Deux témoignages édifiants et combatifs de gardés à vue parmi d’autres

Banal et révoltant

lundi 8 mai 2023, par Chronique du régime policier.

Deux témoins parlent de leur garde à vue à Paris, une injustice crasse qui attise leur révolte et montre dans quel régime nous sommes.

Deux témoignages édifiants et combatifs de deux gardés à vue parmi d’autres

MARCHER SUR UN TROTTOIR ET FINIR AU POSTE : UN SECONDMOIGNAGE

Interpellé dans la même nasse que l’auteur du précédent post sur le même sujet (dont je salue l’écriture du texte) (Note : voir 1er témoignage plus bas), je souhaitais vous faire part de cette réaction à chaud autour de ce glissement autoritariste et notre résignation à accepter cette situation.

Ce soir-là, l’ordre républicain a fait son travail, du président au ministre de l’intérieur en passant par ce chien de préfet jusqu’aux pourritures des BRAV-M et L, toute la chaîne répressive remplit ici pleinement ses fonctions étatiques.

Interpeller arbitrairement pour intimider et ficher des manifestants a toujours fait partie intégrante des valeurs républicaines, même si la baie vitrée d’overton dépasse tout ce que nous pouvions imaginer il y a encore quelques années.
La justification légaliste s’avère tout à fait légitime et la préservation du peu des droits qu’il nous reste demeure fondamentale, certes.
Mais qu’attendre de la législation dans ce pays où trois quarts des élus veulent la tête la Ligue des Droits de l’Homme, si ce n’est sauver les meubles ?
D’un point de vue tactique, l’idée de participer à une plainte collective ne me déplaît pas, ne serait-ce que pour que l’Etat reconnaisse ses torts publiquement, et surtout en espérant lui faire supprimer nos relevés d’empreintes.
Ceci-dit, soyons honnêtes, cet argument a aussi ses limites.
A commencer par le fait que dans un mouvement social, certains amis luttent de manière illégale et que je les soutiens corps et âme et les remercie de prendre ces risques pour nous, à la fois sur le plan juridique mais aussi parce qu’ils mettent leur intégrité physique en danger.

Les nombreux assassinats policiers, expulsions de populations exilées, ventes d’armes ou participation à des guerres impérialistes sont légales. Autant que le fait de laisser crever des SDF dans la rue, laisser des PDGs spéculer sur nos vies ou faire monter les prix dans les grandes surfaces.

D’un point de vue pragmatique, quel ministre respecte les lois ?
Combien d’élus et de magistrats se torchent le cul avec, dès qu’il s’agit de mettre les puissants hors de danger alors qu’ils sont mandatés, pendant que nos frères dans la nécessité prennent du ferme pour du shit ?
Partant de ce principe, je préfère ne pas trop répéter ce qui a été dit, ni m’attarder sur l’illégalité de cette arrestation et du fichage qui l’accompagne, aussi inquiétante soit-elle.

L’Etat fait son boulot, légalement ou pas, et il parvient à aller au bout.
Cette nuit-là, ils voulaient nous intimider, nous ficher et se débarrasser au plus vite d’un certain nombre de jeunes primo-manifestants peu expérimentés, quitte à leur faire avouer des choses qu’ils n’ont pas faites.

Comme beaucoup, j’ai été transporté dans plusieurs commissariats, fini dans une cellule calamiteuse qui puait la pisse et le vestiaire de foot, dans mon cas avec sept autres personnes avec qui on crevait de chaud. On entend des cris et des coups dans le mur, c’est une GAV quoi.
Tout ça pour des raisons injustifiables, alors que je marchais sur un trottoir en cherchant une manifestation.
Les accusations portées contre nous étaient totalement fallacieuses pour l’ensemble du groupe avec qui j’ai été arrêté. Ceci-dit, je défends avec la même ferveur quelqu’un qui aurait brûlé une poubelle, on est ensemble.
En parlant avec certains arrêtés d’une autre nasse avec qui je partageais ma garde à vue, ils témoignent qu’un policier leur a dit sur le trajet qu’il allait leur faire “une Théo”.
Menacer de viol, grand classique des artisans de la sécurité.
La composition sociale de ma cellule était multigénérationnelle, majoritairement très jeune, du gauchiste de base aux jeunes de quartiers pop. Ils découvrent la démocratie en se retrouvant interpellés parce qu’ils ont couru ou marché.
Avec nous aussi, des gilets jaunes et miltants plus habitués à vivre ou anticiper cette situation.
Un minot est passé aux aveux, il a craqué et tout avoué après un interrogatoire, sans avoir eu d’avocat. Tout le monde accepte le prélèvement d’ADN et donne ses empreintes.
A part donner le nom d’avocats de la legal team pendant la nasse (au mieux), les primo manifestants n’ont reçu aucun enseignement, même infime, de la part des gauchistes.

On est pour beaucoup, trop peu soucieux du sort de ce qui dépasse la consanguinité militante.
Bref, vous avez dû lire ce genre de récit plusieurs fois sur différents médias et réseaux militants, mon cas n’est pas unique.
Il renforce notre détermination et notre seum. Tous les interpellés ressortent avec encore plus de rage au ventre, et se demandent si à la libération il faudra épargner le peu de policiers ayant eu un minimum de conscience morale pour les respecter en tant qu’individu, à peu près convenablement cette nuit-là.
Ceux qui ne cassent pas ressortent avec des envies de vengeances, c’est tout ce que gagneront l’intérieur, la préfecture et les procureurs.
Ceci-dit, sans pour autant lui en vouloir, c’est plus à notre camp que j’aimerais radoter des trucs évidents.
D’abord, pour dire que cette gravité des faits, n’a rien de surprenant, et qu’elle est aussi le résultat d’un certain laxisme de la part de militants plus chevronnés.
Un exemple récent me vient en tête : celui de la coordination contre la loi sécurité globale, composée en partie d’irresponsables qui auraient dû faire lien entre surveillance généralisée, techno-police et racisme d’État.
Ceux-là même qui ont choisi de refuser délibérément de faire le lien avec la loi sur le séparatisme, puis d’arrêter un mouvement social d’une ampleur inédite, malgré l’enjeu sociétal primordial qui prédisait pourtant la situation que nous vivons actuellement.
Cet exemple est un cas concret parmi tant d’autres. L’application de lois anti-terroristes pour faire interdire des casserolades ne vient pas de n’importe où. Louisa Yousfi rappelait très justement cette passivité lorsque la gauche n’était pas touchée qui lui revient à la gueule comme un boomerang, lors de la soirée de soutien aux soulèvements de la terre.

L’injustice que nous avons vécu en GAV doit être condamnée, bien sûr.
Mais combien de jeunes des quartiers populaires et/ou d’hommes noirs, arabes, gitans la vivent au quotidien dans le silence le plus total, pour ce qu’ils sont ?
Réécrire cette phrase pour la énième fois est déjà une preuve d’échec, mais pas de fatalisme, tout prend du temps.

En sortant, je pense à quelques trucs.
Avant tout, me précipiter aux chiottes et aller manger.
Évidemment, rumine en moi un désir de vengeance que je vais devoir canaliser, parce que l’émotion primaire n’est généralement pas un guide qui pousse à la réflexion.

Dès la première bouffée d’air dehors, j’ai une pensée pour toutes les personnes enfermées, peu importe la durée, que ça soit le temps d’une garde à vue, d’une peine carcérale ou dans un hôpital psychiatrique. Je me demande comment vont ceux qui sont restés et j’espère les revoir dans une manifestation, déclarée ou pas.
Pour finir, je repense à cette longue journée en me disant que le premier mai a témoigné d’une détermination magnifique à vouloir détruire leur monde, elle prouve que même si nous sommes prêts à riposter et à nous montrer à la hauteur des enjeux, sur le plan juridique on a déjà perdu.

La France s’est poutinisée, il n’y aura pas de retour en arrière et ça va empirer.
On manque d’organisation sur tous les fronts, et ce peu importe la légalité ou non de nos actes.
Ce n’est pas pour rien qu’ils peuvent se permettre d’arrêter 300 personnes aussi facilement.

Retraites et au-délà : changer les règles, s’organiser à la base, poser la question du pouvoir

LETTRE À MACRON ET À CEUX QUI LUISISTENT

[Témoignage d’un GAV du 1er mai]

Macron, si tu me lis, sache que je te tiens comme responsable direct des 23h de GAV totalement arbitraires que j’ai vécu après le 1er mai. Mais je veux que tu saches également que cette expérience n’a fait que renforcer ma détermination à lutter contre ton monde. Et que je signe de suite pour 10 nouvelles GAV dans les prochains mois si cela permet de te faire chuter. Et mauvaise nouvelle pour toi : tous mes camarades de cellule (que je ne connaissais absolument pas avant que ta police ne nous interpelle) sont dans le même état d’esprit !

Lundi soir, après la manif officielle, j’ai décidé avec des amis, de rejoindre le quartier d’Opéra dans l’espoir de continuer à manifester. Trois minutes après être sorti du métro, nous entendons une trentaine de personnes chanter des chants anti Macron sur le trottoir. Nous les rejoignons, dans la bonne humeur et une légèreté qui n’allait pas durer. Car il n’a pas fallu 30 secondes pour que des dizaines de policiers nous encerclent et nous nassent.
Comme il ne s’était strictement rien passé (pas de vitrine brisée, pas de poubelle brûlée, pas de barricades) nous étions assez peu inquiets de notre sort.
Pourtant, après plus de trois heures de nasse, nous avons tous été emmenés en GAV dans différents commissariats
. J’y suis resté 23h pour ma part, dans une cellule d’un commissariat du 93 totalement indigne d’un pays qui se dit civilisé. Contrairement à d’autres de mes camarades de GAV, j’ai eu la « chance » d’avoir un matelas en mousse. Certains ont dormi à même le sol. D’autres dans des cellules puant la pisse. Nous avons tous été réveillé par un policier criant « Ha, ils sont là les gauchos ! Ils font moins les malins là ? Bien fait pour votre gueule ! »

Dans ma cellule, un jeune de 23 ans était venu pour la première fois de sa vie en manif, y accompagner sa copine qui l’avait convaincu « qu’elle était importante cette manif ». Un autre était un GJ qui avait déjà expérimenté les GAV abusives. Le dernier était étudiant en droit. Autant de profil sque seul le rejet du monde de Macron réunissait.

Tous nos téléphones ont été fouillés de fond en comble : sms, réseaux sociaux, photos et vidéos. Les numéros de série de nos téléphones relevés, nos cartes sim photographiées. Un des interpellés a totalement craqué face aux pratiques totalement honteuses de la police. Parce qu’il y avait sur son téléphone une photo d’une poubelle brûlée lors de la manif, il lui ont demandé si c’était lui qui l’avait allumée. Alors qu’il avait répondu par la négative, ils ont insisté pendant de longues minutes, en expliquant que ce n’était pas très grave et qu’en avouant, cela lui permettrait de sortir rapidement. Il a avoué, et s’est retrouvé en comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, quelques heures après.

Qu’on soit ressorti avec ou sans poursuite, l’expérience d’une telle GAV est particulièrement marquante. Bouleversante pour la plupart. Ce que l’on vit durant ces 24h en cellule marque profondément nos vies, mais aussi celles de nos proches.
Et c’est bien le but de ces GAV aussi arbitraires que politiques
. Le 1er mai, ce ne sont pas 350 personnes qui ont été touchées par ces GAV sur Paris, mais 5 à 10 fois plus. Car chaque ami, conjoint, frère et sœur a aussi vécu le traumatisme et l’attente.
Par ce mécanisme, le pouvoir espère casser la mobilisation, et notamment l’élan de révolte qui déborde des cadres déclarés et « légaux ».
Cela n’a rien de nouveau, même si l’ampleur des GAV de lundi semble montrer un nouveau palier dans la répression et l’arbitraire. Un palier qui n’avait jamais été atteint depuis les Gilets Jaunes. Et ce n’est pas un hasard.
Je sors de cette GAV complètement lessivé moralement, physiquement et nerveusement. Ma semaine a totalement été chamboulée.
Mais il y a plus important : savoir que ce pouvoir a besoin de pousser si loin dans le délire répressif et autoritaire, me conforte dans la conviction qu’il faut vraiment le combattre et aller là où cela le dérange le plus.
A l’image de mon camarade de cellule primo manifestant, et évidemment primo interpellé, qui, au début de la GAV ne cessait de nous dire qu’il ne remettrait plus les pieds dans une manif. Et qui, dans les dernières heures de cette journée interminable, nous a affirmé qu’il était plus politisé que jamais. Et plus radicalisé aussi.
Macron, tu penses nous faire peur avec tes GAV, ta BRAV et tes LBD. Et bien je vais te dire un secret : tu nous fais peur. Mais c’est justement pour ça qu’on ne va pas se laisser enfermer dans ton monde mortifère et qu’on va rester debouts, bien dignes. Et qu’on va te combattre.

On préfère combattre dans la peur que vivre dans ta terreur.

Un GAV du 1er mai

(posts et visuels de CND)

- En complément :

  • 1er Mai / Boucherie au TGI de Paris - Ce jeudi 5 mai 2023, comparaissaient au TGI les derniers déférés des manifestations du 1er mai. Les flics et le Parquet ont eu à nouveau les yeux plus grands que le ventre et peinent à écluser leurs engeôlés à force de vouloir à la fois prolonger les GAV et utiliser la comparution immédiate pour faire du chantage aux empreintes.

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