Cyril Dion & co : faire croire qu’une civilisation industrielle bio-durable-éthique pourrait exister

Les médias dominants mettent en avant toujours les mêmes inepties

lundi 18 octobre 2021, par Auteurs divers.

Le principal problème est toujours celui-là. Prétendre qu’une civilisation industrielle juste et bio pourrait exister

APRÈS DEMAIN, APRÈS APRÈS-DEMAIN, LE JOUR SANS FIN

Je n’ai pas vu le film mais feuilleté le livre éponyme (plus complet). Eh bien, pas grand-chose de nouveau dans le discours de Cyril Dion. Dans l’ensemble, ce sont toujours les mêmes inepties qu’il ressasse encore et encore, mais actualisées à l’aide des dires des « penseurs du vivant » les plus en vus du moment — ainsi que le très écologiste radical journal Le Monde les appelle, la nature n’existant pas, comme nous le serine l’un d’entre eux, le professeur Philippe Descola (Collège de France).

Exemple. Lorsque Cyril Dion demande à l’entomologiste Dino Martins (Harvard, Princeton) si « la technologie serait donc le problème ? », la réponse qu’il reçoit illustre la croyance générale des gens de leur espèce en la technologie : « Non, la technologie peut être une solution. Le problème, c’est la façon dont nous l’utilisons. En tant qu’espèce, nous devons savoir comment subvenir à nos besoins sans en détruire les ressources. »

Autrement dit, le sempiternel « la technologie est neutre », incessamment répété et colporté par d’innombrables imbéciles civilisés issus des classes supérieures et attachés à la modernité (en partie parce qu’ils y figurent parmi les classes supérieures).

Dans un élan de quasi-honnêteté, Cyril Dion lui fait cependant remarquer : « Pour autant, les panneaux solaires actuels nécessitent des matières premières qui sont extraites par des enfants dans des mines à l’autre bout du monde… » Comme si, si les matières premières étaient extraites par des adultes et dans des mines locales (françaises), tout serait pour le mieux dans le Meilleur des mondes.

Quoi qu’il en soit, Dino Martins lui rétorque alors, avec une indéniable sagesse :
« Nous devons nous assurer que ces nouvelles technologies sont produites de manière durable et responsable oui. Et en tant que consommateurs, nous avons un rôle à jouer. Nous pouvons choisir de soutenir un système qui n’endommage pas la terre. »

N’est-ce pas. Les implications sociales de la technologie, ses exigences en matière de division et spécialisation du travail, de hiérarchies organisationnelles, la relation entre complexité technique et autoritarisme, les imbrications structurelles de toute technologie moderne dans un immense réseau technologique et infrastructurel possédant ses propres exigences et impacts écologiques (innumérables), tout ça n’existe évidemment pas. La technologie est totalement neutre, le seul « problème, c’est la façon dont nous l’utilisons ». Hum, enfin presque, la technologie est parfaitement neutre, mais il faut quand même qu’on s’assure qu’elle soit produite « de manière durable et responsable », au moyen d’extractions minières durables (le sustainable mining désormais promu par les multinationales de l’extraction minière, les grandes organisations économiques comme le Forum de Davos, etc.), d’exploitation salariale équitable (je t’exploite au moyen de la privatisation de la Terre et de toutes les règles préétablies et imposées du capitalisme, mais je te paie une misère qui te permet tout de même de manger), etc.

D’ailleurs, l’économiste Éloi Laurent explique à Cyril Dion que le problème, ce n’est pas le capitalisme, mais la croissance, et que la décroissance n’est pas la solution, qui est plutôt l’acroissance, une économie stationnaire (« Opposer croissance et décroissance, non, je n’y crois pas. Faire augmenter le PIB ne résoudra rien, le faire diminuer ne résoudra rien non plus. Je pense qu’il faut simplement changer d’échelle. »/« De mon point de vue, l’opposition entre croissance et décroissance nous a fait perdre dix ou quinze ans. »)
Ainsi s’agit-il de découpler le capitalisme et la croissance (ce qui, selon Laurent, est tout à fait faisable, et a même déjà été fait, au Japon), et de faire de « la santé » l’indicateur fondamental « qui doit et qui va remplacer la croissance au XXIe siècle ». C’est-apparemment-à-dire que « ce qui semble important, c’est l’encadrement de tous les mécanismes de marché par la puissance publique et l’utilisation de la démocratie comme contrepoids ». En clair : il s’agit, très simplement, très plausiblement, de réformer la civilisation industrielle, de faire en sorte que « la puissance publique », l’État démocratique (on n’est plus à un oxymore près), prenne le contrôle du « marché », et instaure « la santé » en indicateur ultime, en lieu et place de la croissance du PIB. Alors, tout ira pour le mieux dans le plus Bio des mondes. Bon sang, mais c’est bien sûr.

Cyril Dion interview également Carlos Alvarado, le président du Costa Rica, un État écolo modèle. En effet, « la quasi-totalité de son électricité est renouvelable (même si ses immenses barrages hydroélectriques sont loin d’être sans impact…) », note Cyril Dion, dans un joli non-sens, suggérant à la fois que cette production d’électricité renouvelable est une bonne chose et une mauvaise chose. Allez savoir. L’important est de croire. Carlos Alvarado, lui, explique : « Pour ma part, je crois beaucoup en la technologie, en ce qu’elle peut faire pour nous. J’accueille avec beaucoup d’espoir les nouveaux avions à hydrogène en cours de développement. C’est une excellente nouvelle que d’être capable de voler avec de l’électricité et, a fortiori, une énergie qui provienne de techniques sans émission de carbone. J’ai récemment été dans un avion innovant qui nécessite près de 40 % de carburant en moins. Si nous continuons à pousser la technologie dans un objectif précis, qui va dans le sens de la préservation de l’environnement, nous serons en mesure de réduire considérablement notre empreinte, tout en conservant de belles choses comme le tourisme. »

« Et maintenant ? », se demande Cyril Dion en conclusion. Fort heureusement, il ne nous laisse pas sur cette seule interrogation énigmatique. Il nous propose des mesures clés : à commencer par voter pour « des canditat·e·s qui mettent en œuvre » les bonnes politiques, celles qui consistent à produire la technologie de manière «  durable et responsable », à promouvoir la permaculture façon Bec Hellouin, à changer notre relation au monde, etc. Il s’agit de « construire des systèmes démocratiques qui ont la faculté de répondre à ces enjeux. Pour le moment, nos démocraties représentatives sont trop souvent prisonnières de stratégies électoralistes, de modes de scrutin primaires et bassement compétitifs, de jeux d’influence économique, d’apathie citoyenne… Là aussi, nous avons besoin de sang neuf, de femmes et d’hommes qui vont intégrer ces institutions pour les transformer, de mouvements citoyens qui les portent aux responsabilités et les soutiennent dans leurs politiques, de processus permettant à chacun d’entre nous de participer aux orientations majeures tout au long de l’année. »

& comme si tout cela ne constituait pas déjà un objectif extrêmement clair, réaliste et suffisant, Cyril Dion propose aussi, tenez-vous bien, de « rompre avec les mythes d’une économie souveraine et d’une croissance du PIB comme l’alpha et l’oméga de toutes organisations humaines ». Ne plus sacraliser le PIB. Il fallait y penser ! Toutes ces propositions, d’une originalité et d’un courage ébouriffants, ne laisseront personne indifférent. Réalisant cela, les « leaders politiques » seront amenés à « changer de l’intérieur » (interview de Paulino Najera Rivera, qui s’occupe d’un centre d’éco-tourisme au Costa Rica).

Plus sérieusement, quoi d’étonnant dans l’enchaînement de platitudes et de souhaits parfois louables, souvent idiots, presque toujours excessivement naïfs que nous livre Cyril Dion dans son nouveau livre, dès lors qu’il interroge d’éminents professeurs d’éminentes universités (Stanford, Princeton, Harvard, Collège de France, etc.), un chef d’État, les inévitables permaculteurs de l’icône permaculturelle qu’est le Bec Hellouin, etc.

En bref, toujours la même idée : l’essentiel de la civilisation techno-industrielle peut être rendu durable et pludémocratique ; passons au bio, verdissons les industries existantes, faisons du lobbying citoyen, mettons la pression sur les législateurs, les zélus, exigeons plus de démocratie, changeons notre rapport au vivant (pas à la nature, qui n’a jamais existé, bande de ploucs), percevons l’interconnexion générale de tout, et surtout du pognon, des subventions, des médias, d’UGC, d’Orange, du désastre et du dernier film documentaire de Cyril Dion (et du livre qui va avec).

Malheureusement, Cyril Dion continue de fabriquer du divertissement grand public et des espoirs absurdes — mais rassurants. Selon toute probabilité, tout ça ne va pas contribuer à la formation d’un mouvement écologiste conséquent, plutôt nourrir la confusion ambiante.

(P.S. : Certes, il met en lumière, dans son dernier livre et peut-être dans son film, des pratiques ou initiatives intéressantes, comme le fait de tenter d’utiliser le droit pour lutter contre le désastre social et écologique, qui est tout à fait respectable, et souhaitable. Cela dit, l’idée selon laquelle la civilisation industrielle pourrait s’avérer belle et bonne une fois son droit réformé est une imbécilité terrible. Le principal problème est toujours celui-là. Prétendre qu’une civilisation industrielle juste et bio pourrait exister).

Post de Nicolas Casaux

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Bien distinguer les différentes types d’actions

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