terrorisme ».
En écho, un représentant du Bureau de liaison, symbole de la présence de Pékin sur le territoire, cité par l’agence officielle chinoise Xinhua, assénait que Hong Kong allait « sombrer au fond des abysses si les atrocités et la terreur continuaient d’être autorisées ». Sur Twitter, le groupe chinois de télévision CGTN diffusait quant à lui des images de blindés de l’APL déployés aux abords de Shenzhen, la mégalopole géante aux portes de Hong Kong.
Sourds aux menaces, des manifestants ont de nouveau occupé l’aéroport mardi 13 août. Du personnel médical a par ailleurs manifesté dans l’enceinte de l’hôpital public Queen’s Mary contre « l’abus de pouvoir de la police ». Avant cette mobilisation inédite, des avocats, des journalistes, mais aussi des enseignants et des employés du secteur bancaire ou des petits commerçants ont exprimé leur refus du plan de Carrie Lam. Les revendications sont aujourd’hui beaucoup plus larges qu’en juin : démission de Carrie Lam, la cheffe du gouvernement local pro-Pékin, l’élection d’un successeur au suffrage universel direct, et non sa désignation par Pékin, comme c’est actuellement la règle. Ils exigent aussi l’abandon définitif d’un projet de loi controversé qui autoriserait des extraditions vers le continent. Ils exigent aussi une enquête sur les violences dont ils accusent la police et c’est cette dernière demande qui est au cœur de la mobilisation qui a paralysé lundi l’aéroport et justifié, aux yeux de l’Autorité aéroportuaire, l’annulation de plus de 200 vols.
« C’est une cible stratégique mais aussi le seul endroit public où l’on ne risque pas de se faire taper par la police, du moins pas devant les touristes », expliquait ainsi une manifestante sous le couvert de l’anonymat, le visage masqué.
« On se prépare au pire, mais dans le même temps on se demande tous comment continuer à se battre, comment faire si le gouvernement continue de nous ignorer ? », s’interrogeait pour sa part Iris, travailleuse indépendante dans la joaillerie. « Une chose est sûre : si nous nous arrêtons cette fois, il n’y aura pas d’autre fois », confiait la trentenaire venue comme une partie des étudiants, salariés du privé et retraités exprimer son exaspération contre la police.
Le sit-in pacifiste de trois jours entamé vendredi à l’aéroport devait s’achever dimanche. Mais les appels à poursuivre l’occupation ont inondé dans la soirée de dimanche les réseaux sociaux à mesure que parvenaient les images de la police dispersant sans ménagement des rassemblements non autorisés dans plusieurs lieux de l’archipel.
Une photo a circulé en particulier : une jeune femme au sol dans le quartier de Tsim Sha Tsui, un œil ensanglanté. Les rumeurs la disent aujourd’hui borgne. Des vidéos aussi montrent des policiers infiltrés parmi les manifestants, d’autres tirant des gaz lacrymogènes à très faible distance de manifestants et ce dans l’enceinte même du métro à Kwai Fong, dans les Nouveaux Territoires, ou acculant des manifestants dans les escalators vertigineux de la station de Tai Koo (sur l’île de Hong Kong). Ces méthodes ont attisé les tensions.
« La police ne respecte plus aucune règle, c’est intolérable », déplorait ainsi lundi Harry, la trentaine, tout juste diplômé en ingénierie aux États-Unis et revenu travailler à Hong Kong. « Choqué, triste et terriblement en colère », il dit avoir décidé de son propre chef d’imprimer des autocollants dénonçant les méthodes policières pour les distribuer aux voyageurs. Beaucoup se montraient, comme lui, proactifs, projetant sur des tablettes ou de simples feuilles A4 des vidéos de la répression ou brandissant des affiches éloquentes sur le degré de défiance à l’égard du pouvoir : « Œil pour œil », « manipulation psychologique », et « méthodes de nazis », « la police tente de nous assassiner ».
« Le parti communiste chinois a terminé une importante réunion à Beidaihe », cité balnéaire à 300 km de Pékin, « et il vient de siffler la fin du jeu à Hong Kong : en autorisant la police de Hong Kong à faire un usage excessif de la force, Pékin veut mettre en scène la peur. Pékin veut terrifier en s’attaquant aux femmes et aux journalistes », estime Simon Lau, militant pro-démocratie de longue date, assis lundi dans le hall du terminal des arrivées. « On demande au gouvernement chinois d’honorer sa promesse de suffrage universel » faite en amont de la rétrocession en 1997, « et en retour on se fait traiter d’indépendantistes et d’émeutiers », poursuit le militant persuadé qu’« une fois la contestation écrasée, le PCC récompensera des entreprises et des fonctionnaires pour leur loyauté » mais que la région n’en demeurera pas secouée de heurts sporadiques mais réguliers avec les forces de l’ordre, « comme en Palestine ».
Pour tenter d’endiguer la contestation, les autorités ont par ailleurs agité le spectre d’une crise économique. Carrie Lam a notamment imputé aux seules manifestations les mauvais résultats économiques, accusant la protestation de mettre en péril la stabilité de la place financière et de faire peser un risque de crise comparable, voire pire, que celle traversée en 2003 après l’épidémie de SRAS (Syndrome respiratoire aigu sévère). Une vaste campagne d’appels au boycottage dans les médias chinois, savamment orchestrée par les autorités, a par ailleurs visé les entreprises soupçonnées de soutenir les manifestants pro-démocratie, dont la compagnie aérienne hongkongaise Cathay Pacific.
À entendre des touristes et des étudiants chinois au sortir de l’aéroport pester lundi contre « ces imbéciles de jeunes Hongkongais manipulés et payés par les Américains », on comprend que la machine patriotique tourne à plein régime en Chine. Comme l’analyse Bill Bishop, observateur américain de la politique chinoise, « pour beaucoup au sein du pouvoir chinois, si ce n’est tous, il ne semble pas tirer par les cheveux l’idée que des forces étrangères hostiles sont en train d’essayer de fomenter une révolution de couleur à Hong Kong avec l’intention de la propager en Chine continentale, dans le cadre d’un plus large complot pour contrecarrer » la politique chinoise. Et cela, poursuit l’analyste dans sa newsletter, « pourrait mener à la décision de “nettoyer” Hong Kong par tous les moyens nécessaires avant le 1er octobre et les célébrations du 70e anniversaire de la fondation du régime communiste ».
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