Dans ce système économique, on échange notre activité quotidienne contre de l’argent

Exploitation, aliénation, destruction des moyens de subsistance pour obliger à acccepter l’emploi...

lundi 31 août 2020, par Auteurs divers.

Le covid19 impose un nouveau normal, une détestable accélération de l’empirement général et inexorable de la situation. Mais une large partie de ceux qui le déplorent ne trouvait et ne trouve rien à redire du fonctionnement élémentaire de la société industrielle. Ils se contentent de dénoncer des excès, des manquements, sans jamais exposer le fond du problème. Et a-t-on une chance de résoudre les problèmes actuels sans les examiner dans leur entièreté ? Sans doute pas.

Fredy Perlman nous proposait en son temps (1969) une analyse radicale qui, cinquante ans plus tard, demeure toujours aussi pertinente. Quelques extraits :

La vente de l’activité vivante induit un autre renversement. À travers la vente, le travail d’un individu devient la « propriété » d’un autre, est approprié par un autre, passe sous le contrôle d’un autre. En d’autres termes, l’activité d’une personne devient l’activité d’un autre, celle de son propriétaire ; cette activité est donc étrangère à la personne qui la pratique. Ainsi, la vie même d’un individu — ce qu’il accomplit en ce monde, sa contribution à la vie de l’humanité — est non seulement réduite au travail, condition pénible de la survie, mais elle est également transformée en activité aliénée, en activité déterminée par, et appartenant à, celui qui l’achète. Dans la société capitaliste, les architectes, les ouvriers et les ingénieurs ne créent rien ; leurs projets, leurs calculs et leurs mouvements leur sont étrangers ; leur activité vivante, leurs accomplissements, appartiennent à celui qui achète leur travail, qui est donc celui qui crée.

[...]

Le pouvoir du Capital ne réside pas non plus dans les réceptacles matériels dans lesquels le travail des générations passées a été accumulé, étant donné que l’énergie potentielle ainsi emmagasinée ne peut être libérée que par l’activité vivante des hommes, que ces réceptacles soient ou non du Capital, c’est-à-dire « propriété » aliénée. Sans activité vivante, l’ensemble des objets qui constituent le Capital ne serait plus qu’une ribambelle d’artefacts analogues, inertes et éparpillés, et les « propriétaires » du Capital un lot dispersé d’hommes exceptionnellement incompétents (de formation), obsédés par des tas bouts de papier, tentant en vain de ressusciter la mémoire de leur grandeur passée. Le seul « pouvoir » du Capital réside dans les activités quotidiennes des hommes vivants. Ce « pouvoir » constitue la disposition des hommes à vendre les activités quotidiennes de leur vie contre de l’argent, et à renoncer au contrôle des produits de leur propre activité et de celle des générations passées.
[...]
Toute chose pouvant être transformée en marchandise commercialisable est combustible pour le moteur du Capital, qu’elle se trouve sur le territoire du capitaliste ou sur celui de son voisin, sur terre ou sous terre, flottant sur la mer ou rampant sur le plancher océanique, qu’on la trouve sur d’autres continents ou d’autres planètes. Toute l’exploration humaine de la nature, depuis l’alchimie jusqu’à la physique, est mobilisée dans la recherche de nouveaux matériaux dans lesquels accumuler du travail, dans la recherche de nouveaux objets que des gens peuvent être amenés à acheter.
[...]

Les capitalistes trouvent des pauvres dans les sociétés agraires et pré-agraires de tous les continents. Lorsqu’ils ne sont pas suffisamment pauvres pour être disposés à vendre leur travail au moment où les capitalistes arrivent, ils sont appauvris par les activités des capitalistes eux-mêmes. Les terres des chasseurs-cueilleurs deviennent progressivement la « propriété privée » de « propriétaires » utilisant la violence de l’État pour les concentrer dans des « réserves » ne contenant pas assez de nourriture pour garantir leur survie. Peu à peu, les paysans ne peuvent plus trouver d’outils ailleurs que chez les marchands qui, généreusement, leur prêtent l’argent nécessaire pour qu’ils s’en procurent, et ce jusqu’à ce que les « dettes » des paysans les contraignent à vendre la terre que ni leurs ancêtres ni eux-mêmes n’ont jamais achetée. Quant à l’artisan, le marchand devient progressivement l’unique acheteur de ses produits, jusqu’au jour où ce même marchand décide de placer « ses artisans » sous un même toit et de leur fournir des instruments leur permettant de produire des choses plus profitables. Chasseurs, paysans, artisans indépendants et dépendants, hommes libres et esclaves, sont tous transformés en travailleurs salariés. Ceux qui, auparavant, disposaient de leurs propres vies dans des conditions matérielles rigoureuses cessent d’en disposer dès lors qu’ils commencent à altérer leurs conditions matérielles. Ceux qui créaient autrefois consciemment leurs propres et frugales existences deviennent les victimes inconscientes de leur propre activité, que cela leur permette ou non de dépasser la frugalité de leurs vies passées. Des hommes qui étaient beaucoup et qui avaient peu deviennent des hommes qui ont beaucoup mais qui sont peu.

- SUITE de l’article sur La reproduction de la vie quotidienne (par Fredy Perlman)

(post de Nicolas Casaux)

- Autres extraits :

Dans la société capitaliste, l’activité créatrice prend la forme de la production de marchandises, c’est-à-dire de biens commercialisables ; les résultats de l’activité humaine prennent la forme desdites marchandises. Le caractère vendable ou marchandable constitue la caractéristique universelle de toutes les activités et de tous les produits. Les produits de l’activité humaine nécessaires à la survie prennent la forme de biens commercialisables, lesquels ne sont accessibles qu’en échange d’argent, lequel ne s’obtient qu’en échange de marchandises. Dans la mesure où un grand nombre de personnes estiment que ces conventions — qui stipulent que l’argent requiert des marchandises, et que la survie requiert de l’argent — sont légitimes, elles se retrouvent enfermées dans un cercle vicieux. Et puisque ces personnes ne possèdent pas de marchandises, il le leur reste plus qu’à se vendre elles-mêmes ou à vendre une partie d’elles-mêmes comme marchandise. Telle est l’étrange « solution » que les hommes s’imposent à eux-mêmes dans la société capitaliste. Ils n’échangent pas leurs corps ou des parties de leur corps contre de l’argent : ils échangent le contenu créatif de leurs vies, leur activité quotidienne, contre de l’argent.

Dès lors que les hommes acceptent ce principe selon lequel l’argent peut s’échanger contre la vie, la vente de leur activité vivante devient la condition de leur survie physique et sociale.

Le mystérieux pouvoir du Capital, son « pouvoir » de produire, sa fertilité, ne réside pas en lui-même, mais dans le fait que les hommes aliènent leur activité créatrice, vendent leur travail aux capitalistes, matérialisent ou réifient leur travail aliéné dans des marchandises. Pour le dire autrement, les êtres humains sont achetés avec les produits de leur propre activité, et pourtant ils persistent à considérer leur propre activité comme celle du Capital, et les produits de cette activité comme ceux du Capital. En attribuant au Capital et non à leur propre activité le pouvoir de créer, les hommes abandonnent leur activité vivante, leur vie quotidienne, au Capital, c’est-à-dire qu’ils s’offrent quotidiennement à la personnification du Capital, au capitaliste.

La « satisfaction des besoins humains » n’est ni le but du capitaliste, ni celui du travailleur engagé dans la production, ni le résultat du processus de production. Le travailleur vend son travail dans le but de recevoir un salaire ; le contenu spécifique du travail lui est indifférent. Sans salaire, il n’aliénerait pas son travail à un capitaliste, peu importe combien de besoins humains les produits de ce capitaliste pourraient satisfaire. Le capitaliste achète le travail et l’engage dans la production dans le but de produire des marchandises pouvant être vendues. Il est indifférent aux propriétés spécifiques du produit, tout comme il est indifférent aux besoins des gens. Tout ce qui l’intéresse, concernant le produit, c’est combien il pourra en retirer. Tout ce qui l’intéresse, concernant les besoins des hommes, c’est combien ils ont « besoin » du produit, et comment s’y prendre pour les amener, au travers de la coercition et de la propagande, à en avoir davantage « besoin ». L’objectif du capitaliste est de satisfaire son besoin de reproduire et d’élargir son Capital, d’où la reproduction étendue du travail salarié et du Capital (qui ne sont pas des « besoins humains »).


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