Historiquement, seules des violences de masses ont pu véritablement libérer les peuples des inégalités sociales

Livre : dans cette civilisation, la réduction des inégalités se fait par la révolution, la guerre, le collapsus de l’État ou la pandémie - Le progressisme de gauche inadapté ?

lundi 12 avril 2021, par Perspectives.

Un livre d’historien iconoclaste, qui démolit l’idée qu’un Etat fort, du progrès technologique, des « démocraties » libérales et des programmes de redistribution des richesses pourraient suffire à réduire vraiment les inégalités sociales croissantes.
La gauche « de gouvernement » devra donc se convertir à la révolution, au basculement radical et à l’anarchisme ?

« Dans cet ouvrage, nous pouvons compter au moins trois grandes idées désagréables sur l’inégalité. La première est que, loin de s’opposer, civilisation et inégalité vont ensemble et forment deux facettes d’un même phénomène : les civilisations les plus développées sont marquées par des inégalités extrêmes. La deuxième, c’est que le processus normal, routinier, le sens de l’Histoire, en quelque sorte, d’une civilisation en développement est d’accroître l’inégalité économique accumulée, en direction d’un niveau de saturation où elle se maintient à un seuil extrême. La troisième, et c’est l’objet même du livre de Walter Scheidel, concerne les processus envisageables de réduction des inégalités : advient ici la métaphore des Quatre Cavaliers de l’Apocalypse que sont la révolution, la guerre, le collapsus de l’État ou la pandémie. Scheidel démontre que, historiquement, depuis le Néolithique, l’inégalité extrême ne peut se réduire sans un déchaînement de violence de masse, sociale ou naturelle, engendrant une mortalité démesurée. »

L’analyse de Scheidel éclaire ainsi d’un jour nouveau la persistance des inégalités et nous rappelle l’urgence de répondre politiquement à une globalisation dont les fragilités accumulées pourraient entraîner un collapsus à l’échelle mondiale.
(Louis Chauvel, dans la préface).

Source : Une histoire des inégalités :de l’âge de pierre au XXIe siècle, de Walter Scheidel, chez Actes Sud

Historiquement, seules des violences de masses ont pu véritablement libérer les peuples des inégalités sociales
Les 4 Cavaliers de l’Apocalypse
  • Pandémie : le monde d’après sera-t-il plus inégal ? - Le Covid-19 sera-t-il le choc qui mettra fin aux inégalités actuelles comme l’ont fait auparavant d’autres chocs historiques ? On en parle avec l’historien Walter Scheidel, auteur d’"Une histoire des inégalités : de l’âge de pierre au XXIe siècle" (janvier 2021).
  • « Une histoire des inégalités » : les catastrophes plus « efficaces » que les réformes pour redistribuer les richesses - Dans son livre, l’historien Walter Scheidel a étudié l’hypothèse, sur 5 000 ans et six continents, selon laquelle seuls les événements les plus meurtriers parviendraient à réduire les inégalités. (...) De ce voyage en « catastrophie », il est revenu avec la conviction suivante : les inégalités se sont fortement accrues dans les phases que l’on reconnaît généralement être celles des « progrès de la civilisation », de la croissance de la prospérité économique, du maintien de la paix et de la sécurité, de l’affirmation d’Etats et d’Empires puissants qui ont laissé les traces les plus visibles de l’architecture, de l’art et de la culture…
    (...) En revanche, les inégalités ont considérablement diminué pendant les périodes où ces Etats ou ces civilisations s’effondraient, emportés par les guerres, les révolutions ou les épidémies. A une condition toutefois : que ces catastrophes soient particulièrement destructrices et mortelles !
    (...) En revanche, les périodes où des gouvernements progressistes, ou même des révolutions de velours, ont cherché à redistribuer la richesse à coups de réformes (fiscales, agraires, sociales) n’ont pas permis d’inverser le mouvement permanent vers plus d’inégalités. Même la Révolution française n’a pas réussi à atteindre les « résultats » des révolutions communistes du XXe siècle et leurs millions de morts. Seules l’éradication et la spoliation du 1 % (et au-delà) des plus riches assurent la redistribution. Et contrairement à l’idée, bien ancrée en France, selon laquelle l’effort de redistribution est proportionnel à la puissance de l’Etat, l’historien observe le phénomène inverse : plus l’Etat est fort, plus il sécurise la captation de la richesse par une élite et plus il réprime les tentatives du plus grand nombre de se convier au banquet – les monarchies autoritaires d’ancien régime, les Etats totalitaires issus des révolutions, tout comme les démocraties. Voilà qui donne froid dans le dos…
    (...) (note de légère atténuation :) l’auteur reconnaît lui-même, avec une modestie toute scientifique, que les données sont trop insuffisantes, voire absentes ou contradictoires, pour pouvoir affirmer que sa thèse de départ soit vérifiée en tout temps et en tous lieux.

Remarques

Cette analyse historique, même si des données peuvent manquer pour les temps lointains, montre bien que la civilisation (système patriarcal de domination, de hiérarchie, en quête de puissance et qui considère "la nature" comme une simple ressource) est irréformable, bloquée, et encore plus sa forme moderne nommée "civilisation industrielle" (Etat moderne, capitalisme, techno-industrie productiviste).
Du fait que ce modèle destructeur et violent de société est incrusté de longue date dans les infrastructures, les lois, les cultures, les structures sociales, et du fait de la volonté des couches les plus riches et détenant le pouvoir de ne rien lâcher, une vraie réduction des inégalités sociales ne pourrait se réaliser que dans les affres de la violence et des morts de masse.
C’est terrible, mais c’est la conséquence logique et implacable du mode de fonctionnement du système en place et de ses défenseurs/profiteurs.
On l’a bien vu en France avec le soulèvement des gilets jaunes, les révolté.e.s réclamant la démocratie et la justice sociale/fiscale ont du en venir à l’émeute et aux blocages pour tenter de peser, et l’Etat et le gouvernement, le régime policier et les merdias, ont déchaîné brutalités et répressions pour étouffer la rebellion.
Ce qui veut dire que les opprimé.e.s, contraint.e.s par ce système intransigeant fondamentalement inégalitaire et anti-démocratique, devront fatalement à l’avenir recourir à des moyens encore plus violents et destructeurs pour espérer changer quelque chose de positif pour eux ? Même chose pour les questions climatiques et écologiques, qui sont très directement liées à la question sociale et politique.

- Une autre option peut-être possible serait que énormément de monde se reconnaisse comme une classe opprimée ou soit complètement solidaire des plus pauvres/dominés, ce qui permettrait, peut-être, un énorme mouvement de masse qui pourrait peser et résister par des méthodes moins "violentes" entraînant peu de morts (grèves géantes et longues des secteurs économiques essentiels, blocages consistants d’activités clés, occupations, dégradations ciblées de matériels...), surtout si ce mouvement arrive par son étendue et sa puissance à empêcher l’Etat-capitalisme de déployer sa traditionnelle répression ultra-violente meurtrière dès qu’il est en difficulté (voir Commune de Paris il y a 150 ans).
Dans les pays riches cette option est hélas peu propable tant les classes sont divisées et tant il existe encore de personnes vivant dans un certain confort.
- Suivons de près ce qui se passe en Inde en ce moment pour voir si cette option a des chances de marcher.

Inde : une révolution radicale grâce à d’énormes masses coalisées ?

- D’autres auteurs évoquent l’option d’une intense guérilla de sabotages ciblés et coordonnés adossée à une culture de résistance large et puissante. Une option qui nécessiterait moins de monde impliqué et qui ferait s’effondrer l’Etat et le capitalisme (qui pourraient être déjà fragilisés par les catastrophes en cours) en détruisant leurs infrastructures clés, tout en faisant grandir de puissants réseaux d’autonomie matérielle et d’organisations diverses en démocratie directe.

Quoiqu’il en soit, de tels changements ne pourront pas advenir via des élections, des manifestations symboliques et pacifistes ou des happenings musicaux.

La suite de l’histoire reste à écrire...

NOTE additionnelle sur l’intérêt réel des demi-riches

Si les possédants et dirigeants réussissent à empêcher par la force et la ruse des changements radicaux, étouffent toute possibilité de soulèvements, alors la situation va continuer à se dégrader.
La civilisation industrielle va aggraver et accélérer les catastrophes climatiques, écologiques et sociales qu’elle engendre. Ce qui, comme l’indique l’historien Walter Scheidel, créera des fléaux meutriers type guerres, pandémies, effondrement de la société ; lesquelles massacreront également les riches et puissants, sans disctinction.
Peut-être que les ultra-riches arriveront un temps à se prémunir, mais la masse des demi-riches (les classes à partir des classes moyennes supérieures) sera éradiquée comme les classes sociales qui leur sont inférieures par les catastrophes et guerres (voire davantage si les pauvres ont l’opportunité de se venger).

Donc, si les demi-riches veulent assurer leur survie et celle de leurs enfants et petits-enfants, ils devraient adopter une attitude rationnelle visant à soutenir les révoltes radicales, les anarchistes, les écologistes radicaux.
Ils perdront sans doute quelques plumes, quelques possessions dans l’affaire, mais ils auront grande chance de préserver leur vie et une part de leurs biens au lieu de tout perdre.

Ca parait contre intuitif, mais c’est pourtant logique : pour survivre, les demi-riches doivent soutenir les franges les plus révoltées au lieu de se tourner vers les ultra-riches, les conservateurs réactionnaires, l’extrême droite et les puissants aux manettes des Etats et des multinationales.

Hélas, les riches ont le plus souvent des comportements irrationnels et à courte vue, on peut donc craindre qu’ils continuent à soutenir la répression féroce des révoltes orchestrée par les très riches et autres technocrates bien placés. Ils ne font que raisonner dans l’instant, sans réfléchir aux conséquences de leurs actes à long terme ni aucune vision stratégique.
Les demi-riches risquent de reproduire stupidement des réflexes de classe au lieu de se préoccuper réellement de leur avenir et de celui de leurs enfants.


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