L’affichage sauvage de Ricochets sur les murs de la ville n’a pas l’heur de plaire à tous. Faut-il décoller le journal, un peu comme on brûle des livres ? « …il n’y a pas à en discuter mais à agir », estime un lecteur architecte.
La proposition a quelque chose de glaçant. Elle invite à l’autoritarisme. Or ce qui se déroule aujourd’hui, dans la région et bien au-delà, vise à redonner aux gens droit de regard sur leurs vies, leur environnement, à reprendre la parole. De la présence d’un média sur les murs de la ville, il faut donc bien au contraire discuter, rediscuter, analyser, reformuler, soupeser, proposer.
On pourra s’interroger par exemple sur l’absence de panneaux ad-hoc, prévus à dessein, pour l’expression populaire libre sur les murs des édifices publics. On se souviendra que les affiches en grands caractères (dazibao) ont joué un grand rôle dans le mouvement démocratique chinois.
On prendra ensuite quelque distance avec certaines positions implicites de l’architecture : car l’architecture apparaît au néolithique au moment où les sociétés se stratifient socialement (Göbekli Tepe, Stonehenge, stèles « nationales », telle celle découverte à Die, etc). C’est aussi à cette période que l’archéologie, en Chine, Europe ou méso-Amérique, exhume les premiers témoignages de sanglantes révoltes populaires. [1] D’Imhotep (architecte du pharaon Ramsès) jusque Jean Nouvel, Charpentier et consorts, l’architecte est globalement du côté du manche, (il y a quelques obscures exceptions) et conforte le pouvoir des oligarchies, qui n’est que la confiscation du pouvoir populaire.
C’est pour cela que les architectes, qui voient la ville ou le bâtiment comme une œuvre d’art, aiment les murs lisses, propres, dont aucun accident visuel ne vient troubler l’esthétique des belles lignes qu’ils ont tirées. D’abord le pouvoir-client, l’œuvre de pierre ensuite qui magnifie l’ego des puissants et celui de l’architecte, les gens en dernier lieu : voilà l’ordre des préoccupations architecturales.
L’ordre est-il promesse de beauté ? Il suffit d’avoir dans l’œil la stupéfiante beauté de Ghardaïa (Algérie), que nul architecte n’a conçue, mais qu’une foule de bâtisseurs anonymes, durant des générations, a construite, selon le désir de chacun, sans plan d’ensemble, pour comprendre que le foisonnement collectif est de loin supérieur à la sécheresse ordonnée – et souvent narcissique – de l’architecture officielle. Versailles et ses jardins sont d’une laideur affligeante.
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Par ailleurs, on peut s’étonner du fait que l’affichage sauvage de Ricochets choque, alors que l’affichage publicitaire – dont le but, pervers, est d’intoxiquer la psyché – semble lui ne pas poser question, alors même que nombre de ces publicités est illégal, dans leur message ou leur emplacement. On s’étonnera également que la repoussante laideur des entrées de ville françaises - nous sommes champion du monde de l’esthétique dépravée des entrées urbaines – paraît ne choquer aucun urbaniste ou architecte (L’agglomération valentinoise détient la palme française de la monstruosité urbanistique). Apparemment deux poids et deux mesures existent selon que l’affiche est au format A3 plutôt que 4 x 3 mètres.
Il y a donc, avant d’agir sans réfléchir, largement matière à discuter. Il y a matière à proposer : des panneaux d’affichage libre judicieusement placés à destination des piétons ; matière à suggérer à des particuliers d’afficher Ricochets sur leurs fenêtres, chez eux, côté intérieur, comme il se fit parfois en Chine pour contourner les interdictions.
Le simple fait d’être amené à suggérer des solutions auxquelles on recourt dans les dictatures éclaire le pitoyable état de l’expression libre, démocratique et populaire dans notre pays.
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