Covid, suprématie validiste et interdépendance

Nos morts ne vous sont pas dues

samedi 5 février 2022, par Auteurs divers.

- Nos morts ne vous sont pas dues - Covid, suprématie validiste et interdépendance
Par Mia Mingus - Traduit de l’anglais (É-U) par Unai Aranceta et Elvina Le Poul
Depuis le début de la pandémie, les malades chroniques, immunodéprimé⋅es, personnes âgées et handicapées sont particulièrement exposé⋅es au danger mortel que représente le covid. Iels doivent en plus affronter les effets indirects que la circulation du virus engendre : isolement, pénurie de personnels soignants, précarité. Pourtant, leurs vies restent perçues comme secondaires et l’écart se creuse avec les personnes valides qui se sentent peu concerné⋅es par les risques. L’autrice et formatrice Mia Mingus travaille sur la justice handie et la justice transformatrice. Elle invite à mettre au centre les personnes handicapées et à envisager la pandémie selon une perspective antivalidiste.

Covid, suprématie validiste et interdépendance

(...)
Nous savons que l’État nous a laissé tomber. Nous observons en ce moment même s’exercer une violence pandémique validée par l’État : le meurtre, l’eugénisme, la maltraitance et une négligence glaçante sont les seules réponses aux souffrances, à la maladie et à la mort que nous subissons en masse. Nous sommes la nation la plus riche du monde, et nous continuons de préférer la rentabilité et le confort aux dépens des personnes et de la vie. L’État enfonce profondément le couteau de la souffrance dans les tripes de ceux et celles qui sont déjà à terre. Sa cruauté est sans limite et sans remords.

Du côté de la gauche radicale, nous ne sommes pas vraiment surpris⋅es. Nous avons vu ce que l’État était prêt à faire subir à son propre peuple. Nous n’avons jamais pu compter sur l’État puisque nous savons qu’il ne se soucie pas de nous ni de notre communauté. Nous avons toujours dû nous organiser en dehors de l’État. Rien de nouveau. Nous sommes déjà passé⋅es par là et nous y voilà de nouveau.

Nous savons que nous avons besoin d’un changement systémique pour que notre communauté puisse – littéralement – survivre à cette pandémie, mais nous savons aussi que le type de changement dont nous avons besoin a peu de chance d’advenir. Il est dans l’intérêt de celleux qui ont le pouvoir de maintenir les gens éloignés du soin, malades et dépendants de miettes de plus en plus maigres. C’est là une des raisons de l’efficacité du validisme et de la pauvreté, et ce qui explique pourquoi les deux vont si souvent de pair. Il y a tant de choses en ce moment que nous ne pouvons ni maîtriser, ni changer, même si nous le voulions désespérément. Tandis que nous luttons pour des changements systémiques, nous pouvons aussi transformer ce qui se passe au sein de nos communautés. Nous pouvons apprendre de nos erreurs et tenter, c’est la moindre des choses, de ne pas empirer les choses.

Opposer la nécessité du changement étatique et systémique à celle du changement individuel et communautaire repose sur une fausse alternative. Les deux sont nécessaires pour sortir du chaos pandémique, comme pour toutes les libérations pour lesquelles nous nous battons. Il faut accorder des primes de risque aux travailleurs⋅euses essentiel⋅les, mettre fin aux expulsions, payer les gens pour qu’ils restent à la maison, distribuer des tests gratuits à tout le monde. Il est aussi indispensable que tout le monde porte des masques, cesse d’organiser et de participer à des rassemblements en présence, cesse de voyager inutilement, se vaccine et reçoive sa dose de rappel. Certaines personnes à gauche ne parlent que du besoin de mesures étatiques, alors qu’elles-mêmes ne sont pas vaccinées ou n’ont pas fait leur rappel et n’ont pas cessé d’organiser ou d’assister à des rassemblements en présence. Si la justice transformatrice nous a appris une chose, c’est bien que le changement systémique n’est pas suffisant. De nombreux changements doivent aussi se produire au niveau communautaire et individuel.
(...)
La solution ne peut pas passer par la contamination de tous·tes au covid. Il s’agit d’eugénisme, car de nombreuses personnes handicapées à haut risque mourraient du covid et celles et ceux qui n’en mourraient pas auront de graves complications et des répercussions à vie sur leur santé et leur bien être, notamment en cas de covid long. Ne tombez pas dans le panneau de cette pensée eugéniste qui suppose le sacrifice des plus vulnérables. Le covid long est réel et peut toucher n’importe qui.

Cette pandémie va engendrer des millions de personnes handicapées supplémentaires souffrant de maladies chroniques. Sommes-nous prêt·es pour ce qui nous attend ? Sommes-nous prêt·es à faire face à l’augmentation du nombre de personnes souffrant de maladie chronique ? Sommes-nous prêt·es à la nécessaire modification de nos mouvements et de notre travail politique que cela implique ? Ou allons-nous continuer à exclure le handicap et les personnes handicapées de nos mouvements et de nos communautés ? Allons-nous continuer d’oublier le validisme et la suprématie validiste dans notre travail de libération ?

S’il y a jamais eu un moment pour se montrer solidaire des personnes handicapées, c’est maintenant. Comme c’est le cas depuis le début de la pandémie. Tout dépend de ce que vous pouvez faire maintenant. C’est le moment de vous réorienter, de vous (ré)aligner avec vos valeurs. Nous n’avons pas besoin de vos excuses, nous n’avons pas le temps pour cela, nous avons juste besoin que vous fassiez mieux. Si vous êtes valide, parlez aux autres personnes valides. À cause du validisme, iels seront plus ouvert·es à la discussion si elle vient de vous plutôt que de nous. Aidez-les à s’éduquer. Ne participez pas à la reconduction de la suprématie validiste. Désapprenez tout ce qui ne sert pas l’interdépendance.

L’interdépendance c’est en fin de compte le « nous » qui prime sur le « je ». C’est la compréhension que nous sommes lié·es les un·es aux autres, par notre simple existence sur cette planète. L’interdépendance est génératrice et fondée sur le soin des autres. Elle ne vit pas dans l’obligation ou le bon droit, mais plutôt dans un enthousiasme aimant et un don sacré. Elle ne peut pas exister dans la pénurie, la compétition, la comparaison, la domination ou la cupidité. Elle s’épanouit dans l’abondance, en appréciant et honorant la différence, dans le soin et l’accès collectif. L’interdépendance peut aussi bien exister entre deux personnes qu’entre six milliards.

L’interdépendance nous demande d’imaginer de nouvelles façons d’aller de l’avant avec l’intention et la profonde volonté de s’engager avec les autres. Nous avons besoin de vous. Nous avons besoin de nous tous⋅tes. On ne pourra pas sortir seul·es de cette pandémie. On ne pourra pas arrêter la propagation ou pousser nos gouvernements à en faire plus, seul·es. Nous avons besoin les un·es des autres. Nous avons besoin les un·es des autres.


Je trouve dommage que dans les milieux militants et alternatifs de la région, il n’y ait quasiment pas eu de débats collectifs sur la pandémie, ses causes et ses effets, sur les moyens d’y faire face dans la solidarité tout en gardant une distance critique avec l’Etat et ses politiques.
Une occasion ratée d’inclusion et d’effort d’interdépendance.


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