Des élu.e.s et habitant.e.s de la Vallée de la Drôme ont créé récemment la « Charte citoyenne 26 », afin disent-ils de voir émerger des listes citoyennes à partir de cette charte commune à l’ensemble de la vallée de la Drôme et du Diois.
Le texte de cette charte est en ligne sur le site « Charte citoyenne 26 », il y est aussi en PDF.
La démarche est intéressante, ça fait une base, de nombreux points vont dans le bon sens, mais je ne peux m’empêcher quelques remarques de critique constructive.
Des promesses
Tout d’abord, on sait que les promesses n’engagent que celleux qui les croient.
Si une liste signataire n’applique pas vraiment ces principes dès sa campagne, on peut craindre qu’il ne s’agit que de promesses en l’air.
D’autre part, une fois que les équipes élues se confronteront aux réalités des limites budgétaires, des contraintes légales et du cadre légal restreint de leur champ d’intervention, comment vont-elles parvenir à réaliser ces objectifs ?
Vont-elles désobéir ? Enfreindre la loi ? Vont-elles s’appuyer sur des réseaux d’habitant.e.s forts prêts à désobéir, à faire pression sur les services de l’Etat et sur elles-mêmes, pour que des choses positives se fassent malgré tout ?
Rien n’est indiqué à ce sujet, donc on peut craindre que ça fasse flop ou que les fameuses transitions se cantonnent à l’écume de la surface.
Ambitions consensuelles et vagues
On lit dans cette « Charte citoyenne 26 » beaucoup de belles déclarations, du type : « Passer d’un mode de société qui fait primer la loi de la compétitivité, du profit et de la finance, à une société qui privilégie les relations humaines et le respect du vivant. »
Seulement les moyens et objectifs restent flous, et donc pourront être détournés et récupérés par à peu près n’importe qui.
Alors que les destructions climatiques et écologiques qui s’aggravent de jour en jour appellent à des mesures claires, chiffrées, ambitieuses, on voit là plutôt une énième déclaration de bonnes intentions suspendue en l’air.
Par exemple, nulle part ne sont indiquées les ambitions de réductions drastiques des émissions de gaz à effet de serres, des voitures et du transport routier. Rien n’est dit sur l’urbanisme qui s’étale et la bétonisation des lotissements et zones artisanales.
Il est question d’emploi local et de circuits courts, mais rien n’est dit de la nécessité de changer complètement le système économique, les façons de travailleur, de répartir les activités, les modes de distribution... Rien non plus sur les inégalités sociales et les cortèges de précarités.
Les auteurs ne veulent pas trop heurter et c’est une synthèse obtenue par des personnes de sensibilités différentes, ils veulent rester consensuels et ne pas « faire peur », alors on a une Charte consensuelle, floue et molle.
Comme les politiciens en campagne, il s’agit de ratisser large, de rallier en restant « positif » ?
Mais vu la gravité de la situation, je ne pense pas que ce soit très porteur des changements radicaux dont nous et les restes du vivant avons urgemment besoin.
La Charte cite le défi suivant en introduction :
- Perte de confiance en nos institutions et nos élus
Or ce diagnostic est insuffisant. C’est plus profond qu’une perte de confiance, avec Nuit Debout et les Gilets jaunes c’est l’envie de changer complètement les choses qui s’étend, de viser une démocratie réelle, où les élus n’ont plus tout pouvoir.
D’autre part, le défi « Dérèglement climatique et perte de la biodiversité » est indiqué sans les causes de ces désastres, comme si c’était une calamité naturelle ou venue de Mars. Si on identifie par clairement les causes, il va être bien difficile d’y remédier, et le risque est d’en rester aux pansements et adaptations qui ne seront que de la pommade n’empêchant pas l’auto-emballement mortel du climat et une planète largement inhabitable.
Quelques points problématiques
En fin d’article je traiterai des points problématiques du paragraphe « Pour la démocratie et la participation citoyenne ».
Dans le paragraphe « Pour une transition écologique et plus d’autonomie locale » de cette Charte, je note 3 points qui posent question, et surtout 2 qui sont en contradiction avec les autres points :
- L’économie circulaire, les productions et filières locales, les circuits courts producteurs-consommateurs…
- L’installation d’entrepreneurs, artisans, artistes pour l’emploi local…
- Le développement des énergies renouvelables…
Le localisme n’élimine pas forcément le capitalisme
Le fait d’employer le mot local ne suffit pas. Le capitalisme peut être local, une usine locale peut fabriquer et exporter des produits pas terribles à l’autre bout du monde tout en sous-payant ses employé.e.s.
L’économie circulaire est un leurre
La notion "d’économie circulaire paraît de prime abord séduisante, mais en réalité il ne s’agit que d’un énième avatar illusoire du capitalisme "vert" qui poursuit le désastre en voulant faire durer le même système. Des aménagement à la marge n’enrayeront pas la destruction généralisée.
Il est impossible de tout recycler, et si on souhaite limiter le désastre, il faut surtout décroître, freiner, consommer mieux et mieux recycler sera très loin de changer la donne.
(voir articles en références plus bas)
Toutes ces jolies expressions du type "économie circulaire" ne sont que de l’enfumage et/ou des illusions commodes pour éviter de s’attaquer vraiment aux sujets qui fâchent. Dans le même genre, citons : le développement durable, l’économie de fonctionnalité, les smart grids, l’économie collaborative et du pair à pair, la gouvernance des biens communs et les structures juridiques des coopératives », et bien d’autres choses encore (fablabs, hackerspaces, etc., et tous les avatars du nouveau capitalisme cool, ultramoderne et high-tech), l’économie du partage, économie sociale et solidaire, économie contributive, économie de la fonctionnalité, économie bleue, économie verte, économie régénérative, etc.
Pour durer, le capitalisme et son monde qui détruisent la planète, tentent de redevenir séduisants et de changer quelques formes. Ne tombons plus dans le piège, on n’a plus le temps de perdre notre énergie dans ces voies sans issues.
Au lieu de changer vraiment les choses, les anciens et nouveaux bourgeois, les entrepreneurs malins ou nouveaux préfèrent mettre en avant de simples variantes du même système, avec malice, cynisme ou simple naïveté selon les cas.
Quelles énergies renouvelables pour quelle société ?
S’il n’y a pas de décroissance énergétique très rapide et très massive dans tous les domaines (en commençant par les plus polluants), toutes les énergies renouvelables du monde ne pourront pas suivre la demande en énergies et ne feront que s’ajouter aux autres (gaz, pétrole, charbon, nucléaire).
D’autre part, les énergies "renouvelables" industrielles demandent de l’énergie et des matières premières.
Et puis si l’énergie "verte" produire sert à alimenter une économie capitaliste, croissantiste, basée sur la consommation de tout, on n’est guère avancée.
Une usine à fabriquer des machins en plastique futiles qui fonctionnerait à l’éolien produira toujours les mêmes saloperies, au sein du même système économique totalitaire et autoritaire centralisé).
(voir articles en références plus bas)
Références
Pour aller plus loin, ces quelques articles expliqueront mieux que moi le problème des machins de « l’économie circulaire » et des « énergies renouvelables » au sein d’un monde capitaliste et industriel :
- Du mythe de la croissance verte à un monde post-croissance (par Philippe Bihouix)
- De Paul Hawken à Isabelle Delannoy : les nouveaux promoteurs de la destruction « durable »
- Sauver la civilisation, sauver le monde, régler tous nos problèmes, etc.
Extraits :
Les ressources métalliques, une fois extraites, ne disparaissent pas. L’économie circulaire, basée en particulier sur l’éco-conception et le recyclage, devrait donc être une réponse logique à la pénurie métallique. Mais celle-ci ne pourra fonctionner que très partiellement si l’on ne change pas radicalement notre façon de produire et de consommer.
Naturellement on peut et il faut recycler plus qu’aujourd’hui, et les taux de recyclage actuels sont souvent si bas que les marges de progression sont énormes. Mais on ne peut jamais atteindre 100% et recycler « à l’infini », quand bien même on récupérerait toute la ressource disponible et on la traiterait toujours dans les usines les plus modernes, avec les procédés les mieux maîtrisés (on en est très loin).
La croissance « verte » se base, en tout cas dans son acception actuelle, sur le tout-technologique. Elle ne fera alors qu’aggraver les phénomènes que nous venons de décrire, qu’emballer le système, car ces innovations « vertes » sont en général basées sur des métaux moins répandus, aggravent la complexité des produits, font appel à des composants high tech plus durs à recycler. Ainsi du dernier cri des énergies renouvelables, des bâtiments « intelligents », des voitures électriques, hybrides ou hydrogène…
Le déploiement suffisamment massif d’énergies renouvelables décentralisées, d’un internet de l’énergie, est irréaliste. Si la métaphore fleure bon l’économie « dématérialisée », c’est oublier un peu vite qu’on ne transporte pas les électrons comme les photons, et qu’on ne stocke pas l’énergie aussi aisément que des octets. Pour produire, stocker, transporter l’électricité, même « verte », il faut quantité de métaux. Et il n’y a pas de loi de Moore (postulant le doublement de la densité des transistors tous les deux ans environ) dans le monde physique de l’énergie.
Il nous faut prendre la vraie mesure de la transition nécessaire et admettre qu’il n’y aura pas de sortie par le haut à base d’innovation technologique – ou qu’elle est en tout cas si improbable, qu’il serait périlleux de tout miser dessus. On ne peut se contenter des business models émergents, à base d’économie de partage ou de la fonctionnalité, peut-être formidables mais ni généralisables, ni suffisants.
Nous devrons décroître, en valeur absolue, la quantité d’énergie et de matières consommées. Il faut travailler sur la baisse de la demande, non sur le remplacement de l’offre, tout en conservant un niveau de « confort » acceptable.
C’est toute l’idée des low tech, les « basses technologies », par opposition aux high tech qui nous envoient dans le mur, puisqu’elles sont plus consommatrices de ressources rares et nous éloignent des possibilités d’un recyclage efficace et d’une économie circulaire. Promouvoir les low tech est avant tout une démarche, ni obscurantiste, ni forcément opposée à l’innovation ou au « progrès », mais orientée vers l’économie de ressources, et qui consiste à se poser trois questions.
Quant à l’économie circulaire et aux autres nouveaux concepts économiques géniaux censés nous permettre de régler tous nos problèmes, ils sont autant de chimères. Selon toute logique, seule une sortie complète du capitalisme et de la société industrielle pourrait mettre un terme au désastre socioécologique en cours, ce qu’aucun d’entre eux ne proposent. Au contraire puisqu’ils vont souvent de pair avec différentes déclinaisons du capitalisme (qui un « capitalisme humain », qui un « capitalisme naturel » et qui un « capitalisme propre », entre autres), qu’ils ne proposent en réalité que différentes variantes de la vieille mystification du « développement durable[1] ».
Une démocratie encore bien tiède...
Dans le paragraphe « Pour la démocratie et la participation citoyenne », je vois un point flou et très insuffisant :
- Associer les citoyens aux projets communaux et intercommunaux, à toutes leurs étapes, par la mise en place de commissions comprenant habitants, élus, associations, acteurs économiques et techniciens…
De nos jours, tous les candidat.e.s ont ces jolis mots à la bouche pour être dans l’air du temps et essayer de regagner les faveurs des populations dégoûtées par leurs actions et par la politique institutionnelle qui se fait en dehors d’elles.
Dans la quasi totalité des cas, ces déclarations ne signifient que des machins consultatifs, ou les élus conservent sans partage toutes les capacités de décision, notamment pour les choix importants.
Bon prince, certains élus un peu malins octroient (sous contrôle) quelques miettes de budgets participatifs pour des choses secondaires, mais se gardent bien de changer quoi que ce soit pour le reste. Voir par exemple le cas de Mariton à Crest avec ses « budgets participatifs » à 50.000 €.
On peut très bien être associé aux réunions et commissions sans avoir aucun pouvoir de les influer, ou avoir une voix minoritaire, ce qui revient à laisser toujours et encore tout pouvoir aux élu.e.s.
Tant qu’il n’y pas au minimum une co-décision habitant.e.s/élu.e.s c’est du flan.
D’autre part, pourquoi vouloir associer les « acteurs économiques » et « associations » à tous les projets ? C’est d’entrée donner un pouvoir important à des « lobbies » divers, au profit de leurs intérêts, alors qu’il faudrait plutôt avoir une diversité de la population présente. Mais bon, ça peut se discuter, tout dépend de comment c’est fait.
Au passage, je ne vois rien qui aiderait les habitant.e.s à avoir du temps libre pour faciliter leur venue aux instances où ils participeraient aux prises de décision.
Sinon, « Veiller à la transparence des travaux et des prises de décision » c’est bien, mais une dictature aussi peut éventuellement être totalement transparente et annoncer toutes ces décisions publiquement. Le régime macroniste annonce ses décisions et les publie sur les sites gouvernementaux, est-ce pour autant de la démocratie ??
Donc si il n’y pas d’instauration de processus de prises de décision par les habitant.e.s (directement, ou en co-décision) une transparence accrue risque de ne pas changer grand chose.
Sans parler du fait qu’actuellement, l’économie, le capitalisme, ont un pouvoir énorme, influent le politique et empêchent tout changement profond...
Conclusion
Au final, je reste un peu sceptique sur le rôle de cette Charte.
S’agit-il d’un outil pour se rassurer et se donner bonne conscience, ou d’un outil pour vraiment peser vers la démocratie réelle, sociale et écologique ?
Dans tous les cas, s’il n’y a pas d’assemblées populaires fortes, de mouvements sociaux importants, d’engagements d’habitant.e.s sur le terrain et durant les campagnes municipales (et après), ces Chartes n’auront d’autres effets que de donner aux futurs élu.e.s locaux qui la signeraient une belle image tandis qu’ils continueront à gouverner seuls au sein du même système désastreux, et toujours prisonniers des injonctions de l’Etat et du capitalisme.
...à suivre
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