Grèves et manifestations du 18 octobre : frémissement sans suite ou bien ?

Grève générale sous contrôle à but réformiste ou ras le bol spontané qui dure et se radicalise ?

vendredi 21 octobre 2022, par Camille Pierrette.

Seulement obliger les entreprises à des augmentations de salaires pour coller à l’inflation, ou exproprier les propriétaires des moyens de production, reprendre la main sur nos vies, pour décider ensemble de ce qu’on produit ou pas, comment, avec qui, avec quoi, etc. ?
Au lieu de subir le libre marché aveugle et destructeur, le productivisme et la concurrence, la planification technocratique, décider directement en vue d’une société vivable, soutenable, orientée vers le bien commun ?

Pour l’instant, on ne voit pas de grève générale, et encore moins d’extension ni de radicalisation des objectifs.

Grèves et manifestations du 18 octobre : frémissement sans suite ou bien ?

18 OCTOBRE : IL SE PASSE QUELQUE CHOSE !


LA GREVE S’ETEND
VITE UNE NOUVELLE JOURNEE NATIONALE !

A la suite des raffineurs, la mobilisation s’élargit.
La reconduction de la grève fait tâche d’huile dans d’autres secteurs que les raffineries, des cheminots dans de nombreuses gares, Paris Nord, Paris Sud Est, plusieurs technicentres, et puis encore Lyon, Bordeaux, Tours, Annemasse, Perpignan..., des électriciens et gaziers en particulier dans 11 centrales nucléaires mais pas seulement, des postiers à différents endroits... dans le public et aussi dans le privé, 450 lycées bloqués, plus de 70 000 manifestants à Paris et 300 000 dans le pays mais surtout infiniment plus de grévistes, pour qui la reconduction de la grève est déjà une réalité pour un certain nombre et une perspective pas si éloignée que ça pour le plus grand nombre mais qui raisonnant tous au niveau global, se posent la question de la grève générale et donc attendent quelque chose de sérieux. Tout le monde sent le changement d’ambiance mais attend un déclic, peut-être que les raffineurs tiennent bon, que ça s’élargisse au moins un peu à EDF, à la SNCF, qu’une grande entreprise s’y mette, bref l’étincelle qu’on tend vers la mèche d’une bombe, et qu’alors rien ne semble pouvoir l’empêcher d’exploser... et ce sera le déferlement, un nouveau mai 68, encore plus fort...

19 OCTOBRE : LES RAFFINEURS CONTINUENT LA GREVE

- A Gonfreville, en Normandie, la grève a également été reconduite « après un vote très largement majoritaire ».
- A La Mède (Bouches-du-Rhône) : la grève a également été reconduite ce mercredi,
- A Feyzin dans le Rhône (dépôt, la raffinerie étant à l’arrêt pour raison technique), les grévistes ont reconduit mercredi matin la grève
- A Mardyck, près de Dunkerque : la grève se poursuit.
- A Donges la grève a été suspendue

(post de Jacques Chastaing)

NOTES :
Oui, des raffineurs et certains secteurs continuent, mais pas de grève générale en vue, encore moins de grève insurrectionnelle.
Tout ça va sans doute se tasser pendant les prochaines vacances, ...jusqu’à la prochaine vague de protestation.

Grèves et manifestations du 18 octobre : frémissement sans suite ou bien ?
La Conf présente à la manif de Valence

Plus de 2500 manifestantEs à Valence

Plus de 2500 manifestantEs à Valence (300 à Privas et 600 à Aubenas) avec de nombreux secteur en Grève et, en tête, un beau cortège lycéen/nes.
Manifestation animée avec la CGT, la FSU, FO, SUD, la CNT accompagnée par le tracteur de la Confédération Paysanne et ou même quelques syndicalistes CFDT se sont déplacé.
Avec la présence également des partis de gauche FI, EELV NPA, Lutte Ouvrière, PCF et la « torche à flamme rouge » des cheminotEs.

(post de Anticapitalistes Valence nord Drôme Ardèche - NPA)

Grèves et manifestations du 18 octobre : frémissement sans suite ou bien ?
à Valence le 18 octobre, habituel défilé sans suites
  • Grève pour les salaires : le gouvernement répond par l’austérité - Le budget 2023 est l’un des plus austères depuis vingt ans, selon Nos services publics. Alors qu’une grande grève a lieu le 18 octobre pour les salaires, le collectif prévient : ce budget aggravera les tensions.
  • Salaires : négocier partout où c’est possible - Si, à l’heure proclamée de la sobriété, les dirigeants des grands groupes ne prennent pas conscience qu’ils doivent changer de comportement, leur responsabilité dans l’aggravation de la crise démocratique pèsera lourd. - a CGT, qui avait rallié à sa cause FO, Solidaires et la FSU, n’a pu que constater, mardi 18 octobre, les limites de sa stratégie consistant à tenter de bloquer le fonctionnement de l’économie pour arracher des hausses de salaire. Même si certains secteurs, comme les centrales nucléaires, les trains régionaux et les lycées professionnels, ont été plus touchés que d’autres, la journée de mobilisation interprofessionnelle à laquelle Philippe Martinez, le secrétaire général de la CGT, avait appelé n’a pas déclenché le raz de marée qui aurait obligé Elisabeth Borne à convoquer sans tarder un « Grenelle des salaires ». (...)
  • Grèves du 18 octobre : saisir l’instant, sévir le mouvement - De toute évidence, ce ne fut pas la grève générale que les syndicats espéraient (du moins aimerait-on croire qu’ils l’espéraient…). Il y avait certes des dizaines de milliers de personnes à Paris répondant à l’appel de la grève interprofessionnelle de plusieurs centrales syndicales, et plus d’une centaine de milliers dans tout le pays, mais cela n’a pas suffi à paralyser efficacement l’économie pour impacter les décisions du gouvernement. Et honnêtement, il fallait s’y attendre. Cependant, au vu du contexte politique et social très tendu dans toutes les strates de la société française, il faut aussi s’attendre à ce que ce mouvement s’étende et s’amplifie dans les jours à venir, et c’est de cela dont il faut que l’on discute.

18 OCTOBRE : DÉBUT D’UNE LUTTE PROLONGÉE ?

Retour sur la journée de grève et de manifestation à Nantes

Les raffineries sont en grève depuis près d’un mois, des cheminots entrent en mouvement, de nombreuses entreprises sont en lutte sur tout le territoire ... Partout, la colère gronde sur fond d’inflation, pour exiger une hausse des salaires.
Une grève générale avait lieu mardi 18 octobre. A Nantes, plusieurs lycées étaient bloqués dès le matin. La veille, une Assemblée Générale avait réuni près de 200 personnes à l’Université. Un début de crépitement de la jeunesse, après deux années sous chape de plomb sanitaire. Les mardi, des Assemblées ont eu lieu chez les enseignants au lycée Michelet, réunissant plus de 100 personnes mais sans, pour l’instant, fixer de perspectives, et chez les cheminots devant la gare de Nantes. L’envie de s’organiser à la base est là.

Le rendez-vous de manifestation est fixé à 15H devant la préfecture. Ambiance calme et longs discours. Les centrales syndicales hésitent à partir en manifestation ou. Une heure et demie plus tard, le cortège finit par s’élancer, mais certains grévistes sont déjà partis. 5000 personnes défilent. Des pétards crépitent devant la mairie de Nantes. Un cortège de tête de forme, des fumigènes rougissent l’air. Aux abords du défilé, une nouvelle compagnie de « super-flics », la CRS 8, envoyée par Darmanin à Nantes pour « lutter contre l’insécurité ». Elle est, de fait, immédiatement utilisée pour réprimer les luttes sociales. Agressives, les forces de l’ordre tout en noir, cagoulées, avec des lunettes de soleil, mettent en joue la foule au LBD, tentent de bloquer une artère avant de faire volte face. Ils ont envie d’en découdre, malgré la grande timidité du défilé.

La manifestation, tranquille, termine son petit tour devant la préfecture, cernée de policiers. Moment de flottement. Les camions sono partent. Des appels à continuer se font entendre. Finalement, c’est un deuxième défilé, plus petit mais beaucoup plus énergique qui part. Il est essentiellement composé de jeunes, les slogans résonnent, mais la police est de plus en plus présente. Quelques tags apparaissent, l’ambiance commence à s’échauffer, mais à Bouffay, une ligne de policiers bloque l’avancée. A son arrivée à Feydeau, le cortège fait face à un très gros dispositif répressif. La marche s’accélère, les lignes de casqués semblent décidées à empêcher la manifestation de continuer. La BAC se déploie. Une grenade lacrymogène est tirée sans raison. C’est terminé. Des dizaines de fourgons policiers encerclent Hôtel Dieu, où devait se tenir une réunion pour préparer la suite des événements.

Face aux attaques répétées du gouvernement, le climat social s’échauffe. Mais encore timidement, en comparaison à la violence des assauts. Nous sommes trop gentils, alors que le clan au pouvoir est peuplé de mafieux, de cabinets de conseils et de managers sociopathes qui ne reculent devant rien. Néanmoins, depuis le mouvement des Gilets Jaunes en 2018, prolongé par la lutte massive pour les retraites en 2019, la France n’est pas sortie d’un conflit social dont l’intensité varie mais qui ne s’est jamais vraiment arrêté, et qui peut exploser à tout moment.
Le mouvement de grève en cours et les diverses protestations qui couvent seront-ils le début d’une lutte prolongée où l’épisode éphémère d’une colère qui ne trouve pas encore la voie pour triompher ? A suivre ces prochains jours.

(post Contre Attaque)

Grèves et manifestations du 18 octobre : frémissement sans suite ou bien ?
Un embrasement pour faire quoi ? Aider le système à durer en se réformant ou le démolir pour faire autre chose ?

🚨 Faux départ ou petit départ de feu ? 🔥

Plus de 200 000 personnes se sont mobilisées à l’appel de différents syndicats (100 000 d’après la préfecture et 300 000 d’après la CGT), ce chiffre est loin d’être ridicule mais il n’est pas non plus encourageant.
Difficile d’entrevoir des perspectives de luttes à moyen et même court terme dans ces conditions.
Nous pouvons retenir que pour une fois, les services d’ordre syndicaux auraient protégé l’ensemble de manifestation et que les tensions habituellement fréquentes entre le cortège de tête et SO n’ont pas eu lieu.
La violence des charges gratuites de la police est et devrait toujours être fédératrice quant il s’agit de se défendre et de détester le bras armé de l’État.
Le plus important : il faut souligner un nombre assez conséquent de lycées bloqués : environ 400 et 500 mobilisés, d’après le MNL ( mouvement national lycéen) .
Ce n’était pas arrivé depuis 2018, et depuis le mouvement des gilets jaunes, c’est une répression inouïe qui s’abat sur la jeunesse.
Elle semble pourtant tout à fait déterminée à refuser le futur apocalyptique dans lequel elle se dirige. C’est elle qui peut faire la différence.
En revanche, les universités sont devenues des quasi déserts politiques à quelques exceptions près, avec des habitués de la lutte.
Pour le moment le mouvement étudiant ne semble pas porté par une dynamique ascendante.
Les secteurs socio professionnels très divers impliqués dans cette grève sont sensiblement les mêmes qu’à l’accoutumée.
Les cheminots, par exemple, font partie de ceux qui portent systématiquement les grèves à bout de bras.
Nous ne pouvons évidemment que les saluer et les remercier d’imposer ce rapport de force.
Mais force est de reconnaître qu’à quelques exceptions près, cette grève est pour le moment moyennement suivie, compte tenu de l’enjeu et de la gravité de la situation.
La mobilisation du corps enseignant est par exemple assez faible malgré l’état dramatique de l’Éducation Nationale.

Dans certains domaines comme les transports en commun, le taux de grévistes est très faible au niveau national à l’instar de la RATP qui avait pourtant exercé une pression monstre il y a quelques années.
Le schéma reste donc le même, l’immense majorité des travailleurs syndiqués se mobilise au mieux dans le cadre d’une seule journée d’action, et il est encore plus difficile qu’auparavant de mobiliser les salariés dans les entreprises où faire grève est quasi impossible, pour des raisons pratiques ou financières.
Bien sûr, nous ne sommes qu’au début de la rentrée sociale, et à quelques jours des vacances scolaires, les médias mainstreams nous décriront comme déjà résignés et battus au jeu de l’usure.

En dépit d’une colère certaine du fait que nous perdons 10% de notre pouvoir d’achat en quelques semaines, nous sommes tout de même cantonnés au même format depuis plusieurs années.

Peut-être nous manque-t’il aussi des espaces de rencontres qui pourraient pallier notre manque de créativité en trouvant des solutions communes ?
En dépit de leur limites, des espaces de rencontre d’assemblées populaires durant la loi travail avec Nuit Debout ou le mouvement des gilets jaunes avaient su s’équilibrer en complément de l’imagination débordante des cortèges de têtes ou de la France des ronds-points.
Peut-être aussi que dans le cadre des luttes les piquets de brèves ou l’organisation de points de blocages pourraient devenir ponctuellement ces espaces ? C’est ce qui a fait la différence chez nos amis colombiens à Cali.
Aussi, devrions-nous probablement envisager que nos mouvements ne puissent se contenter de la lutte seulement en rendant les coups, au lieu d’être offensives...
Ne pourrions-pas imaginer des espaces de solidarité, en nous organisant dans nos quartiers en dehors du cadre militant pur et dur comme l’avaient proposé temporairement les brigades de solidarité populaire pendant la période Covid-19 ?

Encore une fois, nous sommes les premiers à affirmer ne pas détenir de solutions miracles et concéder avoir du mal à faire des propositions pour pallier aux failles.

Une chose est sûre : le 49.3 va être dégainé dans les jours si ce n’est les heures qui suivent ce post et notre réaction ne sera peut-être pas à la hauteur des enjeux.
L’idée n’est pas de blâmer qui que ce soit, cette situation de stagnation est collective et nous en portons tous une part de responsabilité, mais il est temps de réagir.

(post de Cerveaux non disponibles)

Les chemins de traverse de la « question sociale »

Un point historique et critique sur la question du travail en France. Des réflexions à glaner dans un article parfois dur à suivre :

- Les chemins de traverse de la « question sociale » - Etat social, travail et solidarités [Temps critiques]
(...)
Ce contexte politique et social, de plus en plus délétère, s’est accompagné d’une évolution des rapports sociaux vers une individualisation accrue non seulement des esprits, mais aussi des conditions objectives. Les nouvelles façons de travailler, mais aussi les nouvelles conditions de vie, de lier vie et travail, habitat et travail ont produit des quartiers ou cités sans véritable vie urbaine, des cités dortoirs, des zones périphériques, des campagnes en partie désertées sur lesquelles viennent se greffer des grands projets souvent venus de nulle part ou plutôt d’un potentat politique local de mèche avec un affairiste. Cette déliaison d’un tissu social et géographique certes capitaliste, mais possédant une certaine cohérence (par exemple la construction de grands ensembles de logements sociaux pour gérer et loger les personnes issues de l’accroissement démographique), semble partir à vau-l’eau avec sa succession de « politiques de la ville » et autres mesures. En tout cas, elle produit de nouvelles formes de conflictualité comme la révolte des banlieues de 2005 qui est d’un autre registre et d’une autre intensité que ce qui s’était produit dans la banlieue lyonnaise au début des années 1980 ; le mouvement des Gilets jaunes, la ZAD de NDDL. Nous pourrions nous y raccrocher en nous disant que quand même, il y a là des brins d’espoir si par ailleurs nous ne nous trouvions pas confrontés à des formes de raidissement. Certaines étaient logiques de la part des pouvoirs en place, comme si la difficulté à ouvrir de nouvelles voies réformistes conduisait à des mesures régressives et répressives. Ainsi, dans le nouveau projet sur le recul de la retraite, alors pourtant qu’il n’y a pas de travail pour les « seniors » aux conditions fixées par les directions d’entreprises du secteur privé, la réforme de l’assurance chômage pour lutter contre les formes de désertion du travail (la démission supprimerait l’indemnisation ; le refus de la transformation d’un CDD en CDI aussi) ; d’autres le sont moins et entraînent des réactions défensives qui se prennent sans doute ou parfois pour des formes de résistance quand plus guère ne voient de porte de sortie et de cohérence d’ensemble à quoi que ce soit, par exemple aux mesures gouvernementales, mais aussi bien aux stratégies syndicales. En effet, toute réforme est refusée sans que personne ne pense à une alternative au énième projet présenté par chaque nouveau gouvernement pour simple signature de son existence. Sans parler de révolution, on se contenterait de refus débouchant sur des initiatives ici et maintenant y compris contre les institutions. Les enseignants sont à l’avant-garde, si l’on peut dire, de ce type de mécontentement par récrimination qui se fait passer pour résistance.
(...)
Malgré la disparition actée des « politiques de revenus » pratiquées dans les années 1950-1970, une politique implicite se perpétue à travers la déconnexion entre salaire et « valeur » d’abord, entre travail et revenu à un niveau plus général. Toutefois, il n’est pas question, au moins pour le moment, de pousser vers un décrochage encore plus important que consacrerait un revenu minimum garanti. Non que sa mise en place soit irréalisable économiquement, mais elle saperait l’idéologie du travail comme discipline et lien de subordination (côté capital) et le travail comme valeur (côté syndicats et salariés). RSA et SMIC continuent donc d’être des points de repère plancher de l’activité-travail et comme le gouvernement et le Medef n’ont cessé eux-mêmes de le reconnaître depuis un an, il faut que les salaires, bas à moyen en particulier, augmentent.
(...)
Les collectifs de travail sont fragmentés ou détruits, d’où une atomisation accrue et une perte de conscience unitaire de classe où malgré les différentes strates hiérarchisées de la classe, les unes avaient tendance à tirer les autres, même si ce n’était pas forcément toujours les mêmes strates qui se trouvaient à l’avant-garde de la lutte (ouvriers qualifiés de la métallurgie, cheminots d’abord, puis OS des années 1960-70, etc.). Ainsi, une augmentation d’une strate inférieure sera aujourd’hui considérée comme un déclassement par la strate supérieure en tant que baisse relative de la valeur de sa force de travail. Il en est ainsi des conséquences de la suppression de l’indexation des salaires à laquelle échappe le SMIC et de la mise en place d’un soutien aux petits salaires conduisant à un tassement des écarts par le bas. Les salariés dont la qualification est reconnue et qui avaient le sentiment d’être la force productive du pays et une force politique d’appoint ont l’impression de rejoindre d’un coup la masse des laissés-pour-compte
(...)
Sur cette base mouvante, le « contre » peut être n’importe qui et dire n’importe quoi (anti-« système », antisémite, racialiste, complotiste, et on en passe). Ces confusions ouvrent aussi la porte à toutes les dérives identitaires dans lesquelles on ne conçoit plus les choses qu’en termes d’amis/ennemis sans critère objectif de définition. C’est une mode que d’attaquer les réseaux sociaux, mais ce ne sont quand même pas ces réseaux qui produisent le niveau d’invectives qu’on y retrouve. Ils ne font que révéler le désert de la critique théorique et la misère politique actuelle.

49.3, REQUISITIONS, GREVE GENERALE - CE QUI S’EST REELLEMENT PASSE LE 18 ET LA SUITE QUI EN DECOULE...

Le gouvernement a déclenché le 49.3 – le premier d’une longue série - pour imposer son budget à l’Assemblée Nationale comme il ordonne des réquisitions pour casser le droit de grève des raffineurs et envoie ses CRS pour matraquer les manifestants.
Ça fait penser à la série de décrets-lois de l’automne 1967 imposés à l’Assemblée par un régime de De Gaulle fragilisé par des élections gagnées de justesse au printemps en plein milieu d’une montée sociale avec des grèves importantes y compris pendant les élections elles-mêmes. C’est ce mélange de contestation sociale de fragilité et d’autoritarisme qui avait conduit à l’explosion de la grève générale de mai-juin 1968.
Bref, ça sent la fin de règne.

En même temps, beaucoup cantonnés à un brouillard émotionnel – pessimiste ou optimiste selon l’humeur ou alternant entre les deux- parce qu’ils n’ont hélas pas les informations précises sur les travailleurs qui se sont mobilisés ce 18 octobre, subissent bien malgré eux la propagande des médias des milliardaires ou de la bureaucratie syndicale, et ils ont donc eu l’impression que cette journée était un échec, ou en tous cas pas une réussite, en regard des attaques portées. Mais ce n’est pas ce qui s’est passé.

LA GREVE NON PAS DU 18 MAIS DES 18, 19, 20 OCTOBRE...

Certes, la grève ne s’est pas (encore) généralisée. Mais d’une part, de nouveaux secteurs non négligeables sont entrés en grève reconductible comme les salariés d’Airbus A 320 à Toulouse, AIA les Ateliers de l’Industrie Aéronautique Clermont-Ferrand, 4 sites de Neuhauser, Faurecia Vosges ou encore Geodis Calberson à Gennevilliers, tandis que de son côté la grève dans la galaxie EDF qui durait depuis des mois de manière émiettée, s’est brutalement accélérée à la base dans les centrales nucléaires – et demain probablement ailleurs - contre l’accord de branche signé par l’ensemble des directions syndicales au rabais (2,7% d’augmentation) il y a quelques jours en plein conflit des raffineurs et vécu par beaucoup en conséquence comme une trahison. Et puis il y a eu la mobilisation sur deux jours de 450 lycées le 18 et 100 le 19 octobre, ce qui n’est pas arrivé depuis longtemps. Mais surtout, beaucoup de travailleurs, en tous cas jamais autant, se sont posé la question de s’engager dans une grève générale. C’est pour ça qu’il faut parler non pas de la grève du 18 mais de la grève des 18, 19 et 20 octobre, voire plus, puisque le processus est encore en cours dans un nombre significatifs d’endroits. Par exemple à la SNCF à l’heure où j’écris, la grève est en train de se transformer en une multitude de conflits locaux mais sans qu’ils perdent de vue pour autant la centralisation comme ça se passe en Haute-Savoie (mais dans d’autres endroits aussi) où les cheminots continuent la grève du 18 et appellent à l’intensifier et l’étendre à nouveau à partir du 24, comme d’ailleurs ça s’était déjà fait durant tout l’été après la journée nationale très réussie du 6 juillet et déjà contre l’appel des directions syndicales à cesser toute grève durant les vacances après ce 6 juillet.

Déjà, la journée d’action des directions syndicales du 18 avait été mise en place sous la pression de la base (et de la colère déclenchée par les réquisitions), alors que les directions syndicales avaient déclaré il y a quelques jours à peine qu’elles ne feraient rien sinon participer aux concertations du gouvernement pour détruire la retraite. C’est pourquoi les directions syndicales voulaient limiter cette journée au 18, faire comme si c’était une suite du 29 septembre décidé d’en haut et pas décidée sous la pression de la base qui elle, voulait aller plus loin.

Or, ce qui est remarquable, c’est qu’on a vu de nombreuses Assemblées Générales, en particulier une cinquantaine chez les cheminots mais pas seulement, qui ont reconduit la grève le 19 au moins le matin, sous l’impulsion de militants radicaux, syndicalistes, d’extrême gauche mais aussi du PCF ou de la Nupes, contre les bureaucraties syndicales qui n’en voulaient pas – "pour voir" ce qu’avait donné le 18 à l’échelle nationale, si d’autres s’y étaient engagés ou pas, où, et en quel nombre. C’est-à-dire qu’une bonne partie des grévistes réfléchissait à s’engager dans un mouvement général, mais voulait savoir pour ça quel était le rapport de force global. Bien sûr, la bureaucratie syndicale a menti tant qu’elle pouvait, cherchant à démoraliser, s’opposant à toute reconduction en prétendant que le mouvement s’arrêtait partout. Mais rien n’y a fait. Les travailleurs voulaient voir et ont reconduit dans de nombreux endroits. Et ce n’est que le 19 au matin, lorsque les travailleurs ont eu pris la mesure de ce qui s’était passé ou cru prendre cette mesure, que la pression de la bureaucratie à la reprise a pesé – mais pas partout comme on l’a vu plus haut.

C’est important pour la suite car il va y en avoir une et cela dit ce qu’elle va être. Ce qui s’est passé là montre que la reconduction des grèves pour la généralisation est une perspective pas si éloignée que ça pour un nombre important de travailleurs. Cela signifie que beaucoup raisonnent au niveau global, se posent la question de la grève générale, attendant quelque chose de sérieux, un signal solide pour s’engager durablement. Beaucoup sentent ce changement d’ambiance où on peut passer soudain de conflits défensifs à des luttes offensives. Les directions syndicales l’ont aussi mesuré. C’est pour ça qu’elles appellent à deux nouvelles journées les 27 octobre et 10 novembre (ou autour de ces dates, à l’heure où j’écris, ce n’est pas encore précisé).

La journée nationale de grève du 18 octobre était déjà marquées du signe de la grève générale qui vient, les deux autres le seront aussi. Bien sûr, certains voient dans cette succession de journées sans plan ni véritable programme, des journées "saute moutons" comme en 2010, pour épuiser le mouvement sans le construire. C’est vrai, c’est la tactique des directions syndicales mais ce n’est pas que ça. Bien des choses ont changé depuis 2010.

UNE EXPERIENCE DE SEPT ANNEES DE LUTTES CONTINUES

Depuis 2016 le pays n’est pas sorti d’un conflit social permanent dont l’intensité varie mais qui ne s’est jamais vraiment arrêté et qui peut exploser à tout moment.
Ça a commencé au début 2016 par une pétition à 1 million contre la loi travail de El Khomry/Hollande prolongé d’un appel des organisations de jeunesse à descendre dans la rue contre cette loi et également le mouvement "#onvautmieuxqueça" qui a donné naissance depuis à un nombre important de sites sociaux contestataires, et encore et déjà la grève des raffineries et bien d’autres. Puis au printemps 2017, la cristallisation de cette période face à l’impasse électorale Macron/Le Pen, dans l’émergence du Front Social, suivi d’un été/automne chaud avant le déclenchement des grèves du printemps 2018 notamment celle des Ehpad puis les 3 mois de grève perlée des cheminots, celle d’un mois des électriciens, avant l’explosion des Gilets Jaunes en novembre 2018 jusqu’au moins 2019 de manière intense, pour dégager Macron et sa fausse démocratie électorale, puis la grève pour les retraites de fin 2019 et encore la grève Ratp/cheminots de décembre 2020 à début 2021, un moment d’interruption avec le covid, puis le mouvement anti-pass de juillet 2021 à au moins janvier 2022 et les grèves générales des Antilles de nov 2021 à février 2022, avec dans toute cette période de nombreux mouvements anti-racistes, féministes, écologiques, contre les violences policières, la grande démission, l’abstention électorale de masse et puis enfin le mouvement de grèves émiettées pour les salaires qui démarre en mai 2021 pour s’approfondir l’hiver 2021/2022 et pourrait bien se généraliser aujourd’hui.

Ce large mouvement qui n’en fait qu’un et qui passe sans arrêt de l’économique au politique, de revendications sociétales, démocratiques à des revendications sociales ou politiques, illustre comme jamais la formule de Rosa Luxembourg qui expliquait en son temps qu’il fallait concevoir la grève générale comme une période. Une période où les frontières entre l’économique et le politique s’estompent, tout simplement parce qu’en même temps qu’on doit lutter comme on peut pour son quotidien, pour sa survie, pour maintenir par exemple son salaire face à l’inflation, tout le monde sait bien que pour donner un coup d’arrêt à la véritable contre révolution sociale menée par la bourgeoisie, il faudra s’y mettre tous en même temps, renverser la table et le gouvernement, abattre le capitalisme. C’est dans l’air du temps et c’est cette expérience vécue de millions de personnes ces sept dernières années que veulent exprimer tous ceux qui la résument dans le vocabulaire de la grève générale.

CONSTRUIRE LELE DE CEUX QUI ONT UNE COMPREHENSION COMMUNE DE CETTE PERIODE DE GREVE GENERALE ET DES TACHES QUI ENDECOULENT

C’est pourquoi il faut être très attentif à l’opinion ouvrière qui peut changer extrêmement rapidement et qu’il n’y a pas en conséquences de revendications magiques à avancer pour unifier ce vaste mouvement pour que tout d’un coup, des grèves économiques encore émiettés ou des journées "saute moutons" sans plan se transforment en un mouvement politique d’ensemble. Ni celle de 10% d’augmentation qui ne fait qu’épouser la hausse des prix du quotidien - les électriciens en grève veulent 200 euros, les Neuhauser 300 euros, les cheminots 400 euros - ni même celle d’échelle mobile des salaires. Ce n’est bien sûr pas faux, mais ce ne sont pas des baguettes magiques. Tout le monde le comprend bien, les revendications sont d’abord des rapports de force. Si on se bat dans les limites de son entreprise, on demandera ce qui parait accessible à ce niveau, juste de quoi compenser l’inflation, 7%, 10%... Si on sent que le conflit peut se généraliser, le mouvement lui-même évoluera très rapidement, puis imposera bien d’autres revendications - comme les lycéens qui exigeaient le retrait de ParcousSup - en demandant alors beaucoup plus, voire tout, tout ce qu’on nous a pris, et pas seulement récemment mais depuis des dizaines d’années ; en premier lieu le droit à la retraite encore menacé demain, la protection chômage, le droit du travail démoli, les services publics privatisés ou en voie de l’être, la démolition de l’école publique, de ParcoursSup au lycée professionnel. On voudra une vraie démocratie directe contre un système électoral à bout de souffle, la fin des mesures racistes, discriminatoires, racistes, sexistes, enfin un programme sérieux pour défendre le climat... C’est-à-dire tout ce qui est inclus dans la formule de grève générale.

C’est pourquoi aussi les Assemblées Générales dans les grèves sont importantes comme d’ailleurs les comités de grève élus par les grévistes. Le 18, il y avait infiniment plus de grévistes que de que de manifestants, ce qui est un signe qui mélange la compréhension de la nécessité de la lutte à la méfiance envers les appareils pour la mener au bout mais aussi encore l’insuffisance de confiance en soi et sa classe pour y suppléer. Et même si la participation aux AG était par deux fois supérieurs à celle de la mobilisation du 29 septembre, il y avait beaucoup plus de grévistes que de présents aux Assemblées Générales pour se poser la question de la suite. Dans ces conditions, les comités de grève qui sont apparus le 18 avaient un caractère bien artificiel. Mais ça ne fait rien, la grève n’est pas une science exacte. Il faut essayer pour savoir et en même temps poser les jalons, des réflexes pour demain. Parce que demain est tout près. Les vieux schémas militants où l’élection était le débouché des luttes économiques, où le politique et l’économique étaient bien séparés, ne fonctionnent plus dans cette situation. Tout peut aller très vite. Il faut observer de près l’évolution de l’état d’esprit ouvrier, en gardant à la fois l’esprit le plus révolutionnaire et suivre au plus près le mouvement réel.
Par exemple, dans ce contexte de "grève générale" au sens de période – Mélenchon parle d’un mai 68 perlé - les journées "saute moutons" avancées par les directions syndicales sont peut-être des journées pour épuiser le mouvement comme elles le souhaitent mais peut-être aussi des étapes pour le renforcer, puisque se reposera le 27 au soir la question de la généralisation qui s’était déjà posée le 18 au soir. Mais le 27 nous seront avertis. Les raffineurs de Gonfreville ont voté la grève jusqu’au 27.Ce n’est pas pour rien. Ce courage impose le respect et sera peut-être entraînant. On ne sait pas non plus à ce moment où en seront les mouvements actuels en cours et s’il y en aura d’autres. Le 49.3 y aura-t-il ajouté une dimension politique à la colère sociale ? On verra. Mais de toute façon, la généralisation du mouvement et surtout sa centralisation comme son organisation démocratique, ce qui va de pair, seront encore et peut-être plus, à l’ordre du jour. La fenêtre de tir, ce n’est pas la pénurie de carburant, c’est la situation générale, sociale et politique.
Alors, il faut tout faire pour répondre à l’attente des travailleurs qui veulent "voir", se rendre compte par eux-mêmes des rapports de force et de leur évolution, pour pouvoir s’y engager en toute conscience et en toute maîtrise. Pour « voir », il faut s’auto-organiser.

Imaginons un instant que la Nupes qui compte de nombreux militants ou sympathisants actifs dans le mouvement actuel, appelle à une réunion nationale de tous les militants impliqués dans la lutte aujourd’hui, syndicalistes, Gilets Jaunes, associatifs, écologistes, féministes, anti-racistes pour mettre en place l’embryon d’une coordination nationale afin de construire la grève générale puisque certains de ses dirigeants disent la souhaiter. Ce serait un coup d’accélérateur extraordinaire au mouvement en lui permettant de "voir" la situation et son évolution en recensant les luttes, les grèves, leur participation, leurs revendications, leurs succès ou difficultés, leur évolution, en relatant leurs Assemblées Générales, leurs comités de grèves... Bien sûr, la Nupes ne le fera pas, et déjà les directions syndicales sont en train d’appeler partout à des réunions pour garder le contrôle, mais des militants de tous bords le peuvent. Ce serait déjà un peu la voix unifiée de ceux qui veulent l’unification politique des opprimés et exploités par la grève générale, mais aussi, ce qui va ensemble, une réponse populaire et politique au 49.3, aux réquisitions et aux journées saute-moutons, un défi qui lui aussi contribuerait à construire la confiance des travailleurs en eux-mêmes et en la grève générale..

La grève générale ne se décrète pas. Elle advient ou pas. De la même façon, les révolutionnaires ne font pas les révolutions, Mais ils peuvent l’aider à accoucher. De la même manière, pour se donner le plus de chances de gagner la grève générale doit aussi se structurer. Il ne suffit pas de scander « grève générale » mais il faut en montrer son évolution, ses progrès et difficultés. Le programme est là. Et parce que nous sommes de plus en plus nombreux à avoir la compréhension commune de cette période actuelle de grève générale, c’est le moment de construire le pôle de ceux qui veulent travailler aux tâches qui découlent d’une telle compréhension.

(post de Jacques Chastaing, 20 octobre 2022)

Remarques

j’ai bien du mal à suivre l’optimisme de J. Chastaing.
Je n’imagine pas une forme de radicalisation via les orgas type syndicats (et partis encore moins) avec grosse grève générale, mais plutôt un ras le bol explosif et spontané type "gilet jaune" qui bénéficierait des expériences passées et du soutien d’une part des travailleurs par la grève. Si la jeunesse s’y met et que des forces autonomes et ingouvernables s’en mêlent et que ça dure pour permettre l’auto-organisation et l’approfondissement des objectifs, des choses seraient possibles.

Compléments sur l’anticapitalisme tronqué et le réformisme


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