1. Remettre en cause la Marchandise et le Capital au lieu de se focaliser sur des politiques et des représentants
Alors que le gouvernement veut accentuer les fortes contraintes à l’obligation vaccinale, la politique sanitaire unilatérale de la vaccination et la culpabilisation cynique des non-vaccinés, quelques salutaires réflexions de fond pour sortir des impasses où nous acculent des critiques tronquées qui ne visent que des représentants et les choix politiques du moment.
Le champignon sur l’humus
Dans son texte publié récemment sur le site The philosophical salon [1], Alex Janda fait valoir une critique de la politique sanitaire sur laquelle nous aimerions réagir. Il est en effet justifié de faire la critique de l’inflation biopolitique et du discours faussement solidariste qui enjoint tout un chacun de se faire vacciner « pour protéger son prochain », quasiment dans une veine missionnaire et indépendamment d’un certain nombre de facteurs qui contredisent ce discours, ne serait-ce que l’absence criante de « solidarité » avec les pays du Sud dans la distribution mondiale des vaccins ou encore l’insuffisance d’une intervention politique toujours plus autoritaire à enrayer à ce jour la pandémie, avec toute la complexité des mutations virales combinée à des politiques sanitaires trop partielles et chaotiques. Mais l’invocation de cette dérive idéologique nécessiterait d’en passer par l’explicitation de la fonction de l’idéologie à l’intérieur de la formation sociale capitaliste et dans les conditions existantes actuellement, ce que ce texte ne fait pas ; cette omission conduit l’analyse à dériver dangereusement dans la proximité de ceux qui tout simplement dénient l’existence de la pandémie (Alex Janda parle par exemple de « soi-disant pandémie », ou bien évoque la pandémie avec des guillemets : il semble donc que, pour l’auteure, la pandémie soit une chose qui n’existe pas). La polarisation outrancière qui se joue actuellement entre le déni de pandémie d’une petite frange de la population, d’une part, et l’imposition à grande échelle d’une politique vaccinale présentée comme la panacée, d’autre part, exige elle-même une explication théorique : ce clivage repose sur le renforcement réciproque du fond idéologique commun aux deux pôles de la subjectivité moderne de crise. Elle rejoint d’ailleurs en cela les débats sur le réchauffement climatique, polarisés pendant des décennies entre le déni du réchauffement d’origine anthropique par certains, et le déploiement massif de fausses solutions labellisées « vertes » pour sauver le système capitaliste par d’autres.
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Il n’est donc pas juste de parler, comme le fait Janda, de « nouveaux domaines de profit » en ce qui concerne les politiques sanitaires. Cette évolution générale, bien plus que la supposée malveillance des gardiens du temple néolibéral, doit nous interroger sur la situation générale du capitalisme durant les dernières décennies et sur la solvabilité générale des États, lorsqu’on sait que même les États-Unis sont au bord du défaut de paiement.
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C’est oublier que la sphère politique et ses représentants sont coincés dans la même contradiction que l’individu, lequel, par cette invocation d’une « garantie paternelle » qui fait défaut, refusent de voir la place d’où ils parlent, en tant qu’individu, au cœur même de cette contradiction réelle. Finalement, l’invocation des bonnes vieilles valeurs, comme celle des droits individuels et de notre « liberté radicale » ne veut rien savoir de son origine libérale.
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L’analyse de la crise sanitaire, de ses incohérences et de ses contradictions, de la déconfiture politique et du gouffre économique où elle entraîne la planète, ne nous paraissent pas pouvoir être rapportée à la seule explication par l’idéologie. L’idéologie joue surtout ici le rôle « d’accompagnant » au chevet d’une logique hors de contrôle, dont le virus n’est qu’une sorte de loupe de grossissement. Il va de soi que les décideurs politiques sont les idéologues de leur fonction ; comment pourrait-il en être autrement ? Dire ceci ne signifie pas approuver cette politique. Ce qu’il faut expliquer, ce sont les conditions réelles qui constituent l’humus sur lequel poussent de telles idéologies, comme un champignon. Pour analyser cette logique, il faut la replacer dans l’histoire du capitalisme et de sa contrainte objective de valorisation, qui a vu une machine toujours plus acéphale émerger des décombres de l’ancien monde et entrainer, comme une procession magique, toute la planète dans son sillage — à la manière des aveugles de Breughel que Lacan a remis au goût du jour. Toute analyse qui s’en tient à la dénonciation de l’idéologie sans la replacer dans le contexte de la contrainte objective qu’elle est chargée de légitimer, finit par attribuer à tels ou tels acteurs des « intentions » (Janda parle à longueur de texte d´ « intentions », de « manipulation », de « manœuvre » et d´ « instrumentalisation »), et pour finir, la responsabilité générale de la faillite du système. La « politique » se voit alors imputée, pour le dire avec Janda, « d’instrumentaliser secrètement la jouissance de l’ego à la culpabilité et à la faute. C’est précisément cette manœuvre idéologique qui est nécessaire pour instaurer la vaccination obligatoire par des moyens détournés » : à ce point, c’est comme s’il était démontré que la « politique » a des plans secrets, pour lesquels elle manipule toute la société par la « politique de la peur ». Mais précisément, la cause de cette « manœuvre » n’est pas expliquée et cette démonstration est tautologique, car on n’a toujours pas dit quel intérêt trouvent les gouvernements à vacciner toute la population ; on est donc au bord de toutes les théories du complot qui ont nécessairement besoin de supputer des intérêts et des motivations occultes à l’origine du grand fiasco planétaire.
Or si ces intérêts existent, ils n’ont pas les pouvoirs qu’on leur prête et ils ne sont rien sans le consentement généralisé — conscient ou non conscient — à entretenir cette machine de production qui est une machine de mort. L’explication par l’idéologie sert ici à la fois d’explication bonne à tout faire et de résultat ad hoc d’une volonté politique présupposée à l’origine du désastre, là où il conviendrait bien davantage de parler de « domination sans sujet » (Robert Kurz) de la contrainte universelle de valorisation, à laquelle tout un chacun est soumis.
Il est intéressant de se demander dans quelle idéologie cette analyse se prend elle-même les pieds, puisqu’elle suppose des volontés capables d’imposer leur loi (alors que tout leur échappe manifestement, nous en avons la preuve tous les jours sous les yeux) et des motivations occultes, dont cette argumentation s’excepte elle-même. Car quand cesserons-nous enfin de vouloir, nous tous, que cette machine de production poursuive sa course fatale, et quand assumerons-nous les conséquences sociales que signifieraient son interruption ? Cette question autrement plus urgente ne se laisse plus reporter sur les épaules des élites qui en soutiennent le projet, mais, précisément, elle nous revient dessus, collectivement et individuellement. Au cours de l’approfondissement de l’expansion capitaliste, tous les individus et toutes les classes sont devenus de gré ou de force ses « porteurs de fonction », ce qui implique aussi, pour chacun, de mettre en cause sa propre position à l’intérieur du système. Cette question est autrement plus complexe à résoudre que celle de trouver des coupables (« l’individu responsable » versus une perverse « politique de la peur »), puisqu’il ne suffit plus de critiquer telle ou telle politique ni telle ou telle idéologie, ni non plus d’éjecter tel de ses représentants pour en être quitte.
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La politique sanitaire est critiquée ainsi par Janda et d’autres comme si cette politique constituait par elle-même une idéologie autoconsistante, une folie sans autre fondement que celui de nous gouverner par la dictature, alors que cette politique ne fait que garantir la poursuite du fonctionnement du capitalisme dans les conditions objectives données. Les gouvernements s’efforcent ainsi de maintenir ce mode de production de la pire des manières, certes — mais de la manière pour laquelle ils sont mandatés par le système politique moderne et par nous tous, qui élisons ses représentants et finançons ses institutions par nos impôts. Si nous prétendons sérieusement critiquer le déploiement à grande échelle de cette politique sanitaire et de celles qui ne manqueront pas de suivre (la voie étant ouverte et les risques globaux ne cessant de se multiplier), cessons d’accuser quelques oligarques pervers et mettons plutôt le nez dans notre caca en concevant la possibilité d’une vie sociale débarrassée de la marchandise, c’est-à-dire avec toutes les conséquences qui y seraient impliquées.
- Derrière les politiques sanitaires autoritaires et les idéologies qui les justifient : des problèmes structurels alimentant le chaos
- Ne plus s’enliser dans les sacs de noeuds : trancher dans le vif, repartir à la base
2. La normalité partout désirée est le coeur des problèmes
L’Etat et le capitalisme nous rendent sans cesse plus irresponsables, dépendants, impuissants, isolés, précarisés et mal informés, puis ils nous reprochent d’être méfiants et rétifs, puis ils nous imposent des politiques autoritaires, des décisions verticales plus ou moins opaques et changeantes, des systèmes de contrôle policier, des dispositifs technologiques intrusifs pour foules décervelées perdues dans des sociétés de masse chaotiques.
Après avoir martelé et créé l’insécurité du fait de leur fonctionnement structurel, ils se posent en seuls pourvoyeurs d’une sécurité réconfortante, d’un impossible « RETOUR À LA NORMALE » désiré presque partout.
Pourtant, cette (fausse) sécurité n’est qu’une prison infernale masquant l’insécurité et le chaos général.
Pourtant c’est bien ce supposé retour à la normale qui est le problème, qui nous enchaîne, puisque cette normalité partout désirée est le coeur nucléaire des désastres, des chaos, des catastrophes et des situtations confuses et insolubles.
C’est cette « normalité » (capitalisme, propriété, monnaies, marché du travail, valorisation, quête de puissance, adoration de la technologie, compétition, société de masse, Etats, gouvernements, marchandisation, consumérisme, patriarcat, hiérarchies, dominations, inégalités sociales...) qui EST réelement le chaos, qui est irresponsable, meurtrière, sans issue. C’est dans/depuis cette normalité toxique que s’inscrivent les faits spectaculaires qui attirent parfois l’attention : guerre, crise financière, famine, pandémie, canicule meutrière...
On ne s’épargnera pas les événements spectaculaires particulièrement meutriers en désirant et en conservant cette normalité toxique.
On n’évitera pas les innombrables conséquences toxiques de cette normalité en l’oubliant, en blâmant des dirigeants, en se plaignant de certains faits plus saillants alors que la toxicité ordinaire et quotidienne nous indiffère, alors que la toxicité banale de cette normalité toxique EST le véritable carnage/problème, un carnage banalisé qui permet et prépare les carnages plus spectaculaires qui obligent à ne pas regarder ailleurs.
On pourrait même dire que, symboliquement, la principale leçon, le principal « intérêt » des carnages spectaculaires est d’attirer l’attention sur le problème sous-jacent de la normalité toxique qui les fait émerger régulièrement pour qu’ils nous explosent à la figure, pour qu’ils brûlent nos visages, nous forçant à ouvrir les yeux que nous nous efforçons avec obstination suicidaire à garder fermer (avec le système techno-industriel et étatique qui nous manipule et nous conforte dans cette voie).
Covid 19, climat : la société industrielle est de plus en plus dépassée par le chaos qu’elle a créé, elle n’a pas de solutions - Elle improvise au fur et à mesure en cherchant à contenir et cacher ses ravages croissants
Il est toujours bon de rappeler que le chaos généralisé n’est pas généré par l’application de principes anarchistes ou auto-organisés, mais est causé et accentué par les planifications de la civilisation industrielle : l’administration étatique des désastres (politique autoritaire, surveillance, système policier, technopolice), les plans d’investissements économiques pour doper la croissance et maintenir la valorisation du capital, la coercition politique, juridique et étatique pour imposer la poursuite du techno-capitalisme.
La fin des situations de plus en plus chaotiques et meurtrières (pour les humains et les autres vivants) ne pourra jamais venir par ce qui les cause : la civilisation industrielle.
Davantage de contrôles, des « meilleurs » dirigeants, des innovation technologiques de rupture ou de continuité, davantage de soumission et de machines, ne régleront pas du tout les problèmes et accentueront plutôt les chaos dévastateurs dans tous les domaines (politiques, sociaux, écologiques, climatiques...), tout en aggravant les régimes autoritaires, liberticides, virant au totalitarisme 3.0.
Les nouvelles innovations servent à essayer de réduire les problèmes insolubles causés par les innovations précédentes, dans une fuite en avant. Exemples : les innovations en « intelligence artificielle » aident à diagnostiquer les cancers produits par les innovations des pesticides et du monde de vie sédentaire civilisé. Les innovations des vaccins à ARN-M servent à contrecarrer un virus produit/stimulé par les innovations de l’agriculture industrielle, des flux continus d’humains à travers toute la planète, de l’urbanisation galopante.
Il faudrait donc assumer ce constat, l’approfondir, faire le bilan, et coaliser des forces pour critiquer à la racine, lutter radicalement et collectivement, développer l’autonomie collective...