Extirper le déni ?

De Juliette Keating

vendredi 19 juin 2020, par janek.

Tu n’existes pas. Ton corps noir, ta voix noire, ton être noir, ta pensée noire, ton langage noir, tes affects noirs n’existent pas. Tu n’as pas d’histoire, pas de récit. Nul passé, avenir nul. Tu n’es rien ni personne. Pas même notre cauchemar que l’aube pâle efface.

Tu n’existes pas. Ton corps noir que notre police frappe, tes mains noires que notre police menotte, ta gorge noire que notre police serre jusqu’à l’étouffement, jusqu’à ta mort, n’existent pas. Ta voix n’existe pas. C’est un son inaudible tiré de ta bouche qui n’existe pas. Ton corps noir, ta voix noire, ton être noir, ta pensée noire, ton langage noir, tes affects noirs n’existent pas. Tu n’as pas d’histoire, pas de récit. Nul passé, avenir nul. Tu n’es rien ni personne. Pas même notre cauchemar que l’aube pâle efface.

Si tu existais, nous les verrions, les violences policières qui s’abattent sur toi. Ailleurs, peut-être : oui. Là-bas, par-delà l’Atlantique, loin de notre République qui protège tous ses enfants. Tous et toutes. C’est écrit dans nos lois. Ici, non : ce qui ne peut pas être n’existe pas. Pas de violence policière. Il y a des vidéos, dis-tu, il y a des photos. Mais comment appeler preuves des images de ce qui n’existe pas ?

Si tu existais, nous t’entendrions crier que tu ne peux pas respirer. Nous t’écouterions expliquer que tout ce qui vient de nous t’est hostile, humiliant, dangereux, interdit. Mais dans notre République, l’égalité des citoyenNEs est garantie par les textes. Pas de racisme systémique. L’oppression et la relégation que tu subis n’existent pas.

Si tu existais, nous te ferions place. Place au cœur de nos villes blanches, place dans nos musées blancs, place dans nos meilleures écoles blanches, place dans nos cercles du pouvoir blancs, dans nos postes à prestige blancs, parmi nos universitaires blancHEs, les ingénieurEs blancHEs, les journalistes et les experts blancHEs. Partout où il y a quelque chose à gagner dans la lutte des places tenue par les Blancs. Mais tu n’occupes pas les belles places blanches.

Pas plus que la race, tu n’existes pas.

Ou si peu.

Seulement dans les rôles où nous te confinons. Aux places où nous t’assignons à résidence parce que tu n’existes pas.

Comme notre autre irrémédiable, comme notre ennemiE intérieurE, comme la cause de tous les maux, comme ce qui justifie notre existence blanche, notre supériorité et nos privilèges.

Comme l’exploitéE de toujours, comme l’immigréE à jamais, comme l’éternelLE domestique, comme objet de notre charité et de nos dédains.

Comme notre exemple méritocratique que l’on tire de l’ombre pour enfoncer celleux qui n’existent pas dans une ombre plus épaisse encore, comme notre faire-valoir qui nous met si bien en valeur, comme la preuve définitive que nous ne sommes pas racistes.

Nous ne te laisserons pas exister.

Puisque que nous n’existons pas en dehors de ton inexistence.

Voir en ligne : https://blogs.mediapart.fr/juliette...


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