Greta Thunberg : changer tout pour que rien ne change

Garder la civiliation industrielle ET protéger la vie sur Terre est impossible, et indésirable

mercredi 25 septembre 2019, par Les Indiens du Futur.

Le cas Greta est l’occasion de réfléchir sur le discours dominant portant les illusions renouvelables et le développement durable écocidaire.
Pour arrêter le désastre climatique, écologique, politique et social il est crucial de ne pas s’enliser dans les voies qui le perpétue, et de créer une culture de résistance.

HAÏE PAR DES IMBÉCILES, ENCENSÉE PAR DES IDIOTS : LE CHEMIN DE CROIX DE GRETA

(un post de Nicolas Casaux, en version web sur site partage-le)

« Greta, je t’aime » ! « Merci Greta » ! « Quel courage » ! « Elle a du cran » !

Greta Thunberg, jeune fille sincère, et sans doute trop naïve, fait ce qu’elle peut — et ce qu’on attend d’elle – dans les circonstances qui sont les siennes. Paradoxalement, elle m’est sympathique.

Mais il y a quelque chose d’incroyablement indécent — et/ou stupide — dans le culte qu’une partie de la population lui voue. Une jeune fille blanche, issue de la bourgeoisie d’un pays parmi les plus riches du monde, choisie non pas par hasard, mais en raison de qui elle est (des membres de sa famille, de leurs relations, etc.), soutenue, depuis les prémisses de son épopée médiatique, par diverses personnalités ou organisations, riches, influentes ou puissantes, ferait ainsi preuve d’un mérite et d’un courage hors du commun en s’exprimant, après y avoir été invitée, au forum de Davos ou à l’ONU ?

On estime que, dans le monde, jusqu’à 1 milliard d’enfants de 2 à 17 ans ont subi des violences physiques, sexuelles, émotionnelles ou des négligences au cours de l’année écoulée. Ont-ils du courage ? Pourquoi aucune couverture médiatique, ou si peu, et autant pour Greta ? Des milliers d’enfants, en Afrique et ailleurs, sont réduits en esclavage dans des mines et d’autres camps de travail pour le compte du technocapitalisme mondialisé et de ses classes privilégiées. Ont-ils du mérite ?

Il y a une raison pour laquelle Greta Thunberg — et non pas quelque jeune Palestinienne forgée à l’anti-impérialisme, quelque jeune révolutionnaire zapatiste, quelque jeune anarchiste grecque d’Exarcheia, ou quelque jeune militant du Mouvement pour l’émancipation du delta du Niger — a été choisie afin de devenir une icône pour la jeunesse.
Tous ces jeunes auraient pourtant été en mesure, eux aussi, de nous parler, non seulement, du dérèglement climatique, mais en outre, et à la différence de Greta Thunberg, de nous rapporter bien plus de « vérités » sur le monde dans lequel nous vivons.

Car j’ai lu plusieurs fois que si Greta était si extraordinaire, c’était parce qu’elle disait « la vérité » (aux élites de la civilisation industrielle, aux médias de masse, au monde entier). La vérité ? Greta parle du désastre écologique en cours. Oui. Mais elle promeut aussi les soi-disant solutions élaborées par ces élites et pour la préservation de la civilisation techno-industrielle capitaliste — elle ne cesse de glorifier « la science », d’insister sur l’importance de respecter l’accord de Paris, de mettre en place les « solutions » préconisées par le GIEC (qui n’a rien d’un groupe anticapitaliste, ou anti-industriel). Ainsi qu’elle l’explique :

« Il faut que nous nous contentions de transmettre ce message, sans formuler de demandes, sans formuler aucune demande. Nous n’avons pas l’éducation qu’il faut pour nous permettre de formuler des demandes, il faut laisser cela aux scientifiques. Nous devrions simplement nous concentrer sur le fait de parler au nom des scientifiques, dire aux gens qu’il faut les écouter eux. Et c’est ce que j’essaie de faire. Ne pas avoir d’opinions vous-mêmes, mais toujours vous référer à la science. »

C’est pourquoi elle ajoute :

« Personnellement je suis contre le nucléaire, mais selon le GIEC, il peut constituer une petite partie d’une grande solution énergétique décarbonée, particulièrement dans les pays et les régions qui ne disposent pas de possibilités pour développer massivement les énergies renouvelables […]. »

Cela étant, je n’ai jamais entendu Greta dénoncer les multiples formes de violence systémique, la coercition, la servitude, la dépossession, l’aliénation, l’ethnocide, le militarisme, ou encore le patriarcat sur lesquels reposent le capitalisme et la civilisation depuis des décennies, des siècles. Pour le dire autrement, je n’ai jamais entendu Greta Thunberg dénoncer le cours actuel des choses pour des raisons sociétales (autres que climato-écologiques). Je n’ai jamais entendu Greta expliquer ou suggérer que l’État (« Autorité politique souveraine, civile, militaire ou éventuellement religieuse, considérée comme une personne juridique et morale, à laquelle est soumis un groupement humain, vivant sur un territoire donné », selon la définition du CNRTL), le capitalisme, ou l’industrialisme, pouvaient être des problèmes, des obstacles à la résolution des problèmes écologiques qu’elle souligne à juste titre. Ni même poser la question.

En revanche, j’ai entendu Greta affirmer, à de nombreuses reprises, qu’elle ne voulait pas particulièrement faire ce qu’elle fait, qu’elle ne devrait pas faire ce qu’elle fait, être là où elle est, qu’elle devrait plutôt « être à l’école ». Idée formulée de diverses manières par diverses jeunes personnalités du « mouvement pour le climat » (ou « mouvement climat »). Toujours en ce sens que si, enfin, vous, les dirigeants, vous décidiez à agir pour gérer la crise climatique, nous, les enfants, pourrions retourner à l’école et la vie reprendre son cours si juste, bon et normal. Seulement, « la vérité », c’est que l’école en tant qu’institution n’a toujours été, pour les dirigeants étatiques, industriels, et désormais pour les technocrates, qu’un « moyen de diriger les opinions politiques et morales » (dixit un des pères de l’éducation nationale, Napoléon Bonaparte). Ainsi que François Guizot l’a formulé, « le gouvernement » a toujours « pris soin de propager, à la faveur de l’éducation nationale, sous les rapports de […] la morale, de la politique, les doctrines qui conviennent à sa nature et à sa direction, ces doctrines acquièrent bientôt une puissance contre laquelle viennent échouer les écarts de la liberté d’esprit et toutes les tentatives séditieuses ». Elwood P. Cubberley, doyen de L’école d’enseignement et éducation à l’Université de Stanford, expliquait, lui, que :

« Nos écoles sont, dans un sens, des usines, dans lesquelles les matériaux bruts – les enfants – doivent être façonnés en produits. […] Les caractéristiques de fabrication répondent aux exigences de la civilisation du 20e siècle, et il appartient à l’école de produire des élèves selon ses besoins spécifiques. »

(Tout ceci explique pourquoi l’école ne produit pas massivement des anticapitalistes, des anarchistes ou des anti-industriels.)

Donc lorsque Greta Thunberg suggère que si seulement nos dirigeants agissaient, les enfants du « mouvement climat » pourraient enfin retourner à l’école, elle se fait — une fois de plus — la défenseuse d’une société, d’un type de société, infiniment plus problématique qu’elle ne le laisse entendre.

Bien sûr, j’en entends déjà me répondre qu’elle fait ce qu’elle peut, que son discours n’est pas parfait mais — mais, mince, je croyais que son mérite était précisément de dire « la vérité », toute la vérité, rien que la vérité. Ou d’autres, encore, me dire qu’elle va y arriver, qu’elle débute, qu’il faut lui laisser le temps, que ce n’est qu’une enfant, et qu’on ne peut pas attendre beaucoup plus d’une enfant — ce qui est faux, ainsi que je l’ai rappelé plus haut. Comme si le jour où elle se mettrait à tenir un discours véritablement subversif — y compris vis-à-vis des médias de masse et de leur rôle dans l’avènement de la présente situation politique, sociale, écologique, etc. — ne serait pas aussi le jour où elle disparaitrait desdits médias de masse.

On constate le caractère ridiculement superficiel des revendications de son cercle dans les demandes de l’action juridique qu’elle a récemment intentée, aux côtés de 15 autres jeunes, à l’encontre de cinq États :

« Nous recommandons que les répondants revoient et, quand nécessaire, amendent leurs lois et politiques nationales et sous-nationales afin d’assurer que la mitigation et les efforts d’adaptation soient accélérés autant que le permettent les ressources disponibles et sur la base des meilleures données scientifiques afin (1) de protéger les droits des plaignants et (2) de faire en sorte que l’intérêt de l’enfant soit une considération primordiale, particulièrement en ce qui concerne les coûts et les charges qu’impliquent la mitigation du — et l’adaptation au — changement climatique.

Nous recommandons que chaque répondant initie une action coopérative internationale — et intensifie ses efforts en ce qui concerne les initiatives de coopération existantes — afin d’établir des mesures contraignantes et applicables pour atténuer la crise climatique, prévenir d’autres nuisances vis-à-vis des plaignants, et garantir leurs droits inaliénables. »

Il s’agit donc de demander aux dirigeants de consacrer de l’argent et des lois à l’atténuation du changement climatique, ainsi qu’à l’adaptation de notre société, la société techno-industrielle capitaliste, audit changement. Ce qui reflète bien les raisons d’être du mouvement initié par Greta Thunberg. Mouvement avant tout constitué, semble-t-il, en raison d’une inquiétude de ses membres pour leur propre avenir au sein de la civilisation techno-industrielle— « vous me volez mon avenir », « vous vous foutez de mon avenir », sont des phrases que Greta Thunberg répète régulièrement. (Et non pas en raison, encore une fois, de la nature inique, fondamentalement antidémocratique, coercitive, esclavagiste, violente, aliénante, de la civilisation techno-industrielle capitaliste ; Greta voudrait simplement que la crise climatique soit gérée afin de pouvoir retourner à l’école, à sa place, ou plutôt à la place que l’on assigne aux enfants dans la société industrielle). Et donc un mouvement qui participe à entretenir cette espérance absurde selon laquelle il est souhaitable et devrait être possible d’une part, de conserver l’essentiel de la civilisation techno-industrielle, de garantir son avenir, mais aussi, d’autre part, de stopper le réchauffement climatique et de mettre un terme à la destruction du monde naturel. C’est-à-dire un mouvement aux aspirations contradictoires, et pour partie indésirables.

Espérance qui garantit son soutien de « solutions » absurdes qui ne font — ainsi qu’on le constate déjà en observant les conséquences du développement des industries des énergies dites « propres », et autres technologies dites « vertes » — et ne feront qu’aggraver la situation. Et tous les grétiens (membres du culte de Greta) de s’en réjouir. Se pourrait-il qu’à travers les cris de soutien à Greta Thunberg ce ne soit « pas la révolte qu’on entend, mais la soumission anticipée aux états d’exception, l’acceptation des disciplines à venir, l’adhésion à la puissance bureaucratique qui prétend, par la contrainte, assurer la survie collective [le GIEC et ses préconisations] » (ainsi que le formulent Jaime Semprun et René Riesel dans leur excellent livre "Catastrophisme, administration du désastre et soumission durable") ? On comprendra que le fait de parvenir à stimuler et rassembler (une partie de) « la jeunesse » autour d’une telle ambition puisse ne pas apparaitre comme une grande victoire.

Car au bout du compte, la plupart de ceux qui encensent Greta et de ceux qui l’attaquent bêtement, malignement ou cyniquement, se rejoignent sur un point, sur un objectif — au moins. Tous espèrent que la civilisation industrielle parviendra à se perpétuer, à assurer son avenir. Soit le but même de toute « nouvelle religion » : « changer tout pour que rien ne change ».

Nos remarques

Ici dans la Drôme, on voit encore beaucoup de ceux qui se disent écolos (élus, entrepreneurs, habitant.e.s, EELV...) être fans de Greta et se fourvoyer dans des variantes du développement durable. De plus, ils ne formulent généralement aucune critique sur les dures questions sociales imposées par le capitalisme et les bourgeois ici et ailleurs.

En plus d’être néfaste pour le climat, les sols et les animaux, la civilisation industrielle et capitaliste exploite et détruit les humains partout depuis des lustres, la réformer ou tenter (en vain, car c’est impossible) de la verdir ne permettra pas de créer des sociétés soutenables et vivables.
D’autant que les employés s’opposeront à la fin de leurs usines et activités néfastes s’il n’y a rien à mettre à la place.
- voir aussi ce bon article : Quand le mouvement climat deviendra écologique… - Si la mobilisation écologiste semble de retour, elle doit éviter de se laisser enfermer dans le seul combat pour le climat et réinvestir le champ de la lutte sociale pour cesser d’être une « préoccupation bourgeoise ».

Dans la Drôme, à part peut-être Extinction Rebellion récemment ?, il n’existe pas de mouvement écologiste radical et généraliste qui s’en prend aux fondements de la civilisation industrielle et capitaliste, il n’y a que des individus isolés. On ne voit que des associations et collectifs qui s’intéressent à un secteur particulier chacun isolément (chasse, oiseaux, rivières, agriculture, centre aquatique indésirable...). Idem pour les alternatives à ce système suicidaire (qui souvent restent bien timides et tournent à l’entreprenariat privé).
Heureusement, les gilets jaunes ont commencé à briser en partie les frontières et les clans.

A quand une tentative de vision plus globale et plus profonde ?
A quand une mise en relation, une solidarité entre les groupes ? (il semble qu’un événement autour de ce sujet se prépare pour la Vallée de la Drôme pour fin novembre...)
A quand une culture de résistance partagée ?

Nous y contribuerons.

Pour en finir pour de bon avec les illusions suicidaires de la croissance verte et du développement durable, quelques articles


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