Ecologie, climat, biodiversité, questions sociales... Regarder l’horreur en face de manière lucide et salvatrice !

Reconnaître la réalité pour agir en rapport au lieu de s’égarer dans des chimères suicidaires

vendredi 28 février 2020, par Les Indiens du Futur.

Cette article invite à regarder comment la civilisation industrielle exploite les humains, détruit le vivant, et délocalise nombre d’horreur qui lui sont intrinsèques dans d’autre pays, loin des regards...
On ne peut être bien dans une société profondément malade.
Un article essentiel et vital à plus d’un titre :
- Voyons-nous « les choses en noir » ou sont-ils incapables de regarder l’horreur en face ? (par Nicolas Casaux)

Ecologie, climat, biodiversité, questions sociales... - Regarder l’horreur en face !

- Extraits :

En n’appelant pas un chat un chat, en minimisant, en relativisant, en s’accommodant, en n’allant pas au fond des choses, en oubliant, collectivement, nous nous habituons graduellement et docilement à un véritable enfer. Ce n’est pas une discussion facile, mais c’est une discussion vitale

Si vous n’appréciez pas l’injustice, vous avez un problème, soignez-vous  ! Jack Turban n’envisage tout simplement pas que les individus « prosociaux » sont peut-être tout à fait sains d’esprit, et que le problème se situe plutôt du côté de l’organisation politico-économique dominante, désormais mondialisée, du côté du capitalisme d’État, de la civilisation industrielle, du côté de la société marchande et technologique, du côté de la culture toxique dans laquelle nous baignons.

« Tandis que nos habitats sont au bord de la destruction, que l’horreur empoisse notre expérience quotidienne, que la protection de la vie exige que l’on affronte ces horreurs, l’élimination du stress est-elle possible  ? Est-il honnête de s’adapter  ? »

« L’écopsychologie explique que l’élimination du stress n’est pas possible en cette période écologique. La psychologie étant l’étude de l’esprit, et l’écologie l’étude des relations naturelles créant la vie, l’écopsychologie expose l’impossibilité d’étudier l’esprit en dehors de ces relations naturelles et nous encourage à examiner les types de relations nécessaires à l’esprit pour qu’il soit vraiment sain. En observant la dépression au travers du prisme de l’écopsychologie, on peut l’expliquer comme le résultat de problèmes dans nos relations avec le monde naturel. La dépression ne peut être soignée tant que ces relations ne sont pas réparées. »

Regarder l’horreur de la civilisation industrielle en face

« Les humains civilisés empoisonnent l’air et l’eau, modifient l’espace, assassinent les espèces, détruisent les champignons, les fleurs, et les arbres, contaminent les cellules, font muter les bactéries, et condamnent les levures. Bref, ils menacent la capacité de la planète à accueillir la Vie. Les civilisés détruisent non seulement ceux dont nous dépendons, avec qui nous avons besoin d’être en relation, mais ils détruisent également la possibilité que ces relations existent dans le futur. Chaque langue autochtone perdue, chaque espèce précipitée vers l’extinction, chaque hectare de forêt rasé est une relation condamnée aujourd’hui et à jamais.

En vivant de manière honnête dans cette réalité, nous nous ouvrons à la dépression. […]

Dans le monde civilisé, la douleur et le traumatisme sont le reflet d’innombrables phénomènes. La destruction est devenue si totale que la conscience ne trouve nulle part où s’apaiser, nul lieu préservé des stigmates de la violence. »

« Accepter la nature immuable de la dépression me soulage de la recherche d’un traitement. La recherche personnelle d’un traitement est rapidement convertie par la dépression en injonction à aller mieux. Cette injonction se transforme en sentiment d’échec tandis que les symptômes de la dépression s’intensifient. Alors que le monde brûle, le stress à l’origine de la dépression est toujours présent. Je peux me protéger efficacement de cette dépression pendant un moment, mais, la violence est à ce point totale, le traumatisme tellement évident, qu’il y aura des moments où le stress surpassera mes défenses. Ce n’est pas un échec personnel, et ce n’est pas de ma faute. Je me bats avec autant de force que possible, mais je ne gagnerai pas toujours.

Le plus important, c’est que cette acceptation fait de moi un meilleur activiste. Je ne peux séparer mon expérience des innombrables humains et non-humains qui rendent cette expérience possible. Heureusement, l’écopsychologie m’offre un lexique pour parler des relations créant mon expérience. Comprendre que ce stress omniprésent, engendré par la destruction systémique des relations qui font de nous des humains, est à l’origine de ma dépression, me libère de la voix qui me dit que ma dépression est de ma faute.[…]

Vous n’entendrez peut-être pas la Vie prononcer les mots : “Arrêtez la destruction”. Mais les langages de la Vie sont aussi divers que les expériences physiques. La douleur de la dépression est une expérience physique, il s’ensuit que la Vie parle au travers de la dépression. Cette douleur me hantera le restant de mes jours. La vie continue de parler. Elle nous dit : “Résistez  !” »

En plus d’encourager et de récompenser les comportements antisociaux entre ses propres membres (à travers le fonctionnement normal de ses institutions, de l’économie de marché, du capitalisme d’État), la civilisation industrielle anéantit les peuples indigènes qui subsistent encore (ainsi que l’ONU le formule, de manière impersonnelle et auto-déculpabilisante : « les cultures autochtones d’aujourd’hui sont menacées d’extinction dans de nombreuses régions du monde ») et ravage tous les biomes de la planète. Au point qu’il est désormais couramment admis, même par les institutions et les médias dominants, qu’elle génère une sixième extinction de masse (un euphémisme pour décrire le fait qu’elle massacre allègrement toutes les espèces vivantes, on devrait donc parler de première extermination de masse).

Et pourtant, il se trouve toujours, même au sein des sphères militantes, ou des milieux qui se veulent relativement conscients de ce qui se passe, des individus pour machinalement qualifier de « trop négatif », « trop sombre », « trop noir », des discours ne faisant qu’énoncer des faits établis. Ceux qui ont le malheur de relier entre elles quelques-unes des atrocités en cours (parce qu’il est important d’appeler un chat un chat, et comment qualifier autrement un ethnocide, un écocide, etc.) sont accusés de « voir tout en noir ».

L’humanité industrielle a si peu de respect et d’amour pour ses propres enfants (ou tellement de mépris) qu’elle a mis en place un secteur publicitaire parfois qualifié de « marketing infantile » désignant « les processus utilisés par les entreprises pour conditionner les enfants à la consommation »  ; processus qui visent à utiliser les caractéristiques psychologiques des enfants, dont leur naïveté, pour leur vendre les montagnes de merdes toxiques que produisent des industries toutes plus antiécologiques et antisociales les unes que les autres. L’humanité industrielle a si peu de respect et d’amour pour ses propres enfants (ou tellement de mépris) que la nourriture – spirituelle (éducation) et matérielle (alimentation) – qu’elle leur fournit n’est qu’un ersatz toxique de ce qu’elle a été et de ce qu’elle pourrait être.

Regarder l’horreur de la civilisation industrielle en face, ici les méga-feux en Australie

pêle-mêle : le réseau d’exploitation sexuelle et d’esclavage salarial qui sévit actuellement dans l’agriculture sicilienne, au sein duquel des milliers de femmes sont violées et battues ; le réseau d’esclavage moderne qui exploite près de 40 000 femmes en Italie continentale, des Italiennes et des migrantes, dans des exploitations viticoles ; les viols et violences à l’encontre des mineurs et des femmes, épidémiques dans de nombreux pays, y compris en France (« 19.700 mineurs victimes de violences sexuelles en France en 2016, dont 78% de filles ») ; l’internet qui « déborde d’images d’agressions sexuelles d’enfants » (pour reprendre le titre d’une récente enquête, édifiante, du New York Times) ; les épidémies de suicides et la pollution massive qui frappent actuellement la région de Bangalore (qualifiée de capitale mondiale du suicide) en Inde, où le « développement » détruit les liens familiaux et le monde naturel ; l’exploitation de Burkinabés de tous âges dans les camps d’orpaillage du Burkina Faso, où ils vivent et meurent dans des conditions dramatiques, entre malaria et maladies liées à l’utilisation du mercure, au bénéfice des riches et puissantes multinationales des pays dits « développés » ; le sort des Pakistanais qui se retrouvent à trier les déchets électroniques cancérigènes des citoyens du « monde libre » [sic] en échange d’un salaire de misère (et de quelques maladies) ; l’exploitation de Nicaraguayens sous-payés (la main d’œuvre la moins chère d’Amérique centrale) dans des maquiladoras, où ils confectionnent toutes sortes de vêtements pour des entreprises souvent nord-américaines, coréennes ou taïwanaises ; les épidémies de maladies liées à la malbouffe industrielle, qui ravagent les populations du monde entier, dont les communautés du Mexique, deuxième pays au monde en termes de taux d’obésité et de surpoids, après les USA, particulièrement touché par les maladies liées au gras et au sucre, où 7 adultes sur 10 sont en surpoids ou obèses, ainsi qu’1 enfant sur 3 – d’après l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), les Mexicains sont les premiers consommateurs de soda (163 litres par personne et par an), et la population la plus touchée par la mortalité liée au diabète de toute l’Amérique latine ; l’exploitation d’enfants et d’adultes au Malawi dans des plantations de tabac (où ils contractent la « maladie du tabac vert » par intoxication à la nicotine) destiné à l’exportation, au bénéfice des groupes industriels comme British American Tobacco (Lucky Strike, Pal Mal, Gauloises…) ou Philip Morris International (Malboro, L&M, Philip Morris…) ; la transformation de l’Albanie en poubelle géante (où l’on importe des déchets d’un peu partout pour les traiter, ce qui constitue un secteur très important de l’économie du pays, des milliers de gens vivent de ça, et vivent dans des décharges, ou plutôt meurent de ça, et meurent dans des décharges) ; dans la même veine, la transformation de la ville de Guiyu en Chine, en poubelle géante de déchets électroniques (en provenance du monde entier), où des centaines de milliers de Chinois, enfants et adultes, travaillent à les trier, et donc en contact direct avec des centaines de milliers de tonnes de produits hautement toxiques (les toxicologues s’intéressent aux records mondiaux de toxicité de Guiyu en termes de taux de cancer, de pollutions des sols, de l’eau, etc.) ; la transformation de la zone d’Agbogbloshie, au Ghana, également en poubelle géante de déchets électroniques (en provenance du monde entier, de France, des USA, du Royaume-Uni, etc.), où des milliers de Ghanéens, enfants (dès 5 ans) et adultes, travaillent, en échange d’un misérable salaire, à trier les centaines de milliers de tonnes de produits hautement toxiques qui vont ruiner leur santé et contaminer les sols, l’air et les cours d’eau et les êtres vivants de la région ; la transformation de bien d’autres endroits, toujours dans des pays pauvres (Inde, Égypte, Bangladesh, Philippines, Malaisie, etc.) en poubelles géantes de déchets (électroniques, plastiques, etc.) ; l’enfouissement de déchets électroniques en France, dans différents endroits discrètement réservés à cet effet ; les pollutions environnementales en Mongolie (liées au « développement » du pays et notamment à son industrie minière), où des villes parmi les plus polluées au monde suffoquent dans ce que certains décrivent comme « un enfer » ; les destructions des récifs coralliens, des fonds marins et des forêts des îles de Bangka et Belitung en Indonésie, où des mineurs d’étain légaux et illégaux risquent et perdent leur vie à obtenir ce composant crucial des appareils électroniques, embourbé dans une vase radioactive ; la destruction en cours de la grande barrière de corail, en Australie, à cause du réchauffement climatique ; la contamination des sols et des cours d’eau de plusieurs régions tunisiennes, où du cadmium et de l’uranium sont rejetés, entre autres, par le raffinage du phosphate qui y est extrait, avant d’être envoyé en Europe comme engrais agricole (raffinage qui surconsomme l’eau de nappes phréatiques et qui génère une épidémie de maladies plus ou moins graves sur place) ; les déforestations massives en Afrique, en Amazonie, en Indonésie, et un peu partout sur le globe, qui permettent l’expansion de monocultures de palmiers à huile, d’hévéa, d’eucalyptus et d’autres arbres (parfois génétiquement modifiés) au profit de différentes industries ; l’expansion des plantations de soja et des surfaces destinées à l’élevage industriel, toujours au détriment des forêts et des biotopes naturels ; l’épuisement de nombreuses « ressources » non-renouvelables, dont différents métaux et minerais (épuisement que le déploiement actuel des infrastructures et des technologies industrielles liées à la production d’énergies soi-disant vertes ne fait et ne va faire qu’accélérer) ; les épidémies de maladies dites de civilisation (diabètes, asthme, allergies, maladies cardio-vasculaires, cancer, obésité, schizophrénie, troubles mentaux en tous genres, angoisses, stress, dépression et désormais, même, la solitude : « 66% des moins de 35 ans déclarent se sentir seuls, soit deux personnes sur trois »), qui témoignent d’un mal-être généralisé et engendrent une consommation record de psychotropes, ainsi qu’un récent article de France Inter le rapporte : « Intensification des conditions de travail, isolement et hyper-disponibilité, 20 millions d’actifs en France (sur 29 millions) consomment des médicaments psychotropes légaux ou illégaux » ; le fait qu’au cours des soixante dernières années, 90% des grands poissons, 70% des oiseaux marins et, plus généralement, 52% des animaux sauvages, ont été tués ; que depuis moins de 40 ans, le nombre d’animaux marins, dans l’ensemble, a été divisé par deux ; le fait que, d’après le rapport Planète vivante 2018 du WWF, « entre 1970 et 2014, l’effectif des populations de vertébrés sauvages a décliné de 60% » ; le fait que certains scientifiques estiment que d’ici 2048 les océans n’abriteront plus aucun poisson, que d’autres estiment que d’ici 2050, il y aura plus de plastiques que de poissons dans les océans, que d’autres, encore, prévoient que d’ici à 2050, la quasi-totalité des oiseaux marins auront ingéré du plastique ; le fait que « des scientifiques estiment qu’au cours des vingt prochaines années, 70 à 90% de tous les récifs coralliens seront détruits en raison du réchauffement des océans, de leur acidification et de leur pollution » ;
et ainsi de suite, etc., ad nauseam, les mots manquent pour exprimer l’horreur de la situation, du désastre en cours, et on se dit que vraiment, il faut que tout ça prenne fin, au plus vite, et on est stupéfait d’en voir tant croire en diverses pseudo-solutions toutes plus absurdes et ridicules les unes que les autres.

Là encore, la sémantique qu’ils utilisent dissimule jusqu’à l’existence d’une responsabilité. « Un milliard d’hectares de terres fertiles […] se sont littéralement volatilisés ». « Se sont littéralement volatilisés » et non pas « ont été détruits ». La faute à personne, la faute à la terre qui choisit de se volatiliser. Même chose juste après : « sont plus ou moins menacées de disparaître » et non pas « sont en train d’être détruites ». Car c’est bien la civilisation et son agriculture industrielle et sa bétonisation compulsive et son artificialisation effrénée qui sont à l’origine de ce désastre.

L’issue hautement prévisible de tout ceci est évidente : la civilisation industrielle, dont pas un seul aspect n’est soutenable, qui n’est plus qu’une insupportable fuite en avant incontrôlable et incontrôlée, en épuisant, polluant et détruisant ainsi l’intégralité de la biosphère, finira, selon toute probabilité, par s’autodétruire elle-même. Et le plus tôt, le mieux. Car seul son effondrement, son autodestruction (ou sa destruction), mettra un terme à la destruction du monde naturel, à l’extermination des espèces vivantes, à l’anéantissement des conditions biosphériques ayant permis aux nombreuses espèces composant actuellement la toile du vivant (dont l’espèce humaine) de prospérer. Espèces et espaces qui pourront ensuite, enfin, commencer à récupérer.

La destruction de la civilisation industrielle, qui est une torture pour la plupart, sinon pour la totalité de ses propres membres, ainsi que pour toutes les espèces vivantes et pour le monde naturel en général, devrait être considérée comme une chose hautement souhaitable. Ainsi que le formule Olivier Rey dans son livre Une question de taille, « la perspective de revenir à des modes de vie plus sobres, comparables à ceux qu’a connus l’humanité depuis ses origines et jusqu’à une date très récente, n’a rien d’effrayant. » À supposer, bien sûr, « que la nature puisse en partie récupérer des ravages » que lui inflige la civilisation industrielle. C’est-à-dire, pour reprendre la formulation d’un autre mathématicien, moins académique (Theodore Kaczynski), à supposer que l’effondrement advienne au plus tôt, afin que « le développement du système-monde technologique » ne se poursuive pas « sans entrave jusqu’à sa conclusion logique », qui est, « selon toute probabilité », que « de la Terre il ne restera qu’un caillou désolé  —  une planète sans vie, à l’exception, peut-être, d’organismes parmi les plus simples  —  certaines bactéries, algues, etc. —  capables de survivre dans ces conditions extrêmes. »

Et plutôt que de l’encourager, de l’accepter ou de l’observer passivement, chacun de nous peut, à sa manière et à son échelle, à sa mesure, participer à l’entrave du « développement du système-monde technologique », voire à sa perte.

Il se pourrait cependant — mais c’est extrêmement improbable — que la civilisation industrielle ne s’effondre pas, ne s’autodétruise pas, du moins pas sur le court terme, pas au cours des prochaines décennies, voire du prochain siècle, voire au-delà. Contrairement à ce que beaucoup espèrent, cela serait tout sauf une bonne chose. Cela signifierait, selon toute logique, que les humains, physiquement et psychiquement mutilés, continueraient d’être réduits à l’état de rouages impuissants de la civilisation techno-industrielle mondialisée, de la cybersociété planétaire, inhumaine (antisociale), autoritaire (mais qui pourrait bien leur faire croire, au moyen de diverses techniques, propagande, conditionnement, drogues, qu’ils sont libres et heureux)  ; cybersociété dont le fonctionnement impliquera également le contrôle, la domination, l’asservissement de la planète entière et de tous ses habitants non-humains (du moins, de ceux qui n’auront pas été éliminés). Bienvenue dans le Pandémonium planétaire ultime.

Regarder l’horreur de la civilisation industrielle en face, ici les méga-feux en Australie

Si la situation continue inexorablement d’empirer, c’est aussi, d’une certaine manière, à cause de l’espoir. De l’espoir et des espérances illusoires. L’état des choses a beau se dégrader de jour en jour, le fonctionnement de la gigantesque machine sociale que constitue la civilisation industrielle a beau avoir depuis longtemps dépassé le moment où il était encore possible de la réformer, de la contrôler, ils sont nombreux, à gauche comme à droite, à proposer des plans dont ils prétendent qu’ils pourraient résoudre simultanément tous les problèmes de notre temps. Et ils sont encore plus nombreux à se nourrir de telles rassurances creuses (ouf, heureusement, il est encore possible de sauver la situation, de conserver l’essentiel du progrès technique, du Progrès, de la civilisation industrielle, et de la rendre démocratique, et égalitaire, et soutenable, il suffirait de suivre le plan de Naomi Klein, d’appliquer les préconisations d’Isabelle Delannoy, de Bill McKibben, de Cyril Dion, de Rob Hopkins, de Jean-Luc Mélenchon, de Paul Hawken, de Bernard Stiegler, d’Alexandria Ocasio-Cortez, etc.).

« On repousse les propos alarmistes en accusant leurs auteurs de jouer les Cassandre. Mais la malédiction qui touchait Cassandre n’était pas de voir tout en noir, elle était de prévoir juste sans être jamais être crue – moyennant quoi les Troyens firent entrer le cheval de bois dans leur cité. S’il faut se garder de céder à la “jouissance apocalyptique”, ne pas se complaire à énumérer les maux qui nous frappent ni goûter un plaisir pervers à annoncer le pire, la meilleure façon d’honorer le réel n’est pas de le peindre en rose mais de le voir tel qu’il est. »

Les neurosciences qualifient d’ailleurs de « biais d’optimisme » cette tendance à « surestimer la probabilité d’un événement positif dans un avenir proche et à sous-estimer le négatif » (Sciences et Avenir), qui conduit souvent à une évaluation irréaliste, illusoirement positive du futur. Ainsi que le formule la neurologue Tali Sharot : « La croyance que le futur sera mieux que le passé et le présent est qualifiée de biais d’optimisme. Elle touche tout le monde, peu importe la couleur de peau, la religion et le statut socioéconomique. » Bien qu’utile dans certains contextes, ce biais d’optimisme pose problème dans beaucoup d’autres.

Un autre phénomène psychologique influence potentiellement notre acceptation collective de l’empirement global de la situation : l’amnésie écologique ou amnésie environnementale (liée au concept anglo-américain de shifting baseline), qui consiste en une habituation progressive (intergénérationnelle ou intragénérationnelle) à un paysage écologique de plus en plus dégradé du simple fait que l’on n’en a pas connu d’autre ou que l’on oublie graduellement son état passé. En parallèle, on pourrait évoquer un phénomène d’amnésie sociale qui correspondrait à une habituation progressive à un milieu social (une société) de plus en plus dégradé (qui serait donc de moins en moins social et de plus en plus antisocial), du simple fait que l’on en a pas connu d’autre ou que l’on oublie graduellement son état passé, et que l’on s’acclimate à sa détérioration.

De la même manière que les individus « prosociaux » ne sont pas des malades mentaux à soigner mais des personnes saines d’esprit prises au piège dans une culture humaine profondément cinglée, les individus que l’on qualifie parfois de « catastrophistes » ne sont pas des dérangés qui verraient « tout en noir ». Le monde entier gagnerait à ce que les euphémistes invétérés et autres optimistes par déni le reconnaissent, et à ce qu’ils utilisent leur énergie pour lutter contre les désastres socio-écologiques en cours qui rendent la vie insupportable tout en la détruisant, plutôt que contre ceux qui les exposent et contre le sentiment de malaise que cela suscite chez eux.

Il n’y a qu’en saisissant pleinement l’ampleur et la profondeur du désastre qu’est la civilisation industrielle que l’on peut avoir une chance d’y remédier.


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