Avant ou après les élections présidentielles, un mouvement d’en bas de grèves coordonnées, vers une éventuelle grève générale à caractère révolutionnaire ?
L’inflation des prix qui pèse sur les fins de mois et les dizaines de milliards accumulés par les actionnaires des grandes entreprises pourraient servir de détonnateur et agglomérer les multiples révoltes qui s’empilent depuis 2016 ?
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LA MARCHE DE LA REVOLUTION EST LA, SOUS NOS YEUX, ET POURTANT NOUS NE LA VOYONS PAS
NOUS N’AVONS PAS PRIS LA MESURE DE CE QUI EST TRAIN DE SE PASSER.
La vague de grèves sur les salaires est en train de gagner toutes les professions et tout le pays. De plus, elle se fait sur un fond de luttes en tous genres, des Gilets Jaunes aux anti pass dont les mouvements ne cessent pas depuis des mois et des années. Elle a lieu également accompagnée par des grèves et des luttes parfois au caractère général comme aux Antilles ou quasi permanent comme dans la santé auxquelles il faut ajouter une foule de grèves et luttes de tous les métiers pour toutes les revendications, que ce soient celles des ouvriers qui défendent leurs emplois ou leurs conditions de travail, celles des étudiants qui se battent contre la sélection en passant par des manifestations contre le fascisme, les violences policières, pour la défense du climat ou encore pour l’égalité entre sexes.
Les classes populaires ont pris le chemin d’une mobilisation générale, mais nous ne le voyons pas, nous n’y croyons pas vraiment du fait de l’occultation constante de ces luttes par les grands médias et de leur bombardement incessant d’une propagande méprisante, discriminante et pessimiste.
- De nombreuses grèves qui se renforcent et se multiplient : en prendre conscience et agir
Pour les seuls mois de décembre 2021 et janvier 2022, j’ai recensé plus de 1 200 grèves toutes revendications confondues rien qu’à partir de ce que publient la presse locale et un peu les syndicats.
C’est un chiffre très important.
De plus, si comme le démontre le CNRS, ce que publie la presse correspond à seulement 20% environ des grèves réelles, on serait donc plus proches de 6 000 grèves en deux mois que de 1 200. Ce n’est qu’un ordre d’idées mais ça donne une indication suffisante pour comprendre qu’il se passe quelque chose d’ampleur. Bien sûr, pour le moment, cette vague de grèves n’a pas encore basculé dans un mouvement unifié irrésistible, mais c’est un mouvement considérable et un mouvement ascendant, ce qui est encore plus déterminant car il pourrait justement basculer d’une addition de grèves pour le même objectif à un seul mouvement général rassemblé, c’est-à-dire dans les circonstances actuelles, un mouvement politique au caractère subversif.
Ce sont des grèves petites ou grandes, longues ou courtes, des grèves illimitées ou d’un jour voire moins, des grèves entraînant la majorité des salariés ou partiellement, des grèves d’ateliers, de secteurs, de services, d’unités, d’entreprises entières, de groupes, de professions ou nationales et interprofessionnelles mais ce sont au total des millions et des millions de journées de grèves, dont la majorité pour des augmentations de salaires, ce qui a toujours eu pour ce dernier aspect dans notre histoire, un caractère contagieux et explosif (on peut consulter ce recensement au quotidien sur ma page Facebook Luttes Invisibles, https://www.facebook.com/luttesinvisibles/).
Ces grèves sur les salaires ont commencé en mai 2021, mais ont pris de l’ampleur en décembre au point de devenir un mouvement non organisé et puis il y a eu une nouvelle accélération le 27 janvier dans la foulée de la journée d’action nationale syndicale, ce qui est un signe infaillible de la tendance vers l’extension du nombre de ces grèves. Une nouvelle accélération devrait avoir lieu dans les semaines à venir.
En effet, beaucoup de ces grèves démarrent autour des NAO (Négociations Annuelles Obligatoires) sur les salaires. Or, le vif des négociations salariales du côté des grandes entreprises, celles qui forcément donnent le ton, commence en février pour s’étendre jusqu’en mars, ce qui va amplifier et accélérer le mouvement dans les semaines qui viennent. Enfin, les bénéfices de ces grandes entreprises sont le plus souvent annoncées pour l’essentiel en février. Or, ce qui est déjà annoncé ou pressenti laisse voir des bénéfices d’un niveau historique : 15 milliards pour Total, 12 milliards pour Stellantis (PSA), ArcelorMittal et LVMH, 8 milliards pour BNP Paribas, etc... Avec une hausse générale de la croissance de 7%, cela ne peut qu’encourager les travailleurs à exiger leur part, d’autant qu’en même temps, la hausse des prix de 5% en Europe rogne terriblement les budgets populaires.
Le mouvement de grèves sur les salaires va donc s’amplifier en février et les autres grèves et luttes ne vont pas diminuer. Bien au contraire.
Mais si de plus en plus de personnes et militants sentent qu’il y a beaucoup de grèves sur les salaires, peu espèrent cependant en la dynamique possible de ce mouvement car personne ne le mesure actuellement ni n’essaie non plus de lui donner une visibilité telle que tout le monde en prenne conscience, à commencer par ses acteurs eux-mêmes qui agissent pour le moment encore dans le brouillard, séparés les uns des autres. Pourtant ce serait capital, en particulier en ce mois de février.
La visibilité de la grève, par la prise de conscience de l’existence d’un mouvement profond et d’ampleur, est en effet un facteur d’accélération du mouvement lui-même, comme de son unification et de sa centralisation nécessaires.
Il ne s’agit pas que de recenser les grèves, des grèves « en général » comme si toutes les grèves étaient égales à tout moment. Il s’agit de mesurer l’évolution concrète et précise de ces grèves-ci sur les salaires dans le contexte général d’aujourd’hui, en observant quels sont les secteurs professionnels les plus touchés ; en identifiant quelles sont les revendications et quelle est la progression de ces revendications ; en mesurant le nombre de grèves qui gagnent, parce qu’il y en a beaucoup et ce qu’elles gagnent ; en observant à propos de quoi elles démarrent, des NAO par exemple ou des journées d’action syndicales nationales ; en quantifiant l’évolution de la durée des grèves ; en dénombrant les grèves reconductibles ou illimitées et en regardant leur évolutions ; en estimant s’il y a une radicalisation des grèves avec des occupations par exemple ou par d’autres formes ; en évaluant si ces grèves tendent à faire « boule de neige » et à quel niveau, local, régional, au sein des groupes, des professions ; en regardant si la population, les Gilets Jaunes s’y associent ; en appréciant si tous les syndicats sont dans le coup, ou pas ; en étant attentif à l’état d’esprit des travailleurs et à ses changements, etc, etc, et en faisant un point régulier sur ces évolutions.
Contre la propagande du gouvernement, des milliardaires et de leurs médias, de leurs division par la vaccination, nous aurons ainsi un outil qui permettra de faire entendre la voix unifiante de ceux d’en bas et de peser sur la situation en contribuant à ce que les acteurs du mouvement actuel prennent toute conscience de ce qu’ils font, de maîtriser leur propre mouvement, en lui donnant une expression coordonnée et centralisée.
C’est à notre portée au vu du nombre de militants engagés dans ce mouvement et au vu du nombre de militants de gauche et d’extrême gauche engagés dans les élections qui ont tous intérêt à la construction de la conscience de ce mouvement. Mais cela nécessite une révolution mentale : penser avec les mains, penser concrètement.
PENSONS AVEC LES MAINS
La faiblesse du mouvement aujourd’hui, ce n’est pas lui-même, il est fort, il existe, mais il ne sait pas qu’il existe.
S’il y a une addition de militants engagés dans la lutte, il n’y en a pas la coordination consciente. C’est ça qu’il faut construire, c’est ça la tache du jour. Et c’est politique. Car si prises individuellement, ces grèves pour les salaires sont économiques, prises dans leur ensemble, elles sont politiques. Il est clair que si l’addition des grèves dispersées actuelles se transformait en un seul mouvement commun, c’est le pouvoir de Macron lui-même qui serait contesté, et au delà, le pouvoir des capitalistes eux-mêmes, le pouvoir des travailleurs qui serait donné en perspective.
Alors, montrer à tous ce mouvement, rendre ses acteurs conscients de ce qu’ils sont en train de faire, est la tâche la plus politique du moment, d’autant plus qu’elle peut résoudre dans l’immédiat le problème du piège des présidentielles à venir.
Dans leur effort pour leur libération, il nous faut donner aujourd’hui à voir ces hommes en grève et entendre leurs paroles, redonner la parole aux hommes. Les militants doivent épouser la marche du mouvement. Ce n’est plus le temps de proposer tel ou tel programme, plus beau que les autres, inventé en chambre électorale plus ou moins grande, d’avancer une politique de petits cénacles, d’établir un surréel abstrait et difficilement mobilisable, mais de décrire ce que font aujourd’hui les travailleurs en grève, les classes populaires en lutte, bref de montrer le mouvement réel en cous avec tous ses développements possibles. De là, il s’agit de dégager de ce mouvement le programme populaire qui en ressort, la politique populaire qui s’y exprime et, encore mieux, il ne s’agit plus de lancer un appel à une communauté rêvée, mais de montrer dans le cours de ce mouvement lui-même une communauté qui s’institue réellement et qui nous lie tous dans le même parti d’une compréhension commune de la période et des tâches qui en découlent pour un futur meilleur.
Nous pourrons montrer à tous les militants et salariés découragés que, oui, quelque chose change, à tous les citoyens en lutte mais désabusés, qui ne voient que des moutons partout, parce qu’ils se croient seuls, qu’il se passe quelque chose actuellement pouvant tout emporter, et que ce mouvement est en pleine croissance.
Regroupons tous les salariés, citoyens, syndicalistes, gilets jaunes qui ont envie de ce tous ensemble par ces luttes. Donnons une presse à ce mouvement, créons des comités pour l’unité dans la lutte, avec ses meetings, ses rassemblements, ses manifestations. C’est ça un parti, un pôle politique, aujourd’hui. La participation importante au vote des primaires à gauche a montré qu’il y avait une attente d’unité à la base à gauche. Eh bien, cette unité, nous pouvons la construire dans la lutte, alors construisons-là, et nous pourrons même interpeller à partir de là les directions syndicales et politiques pour les forcer à se bouger dans ce sens.
Nous pouvons montrer à tous les salariés la dimension considérable de ce qu’ils sont en train de faire par eux-mêmes, la force de leur mouvement et nous pourrons ainsi contribuer à leur donner confiance, encore plus confiance en eux, en montrant qu’ils sont en train d’inverser le rapport de force général entre travail et capital, entre les riches et les pauvres, entre le peuple et les « élites ». Nous pourrons alors mesurer et faire mesurer à tout le monde cette conscience grandissante, à la peur tout autant grandissante du gouvernement et du grand patronat. Nous étions des « rien » selon Macron, nous sommes en train de devenir « tout ».
Il faut bien comprendre, pour tous ceux qui passent beaucoup de temps dans la préparation des présidentielles, en cherchant des signatures, en organisant des réunions et meetings, que l’on soit partisan de tel ou tel candidat de gauche ou d’extrême gauche ou encore partisan de l’abstention ou de « législatives constituantes », que le taux de participation dépendra de la confiance que les travailleurs auront acquis en eux-mêmes - ou pas- dans ce mouvement, que le résultat des élections lui-même, ne sera que le résultat de ce rapport de force que nous aurons réussi – ou pas – à établir auparavant, que toute Constituante, ne peut exister que parce qu’il y a eu révolution auparavant, ou tout au moins une marche vers la révolution, c’est-à-dire une auto-organisation dans la lutte, ce qu’on a appelé aussi des conseils ouvriers, des soviets.
Il ne s’agit pas d’inventer ce rapport de forces, de le rêver, de le faire sortir du néant. Il existe, il est là latent, sous nos yeux, mais nous n’en avons pas pris la mesure, nous n’y croyons pas, et du coup il ne se cristallise pas parce que nous n’essayons pas de le rendre visible aux autres, rendant ainsi bien inconsciemment cet immense service au capitalisme, à Macron et tous ses serviteurs
En baignant dans un bombardement incessant d’une pensée qui oppose en permanence le travail des mains, réduit à une nécessité insensée gouvernant la vie de la majorité au travail, à l’activité de l’esprit de ceux qui pensent pour les autres, cela a consacré une sorte de mise au chômage de la véritable pensée, la pensée en actes, la pensée pratique, la prise en compte du mouvement d’en bas. Il nous faut la remettre sur ses pieds, sur les pieds du mouvement réel.
On ne peut pas décrypter l’opacité du présent en plaquant des recettes théoriques toutes faites sur lui, mais en cherchant des existences alternatives et une perspective révolutionnaire dans ce présent lui-même. Or cette perspective est là, sous nos yeux ; sachons la rendre visible à nous-mêmes et à tous.
Le seul risque que nous courrons en nous engageant ainsi, n’est que la santé de la pensée, de toute pensée.
Jacques Chastaing. 6 février 2022