Voici des textes et un livre à rebrousse poil de certaines pensées dominantes dans certains milieux écologistes, à gauche et ailleurs (foi au progrès et à la technologie émancipatrice, développement durable, énergies "vertes", électricité, résilience...), non pour le plaisir de s’opposer, par provocation ou pour la recherche de la polémique, mais pour clarifier des points vitaux.
Car s’il faut se garder de l’hostilité horizontale à tout va et du radicalisme de la pureté impossible, on doit aussi éviter de s’enliser davantage dans des impasses mortelles.
FAUX-AMIS ET VRAIS ENNEMIS : DU PROGRÈS DANS LA NEUTRALISATION DES LUTTES
À l’ère des tempêtes de sable radioactives, des continents de plastique, du réchauffement climatique, des déchets spatiaux — toujours plus nombreux — encombrant l’exosphère, de l’évidement des océans, de la destruction généralisée des biomes, des biotopes et des espèces vivantes, de la pollution généralisée de toutes les eaux du globe, des sols et de l’atmosphère, à l’heure de l’empoisonnement universel du vivant, de la contamination du lait maternel par une myriade de substances chimiques toxiques (pesticides, phtalates, retardateurs de flamme bromés, composés perfluorés ou perfluorocarbures, métaux lourds, dioxines, etc.), à l’heure où les inégalités sociales excèdent furieusement tout ce qu’on avait jamais pu connaître par le passé et continuent de croître rapidement, où l’immense majorité des êtres humains, confinés, dépossédés, sont condamnés à l’impuissance par leur assujettissement plus ou moins volontaire (mais plutôt moins que plus, fabrication du consentement oblige) à un système social et technologique largement hors de leur contrôle, de tout contrôle humain, sorte de gigantesque machine emballée et désormais en mesure de s’auto-mouvoir, de s’auto-développer, à l’heure du patriarcat mondialisé et de ses violences systémiques à l’encontre des femmes et des enfants, à l’heure de la répression des soulèvements populaires par des polices militarisées, technologiquement suréquipées, bref, à l’heure où les trois forces indissociables de l’État, du capitalisme et de la technologie (fondées sur le patriarcat) écrasent l’humanité et détruisent le monde, il importe plus que jamais de parvenir à savoir ce que l’on veut, ce qui est souhaitable, ce qui est possible, de savoir distinguer le faux du vrai, le leurre du réel (le développement de nouvelles industries de production d’énergie faussement « verte » d’une véritable lutte pour la défense de la nature ; l’aspiration à des impôts « plus justes » ou à une agrémentation ou une meilleure rétribution de la servitude moderne d’une véritable équité ou justice sociale), l’idiot utile du système (célébrité ou militant de gauche ou écolo) du partisan d’une véritable émancipation, libération.
Dans la situation présente, où rares sont ceux qui se soucient significativement, réellement, des injustices, de l’oppression sociale, de la destruction de la nature, d’endiguer le désastre en cours, débusquer les faux-amis des luttes sociales et environnementales en vue d’essayer d’organiser ou de fédérer les quelques concernés paraît tout aussi important que d’exposer les fondements dudit désastre — les deux vont d’ailleurs plutôt bien ensemble.
(Il est d’ailleurs assez consternant d’avoir à exposer en quoi les propos de telle ou telle personnalité médiatique relèvent du boniment, sachant qu’ils auraient immédiatement été perçus ainsi par — pour prendre un exemple — les lecteurs de La Gueule Ouverte dans les années 70. La crétinisation générale n’épargne aucun milieu.)
(Post de Nicolas Casaux)
Voir aussi : La pire erreur de l’histoire de la gauche (par Nicolas Casaux) (...) conclusion : La gauche parviendra-t-elle à se défaire à temps de ces illusions léthifères, de ces chimères absurdes ? C’est peu probable. Elles ont pour elles un immense capital médiatique, monétaire, psychologique, une colossale inertie mentale, sociétale. Et peut-être est-il déjà bien tard. Si la société techno-industrielle doit être démantelée, ce ne sera sans doute pas volontairement par un effet de la volonté de la majorité de ses membres, mais plus probablement par la force de phénomènes naturels ou de groupuscules suffisamment déterminés et organisés.
- Ecologie et luttes sociales : faux-amis et vrais ennemis, une clarification vitale
LE DÉMON ÉLECTRICITÉ…
…s’est emparé d’à peu près tous les esprits civilisés. Personne, ou presque, ne souhaite ou n’imagine un avenir sans électricité. La pyramide de Maslow s’est haussée d’un étage (au moins). Ils ont beau jeu, les progressistes et autres gauchistes qui raillent le fameux mot de George Walker Bush selon lequel « le mode de vie américain n’est pas négociable ». Pour la quasi-totalité des civilisés, « le mode de vie civilisé [c’est-à-dire industriel et technologique, du moins un minimum] n’est pas négociable ».
Produire de l’électricité pour alimenter ces appareils essentiels à une vie humaine digne de ce nom (ordinateurs, téléphones, téléviseurs, réfrigérateurs, etc.). Voilà l’important. Même l’écologie, aujourd’hui, consiste en cela. Certains (le camp Cyril Dion) vantent les mérites des technologies de production d’énergie dite renouvelable/propre/verte de type photovoltaïque/éolien/hydroélectrique. D’autres, plus idiots et plus dangereux encore (le camp Jancovici), ceux du nucléaire. Mais tout le monde s’accorde sur la nécessité de produire de l’électricité et les appareils qu’elle sert à alimenter, sur la conservation de l’essentiel de ce qui fait la civilisation industrielle (ses infrastructures, routes, bâtiments, etc., son fonctionnement général, le travail, l’argent, etc.).
Yves-Marie Abraham nous propose ici d’y réfléchir :
Le prix de l’électricité. Essai de contribution à l’Encyclopédie des nuisances - Que ce soit en tant que vecteur d’énergie ou vecteur d’information, l’électricité est partie prenante de la plupart des solutions techniques qui sont envisagées aujourd’hui pour faire face aux conséquences de la catastrophe écologique en cours. Elle apparaît en somme comme une planche de salut au moment où l’avenir de la civilisation industrielle suscite de plus en plus d’inquiétudes. En réalité, la poursuite de l’électrification du monde, qu’il s’agisse par exemple d’adopter la voiture électrique ou de soutenir les progrès de l’Intelligence dite artificielle, ne fait qu’aggraver le désastre auquel elle prétend remédier. Elle contribue en outre à nous rendre toujours plus dépendant·e·s de macrosystèmes au sein desquels nous finissons par jouer le rôle de simples rouages… ou de microprocesseurs. Si nous tenons à la vie et à la liberté, nous n’avons pas d’autre choix que d’entreprendre la désélectrification de nos sociétés.
- Ecologie et luttes sociales : faux-amis et vrais ennemis, une clarification vitale
- L’électricité, comme tous les dispositifs techniques, n’est pas neutre
Contre la résilience - À Fukushima et ailleurs
« Contre la résilience » : Un livre de Thierry Ribault, Editions l’Echappée
- Ecologie et luttes sociales : faux-amis et vrais ennemis, une clarification vitale
- Livre « Contre la résilience »
Résumé :
Funeste chimère promue au rang de technique thérapeutique face aux désastres en cours et à venir, la résilience érige leurs victimes en cogestionnaires de la dévastation. Ses prescripteurs en appellent même à une catastrophe dont les dégâts nourrissent notre aptitude à les dépasser. C’est pourquoi, désormais, dernier obstacle à l’accommodation intégrale, l’« élément humain » encombre. Tout concourt à le transformer en une matière malléable, capable de « rebondir » à chaque embûche, de faire de sa destruction une source de reconstruction et de son malheur l’origine de son bonheur, l’assujettissant ainsi à sa condition de survivant.
À la fois idéologie de l’adaptation et technologie du consentement à la réalité existante, aussi désastreuse soit-elle, la résilience constitue l’une des nombreuses impostures solutionnistes de notre époque. Cet essai, fruit d’un travail théorique et d’une enquête approfondie menés durant les dix années qui ont suivi l’accident nucléaire de Fukushima, entend prendre part à sa critique.
La résilience est despotique car elle contribue à la falsification du monde en se nourrissant d’une ignorance organisée. Elle prétend faire de la perte une voie vers de nouvelles formes de vie insufflées par la raison catastrophique. Elle relève d’un mode de gouvernement par la peur de la peur, exhortant à faire du malheur un mérite. Autant d’impasses et de dangers appelant à être, partout et toujours, intraitablement contre elle.
Pierre Fournier et Gébé, par Renaud Garcia (Bibliothèque verte de Pièces et main-d’œuvre)
L’histoire, fulgurante, de l’écologie avant les partis écologistes, de la révolte contre la société industrielle avant les accommodements de l’anticapitalisme vert
« Nous assistons, à partir des sociétés les plus technicisées, à un soulèvement, encore confus mais universel, du vivant contre ce qui le nie et le détruit, contre le monde irréel que la machine lui fait. Le cheval se cabre à la porte de l’abattoir. »
Pierre Fournier, Charlie Hebdo n°12, 8 février 1971.
"Si la gauche française peine à comprendre, le mouvement écologiste américain intéresse beaucoup Fournier, qui entrevoit des promesses dans la Nouvelle Gauche (New Left), parrainée par une figure prestigieuse comme Aldous Huxley. Le ’movement’ donne également des idées au génial mathématicien Alexandre Grothendieck, qui fonde, en juillet 1970, avec quelques autres universitaires réunis à Montréal, le « mouvement international pour la survie de l’espèce humaine », nommé ’Survivre’.
En plein colloque, celui qui est alors professeur associé au Collège de France, et démissionnaire de l’Institut des hautes études scientifiques (subventionné en partie par le ministère de la Défense) interrompt son intervention pour distribuer à ses collègues une dissertation critiquant la recherche scientifique. Survivre défend des buts écologistes et pacifistes, contre le péril atomique et l’industrialisation galopante, qui incarnent tous deux la volonté de puissance d’une science devenue indiscernable de ses applications techniques et militaires.
Le premier bulletin du mouvement paraît en août 1970. Dès la fin de l’année, Grothendieck découvre, enthousiaste, les chroniques de Pierre Fournier. Le mathématicien, qui situe l’alternative entre la révolution écologique et la disparition de l’humanité, rejoint le dessinateur militant. Ils vont œuvrer ensemble, en 1971, au combat antinucléaire, épaulés par plusieurs autres petits groupes : l’Association pour la protection contre les rayonnements ionisants (APRI), fondée par le vétéran de la lutte antinucléaire Jean Pignero ; le Comité de sauvegarde de Fessenheim et de la plaine du Rhin (CSFR), en partie rejeton de l’APRI, fondé à l’initiative de Françoise Bucher, Esther Peter-Davis et Annick Albrecht, trois militantes opposées au projet de centrale à Fessenheim, dans le Haut-Rhin ; les Amis de de la Terre, équivalent français des Friends of the Earth états-uniens ; ou encore Aguigui Mouna, le Diogène de mai 68, qui sillonne Paris à vélo.
C’est aussi l’époque où Fournier est approché par un instituteur rural de la région de Bourg-en-Bresse, Emile Prémillieu. Cet ancien gauchiste multiplie les tentatives d’éducation populaire dans la région lyonnaise. Il s’intéresse au Living Theatre, anime des ciné-clubs, organise des projections suivies de débats dans les usines. Il finit par lire Hara-Kiri et Charlie Hebdo, où les chroniques de Fournier attirent son attention sur le problème nucléaire, aussi bien civil que militaire. Il découvre alors qu’un projet de centrale nucléaire est en cours depuis 1965 dans l’Ain, à Saint-Vulbas. Au culot, il vient frapper à la porte de son voisin Fournier, alors occupé à rassembler des informations sur le projet du Bugey, pendant que se profile, en avril 1971, la première manifestation contre la centrale de Fessenheim. Les deux hommes ne se quitteront plus, du comité Bugey-Cobayes jusqu’au lancement de La Gueule ouverte.
Ils se rendent à Fessenheim, Fournier se rapproche du Groupe d’action et de résistance à la militarisation (GARM) et couvre pour Charlie Hebdo des évènements comme l’anti-Quinzaine de l’Environnement, clôturée par la Fête de la Terre, au bois de Vincennes, où l’on remarque à la tribune le sage pacifiste Lanza del Vasto, fondateur de la communauté de l’Arche, et l’écrivain René Barjavel, auteur de ’Ravage’ et de ’La nuit des temps’. Aux yeux de Fournier, l’effervescence gagne. Le plus remarquable, c’est que cette accrétion de petits groupes et de francs-tireurs, finissant par former un milieu, ne s’effectue sous la direction d’aucun intellectuel patenté. « Se démerder sans idéologie », voilà un autre trait qui, selon Fournier, distingue l’écologie des sous-groupes trotskistes de l’époque..."
Voir "Pierre Fournier et Gébé, par Renaud Garcia" (Bibliothèque verte de Pièces et main-d’œuvre)
(...) Telle est donc la brève histoire de Pierre Fournier. L’histoire, fulgurante, de l’écologie avant les partis écologistes, de la révolte contre la société industrielle avant les accommodements de l’anticapitalisme vert. Laissons, pour terminer, la parole à Charbonneau, auteur de cet hommage dans Le feu vert, en 1980 :
Comme pour les jeunes de sa génération, ignorants du passé, le « problème écologique » avait été une véritable découverte, ce qu’on ne peut dire des vieux convertis sur le tard. Pour crier dans un journal de gauche les méfaits du développement et ses gaspillages, à rebours de la mythologie du progrès matériel, il fallait avoir le courage et la liberté de s’opposer à son propre milieu. Fournier le disait dans le langage des jeunes, mais sans complaisance. Il n’annonçait pas les lendemains qui chantent, mais la fin des temps, pressentant peut-être que le sien était compté. La mort de Fournier est une lourde perte pour le mouvement écologique, car on ne voit guère aujourd’hui qui peut lui maintenir, avec son intransigeance, un sérieux qui n’est pas forcément celui des chiffres.
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