Analyses et perspectives socio-politiques des mouvements de contestation récents et en cours en France

Analyses pour alimenter des actions et réflexions stratégiques pertinentes

lundi 18 octobre 2021, par Stratégie & co.

Par delà l’actualité ponctuelle et médiatisée, voici des éléments d’analyses pour voir les mouvements de fond depuis plusieurs années.
Qu’on soit complètement d’accord ou pas avec, ces textes peuvent alimenter d’utiles réflexions stratégiques à même de construire des actions pertinentes pour la suite.
Au lieu de jeter toutes ses forces dans la bataille sans réfléchir en se heurtant frontalement aux points les plus renforcés de l’ennemi, affermir ses forces pour frapper partout ses points faibles en évitant les obstacles les plus dangereux.

GJ : TOUT SEUL ON VA VITE. 🦺ENSEMBLE, ON IRA LOIN !

- Des dizaines d’actions ont eu lieu dans toute la France ce samedi 16 octobre
Via Nantes Révoltée

Le 17 novembre 2018, brusquement, un surgissement faisait voler en éclats le réel. Personne n’avait vu venir cet événement politique ni imaginé sa puissance. La France invisible débarquait en jaune fluorescent sur les ronds-points, le long des voies, sur les péages, et jusqu’au cœur des métropoles. Elle partageait une colère sourde contre la vie chère, les fins de mois difficiles, l’injustice sociale, l’injustice fiscale et le mépris des gouvernements. Par ses pratiques offensives et diverses, son imprévisibilité, son organisation horizontale, l’onde insurrectionnelle terrifiait le pouvoir, le faisait même vaciller. Les Gilets Jaunes ne sont alors matés que par une répression militarisée, des mutilations par dizaines et des milliers d’arrestations.

Ce samedi 16 octobre 2021 nous serions au 160e acte de cette mobilisation sans précédent. Seule la pandémie a suspendu pour de bon le grondement persistant. Mais la réalité de l’injustice sociale et fiscale, cette guerre sociale des possédants contre le reste de la population n’a fait que s’accentuer de façon exponentielle. Attaques liberticides, destruction du système de santé, du code du travail, prix des denrées de bases : tout est pire qu’en novembre 2018.

Pendant la « trêve » permise par le Covid, le gouvernement a commandé et préparé tout un arsenal de guerre, bien conscient d’un potentiel retour de révolte, notamment en Gilets Jaunes ou pas. Tout en démembrement méthodiquement les biens communs. L’épisode épidémique aura démontré que les Gilets Jaunes avaient raison. L’expression de la colère et de la rage accumulée montant de toute part est désormais de nouveau visible. Ce samedi, après quelques jours seulement d’organisation sur les réseaux sociaux, des dizaines de ronds-points sont réoccupés, une gare a été envahie, un périphérique bloqué, des manifestations ont eu lieu. Ce n’est pas le grand retour, comme lors de l’Acte 1, mais ce réveil est loin d’être insignifiant dans la période. Les sans voix de la démocratie prise en otage dans un jeu truqué vont s’exprimer de plus en plus fort, en cette période préélectorale.

Au point culminant de l’acte 3, nous avons éprouvé dans nos corps la puissance collective : celle de se rendre ingouvernables. Celles et ceux qui l’ont senti ne l’oublieront jamais. Le pouvoir est illégitime. Il gouverne sur un volcan.

Post de CND
banderole parisienne Blackline de ce samedi

Analyses et perspectives socio-politique des mouvements de contestation récents et en cours en France
La stratégie se construit sur la durée, pour améliorer ses forces et afin d’attaquer les points faibles de l’adversaire

SAMEDI ANTI PASS DU 16/10 : UN MOUVEMENT PEUT EN CACHER UN AUTRE

Ce qui est extraordinaire dans le mouvement anti-pass, comme d’autres avant lui dans cette période, c’est qu’il dure. Et qu’en durant, il se transforme.

Bien sûr, les esprits chagrins auront remarqué qu’il y avait moins de monde ce samedi 16 octobre que les samedis précédents. Mais ce qui est remarquable, lorsqu’on on observe le monde avec l’ envie de le changer, c’est que le mouvement s’est quand même maintenu dans plus de 200 villes après 15 semaines de luttes continues et, encore plus remarquable, qu’il s’y est ajouté cette fois-ci, la reprise d’une centaine de rond-points par les Gilets Jaunes ainsi que des opérations escargots et des libérations de péages autoroutiers contre les hausses des prix des carburants, du gaz et de l’électricité.
Ce qui est considérable.

Bien sûr, là encore les grincheux et les sceptiques dans la traîne des médias des milliardaires, en séparant la comptabilité des deux mouvements se sont empressés de dire que comme le mouvement anti-pass déclinait, de son côté, la tentative des Gilets Jaunes de reprendre les rond-points, avait été un échec puisqu’il y avait moins de monde qu’en 2018 !

Analyses et perspectives socio-politique des mouvements de contestation récents et en cours en France
« Vivre en primitif, prévoir en stratège »

Certes, mais si l’on veut comparer, c’est l’incomparable, puisque ce mouvement est nouveau car il additionne le mouvement anti-pass et le mouvement contre la hausse des prix des Gilets Jaunes.
Ainsi, clairement, en plus des nombreux cortèges qui fusionnaient les deux mouvements et leurs deux revendications, on a vu à Montpellier ou à Pau les manifestations anti-pass rejoindre les rond-poins des Gilets Jaunes ou encore à Caen, les deux manifester ensemble au slogan de « Convergence ».
Cela constitue au total un très gros week-end de mobilisations ouvrant à toutes sortes de possibilités dans le contexte actuel. Et c’est ce qui est le plus important.
Personne ne peut savoir si comme l’espèrent bien des Gilets Jaunes, et moi avec, la reprise des rond-points amorce tout à la fois un début de débats et d’organisation, et donc de nouvelles initiatives dans les jours qui viennent comme certains en avancent la perspective.

Par contre, ce qui est sûr, c’est que cette convergence entre un mouvement social actif et encore important même s’il décline doucement, et ce qui reste à un fort niveau d’un ancien mouvement qui peut lui apporter son expérience concentrée dans ses objectifs de changer la démocratie, est tout à la fois hors du commun. En même temps cette convergence s’inscrit dans les évolutions des mouvements de ces six dernières années.

Avec cette convergence, nous sommes probablement au début d’une nouvelle période de mobilisations encore plus vastes, encore plus profondes.
Dans cette période où s’estompe la peur du covid, on peut lire les caractéristiques du mouvement qui vient au travers non seulement de l’extension du mouvement anti-pass à quasi toute l’Europe, la réapparition des Gilets Jaunes et une forte remontée des luttes sociales tous azimuts aujourd’hui en France, en Italie, aux USA ou encore ailleurs, mais aussi dans le fait que le mouvement actuel s’inscrit dans les mouvements continus de ces six dernières années, depuis 2016, pour ne pas remonter jusqu’aux révolutions arabes, ou au mouvement du LKP de Guadeloupe, pour au fond, n’en faire qu’un seul. Il s’agit d’un immense mouvement – six ans d’existence !

C’est le mouvement des classes populaires qui cherchent leur émancipation face à un capitalisme qui s’effondre sur lui-même et nous entraîne tous dans la catastrophe.

SEPT MOUVEMENTS IMPORTANTS EN SIX ANS ET PEUT-ETRE UN HUITIEME DEMAIN
En six ans donc, depuis 2016 nous avons connu pas moins de sept mouvements sociaux massifs – alors que nous entrons peut-être dans un huitième - aux formes et aspirations diverses mais aux motivations profondes communes qui forme au final un même et seul grand mouvement qui ne cesse pas et qui gagne en conscience au fur et à mesure qu’on avance dans le temps.
Du jamais vu depuis les périodes qui ont précédé mai 1968, juin 1936 ou encore les grandes grèves insurrectionnelles de 1948.

1. Il y a eu d’abord le mouvement contre la loi travail El Khomri au printemps 2016 sous le gouvernement Valls rognant le code du travail qui a duré plusieurs mois, a entraîné plusieurs secteurs professionnels avec notamment un blocage des raffineries et dépôts de carburants pendant 18 jours et qui a réuni par deux fois 500 000 personnes dans des manifestations. Déjà, contre les limites politiques de ce mouvement, a surgi « Nuit debout » pour poser la question du système général et pas que de cette loi, qui a occupé les places publiques tous les soirs avec la reprise en nombre des libérations de péages autoroutiers.
Ce mouvement contre la loi travail 1, comme toux ceux qui vont suivre, s’est fait sans ou contre les directions syndicales et politiques de gauche. Il est né de la base à l’occasion de la signature d’une pétition de 1 million de signatures en quelques jours contre la loi Khomri, en même temps le hashtag #onvautmieuxqueça devenait viral sur les réseaux sociaux en dénonçant l’exploitation, l’humiliation au travail des jeunes en particulier. « On vaut mieux que ça » témoigne déjà de tout ce qui va marquer la période qui suit jusqu’à aujourd’hui : on vaut mieux que les dirigeants politiques de Trump à Valls ou Macron ; on vaut mieux que ces notables, journalistes, experts et dirigeants d’entreprises, qui ressemblent à des escrocs allant de scandale en scandale des Panama aux Pandora Papers, mais qui nous font la morale ; on vaut mieux que cette fausse démocratie représentative ; on vaut mieux que le capitalisme.
Dans la foulée de la pétition et du hashtag, les organisations de jeunesse ont appelé à descendre dans la rue contre la passivité/complicité des organisations traditionnelles du mouvement ouvrier. Le mouvement était enclenché.

2. En 2017, la colère monte à nouveau durant la campagne électorale présidentielle du printemps où Macron et ses députés sont élus par défaut contre M. Le Pen avec une abstention importante. Le Front Social se crée alors réunissant 200 structures de la base syndicale contre les directions syndicales et politiques à la fois comme expression de la colère sociale dans la rue et en même temps comme tentative de donner une expression à cette colère et conscience face au faux choix électoral Macron/le Pen. Il appelle à un tour social dans la rue la veille du scrutin. Et dés le premier jour de l’élection de Macron, il appelle à sa démission dans une manifestation de 25 000 personnes tout en proposant de marcher sur l’Élysée.
Le mécontentement large accumulé en ce printemps 2017 éclate à l’automne avec un nouveau mouvement contre la loi travail 2 avec notamment une manifestation en septembre 2017 qui réunit 500 000 manifestants et, pour la première fois de manière aussi significative, on voit apparaître le cortège de tête en partie lié au Front Social, exprimant une nouvelle fois une insatisfaction à l’encontre des politiques des directions syndicales et une volonté de radicalisation.

3. En janvier 2018, la colère sociale redémarre et ne cessera pas de se faire entendre jusqu’en juillet avec d’abord le mouvement Notre Dame Des Landes qui fait reculer Macron, puis dans le même temps une grève dure et longue des agents de la pénitentiaire, un mouvement lycéen rampant, l’apparition du mouvement Colère – avec également les motards - dont les manifestations atteindront jusqu’à 250 000 personnes qui donnera ensuite les Gilets Jaunes, et enfin un mouvement massif dans les ehpad avec 2 000 maisons de retraite en grève qui montera le rôle important du prolétariat féminin dans les mobilisations de la période. De cette dernière grève naîtront les hashtags #balancetonehpad et #balancetonhosto qui soulèveront l’indignation populaire en faisant connaître largement les lamentables conditions de travail dans les hôpitaux et dans les ehpad ainsi que dans ces derniers les honteuses conditions de résidence des seniors. Sous la pression de cette montée sociale et celle du Front Social -tandis qu’une « fête à Macron » pour le dégager réunit 50 000 personnes en mai - et alors que naissent de grandes grèves étudiantes, l’appareil syndical se résout à lancer une grève aux apparences radicales, une grève de trois mois des cheminots... mais seulement deux jours par semaine, ce qui équivaut à la torpiller et à gâcher sa capacité à entraîner l’ensemble des classes populaires. Cependant, témoignage des colères en cours, cette grève est très suivie, ce qui encourage la base et particulièrement les secteurs jeunes des électriciens et gaziers à entrer à leur tour sans les appareils dans une grève qui durera un mois et demi avant que les vacances ne l’éteignent. Sur le terrain politique, l’ensemble des forces de gauche tentent de donner une expression politique à cet épisode avec des manifestations, les « marées » fin mai contre la politique de Macron qui réuniront jusqu’à 250 000 personnes, mais qui sont vouées à n’avoir pas de suite parce ses principaux organisateurs n’offrent pas d’autre perspective que de bien voter en 2022.

4. En novembre 2018, dans le sillage de « Colère » mais aussi des acquis des mouvements précédents, le mouvement des Gilets Jaunes démarre contre les hausses de prix. Tout de suite il va hausser le ton de la radicalité cherché depuis un moment en voulant – comme le Front Social mais dans une plus grande dimension - prendre l’Elysée. Le mouvement se maintient longtemps en occupant jour et nuit des centaines de rond-points où il multiplie débats et rencontres tout en manifestant tous les samedis et libérant des péages autoroutiers, bloquant des grandes surfaces, etc... Début 2019 jusqu’au début 2020, apparaît l’ Assemblée des Assemblées, qui tente de donner une expression politique unifiée au mouvement des Gilets Jaunes tout en le tirant sur la gauche contribuant à donner au mouvement cette image alors que le gouvernement, les médias et les directions syndicales tentent de lui faire une réputation d’extrême droite. Le mouvement des Gilets Jaunes marque de manière importante toute la fin de l’année 2018 et le début de l’année 2019 avant de se maintenir mais à un niveau nettement moindre... ce qui lui permettra toutefois de réapparaître aujourd’hui.

5. En décembre 2019, la base des agents de la RATP veut reprendre la radicalité des Gilets Jaunes et lance une grève illimitée contre la réforme des retraites que voudrait faire passer le gouvernement menaçant donc de bloquer toute l’activité de la région parisienne. Les traminots entraînent avec eux les cheminots et quelques autres secteurs avec jusqu’à 1 500 000 manifestants avant que début 2020, faute de secteurs ayant suffisamment suivi puis le covid, ne mettent un terme à cette mobilisation.

6. Début mars 2020, un mouvement court mais massif et explosif de 15 jours à nouveau parti de la base, voit des centaines de milliers de travailleurs appliquer spontanément le « droit de retrait » en n’allant pas au travail face au covid pour ne pas risquer leur santé au seul bénéfice de leurs patrons. Ce mouvement a été largement invisibilisé par les médias et les directions syndicales pour qu’on n’ait pas le souvenir et la conscience de ce mouvement subversif où les prolétaires faisaient passer leur vie avant le profit des capitalistes. Par contre le grand patronat et le gouvernement paniquent. Sous la pression du Medef, Macron concède alors dans son discours du 16 mars de faire passer la santé avant « l’économie ». C’est bien sûr hypocrite puisque si le gouvernement paye le chômage partiel qu’il met en place il réplique surtout par son confinement ultra policier afin de casser et faire oublier ces velléités ouvrières à dire ce qui est important et ce qui ne l’est pas. Cela dit, c’est ce mouvement qui déclenche toute cette période où on se met à rêver du « jour d’après », où les soignants prennent eux-mêmes en main l’organisation des services face à des ARS et des directions incapables, où on découvre le courage et l’utilité des premiers de corvée qui deviennent les héros du jour, où la solidarité active s’organise dans les quartiers envers les plus fragiles, un avant-goût de ce que pourrait être un monde échappant à la loi du profit égoïste. Mais la pression des médias, des directions politiques et syndicales, des institutions et du gouvernement feront qu’on ne retiendra de ce moment, avec ironie, que le seul fait qu’on applaudissait les soignants le soir.

7. Le discours de Macron du 12 juillet 2021 qui prend le contre-pied de celui du 16 mars 2020, veut tout à la fois définitivement effacer la période qui a suivi ce dernier où on a rêvé d’un monde d’après et en même temps casser toute possibilité de soulèvement populaire en cette période de fin d’épidémie et de préparation des présidentielles. Mais au contraire, cela provoque en résistance à partir du 14 juillet le mouvement anti-pass où est contesté l’autorité du gouvernement et de ses experts en matière médicale, parce que tout le monde a compris de la période que les mesures prétendument sanitaires du gouvernement sont surtout des mesures policières.

8. Et puis, depuis ce samedi 16 octobre 2021, nous entrons peut-être dans l’amorce d’un huitième mouvement.

UN TERREAU DE LUTTES SOCIALES ET DE PROGRES DE CONSCIENCE SUR LEQUEL POUSSENT LES GRANDS MOUVEMENTS
Pour comprendre ce huitième mouvement possible, il faut bien voir que les 7 mouvements précédents ont tous été accompagnés de très nombreuses autres mobilisations mais plus dispersées, ponctuelles, moins visibles. En même temps, c’est cette mobilisation large autour des mouvements décrits plus hauts qui les a permis en créant une sorte de terreau d’où ils sont sortis.
Or ce terreau se reconstitue aujourd’hui depuis avril-mai 2021, avec l’interruption de l’été, mais une reprise encore plus importante de luttes sociales diverses depuis septembre.

Il faut ajouter que durant ces grands mouvements, il y en a eu d’autres de même ampleur ou plus encore, dans les Dom-Tom, notamment une grève générale de plus d’un mois en Guyane en 2017 et à Mayotte aussi en 2017 où l’île n’a connu que 20 jours sans conflits et en 2018 avec une grève générale d’un mois tandis que la Guadeloupe, la Martinique et la Polynésie connaissaient des mobilisations soutenues durant toutes ces années. Enfin, Guyane, Martinique, Guadeloupe, Polynésie et Nouvelle Calédonie connaissent à l’heure actuelle des quasi grèves générales rampantes depuis plus d’un mois contre l’obligation vaccinale et le pass sanitaire.

Tous ces grands conflits décrits plus haut, ont été entourés, précédés, suivis par une foule d’autres moins médiatisés mais importants, tant en ces périodes de contestation générale, les luttes sont communicantes.

Il y a eu des manifestations antiracistes importantes, d’autres de travailleurs sans papiers notamment en 2020, d’autres encore contre les lois liberticides durant 4 mois en 2021 qui ont amené dans la rue des dizaines de milliers de jeunes manifestant parfois pour la première fois. Il y a eu aussi des manifestations pour le climat en particulier en 2018 et 2019 entraînant jusqu’à 350 000 manifestants ; des manifestations féministes avec une sorte d’apogée avec Metoo en 2019 ; et puis encore des grèves quasi incessantes mais dispersées chez les hospitaliers et personnels de santé qui m’en a fait compter près de 4 000 en 2017, des grèves rampantes non négligeables chez les lycéens en 2018, 2019, 2020 et 2021, la grève importante des pompiers qui a duré plusieurs mois en 2019 jusqu’à début 2020

Pour 2021, il y a eu le mouvement des occupations de théâtres qui a eu duré deux mois et occupé plus de 100 théâtres et lieux de culture au printemps, des centaines de grèves des agents territoriaux contre la loi de transformation de la fonction publique qui les fera travailler plus longtemps sans les payer plus, des grèves qui durent depuis 2020, se sont intensifiés en 2021 en particulier de mars à mai, et continuent aujourd’hui, mais des grèves extrêmement dispersées, le plus souvent par ville.

Il y a encore eu un mouvement de grève dans les hôpitaux un peu plus visible durant cet été contre les suspensions des personnels non vaccinés. Et puis récemment des grèves à caractère catégoriel toujours dans la santé mais bien suivies, sages-femmes, infirmiers de blocs, psychologues, services de réanimation, Samu, ambulanciers...

Et puis, toujours aujourd’hui, les grèves des chauffeurs de bus, qui durent depuis début septembre touchent une cinquantaine de villes, mais là aussi dispersées, sans coordination, sauf, quand la grève tend à s’étendre sur la même zone géographique, comme pour la société Transdev en Île de France.
Enfin, la grève des employés de bibliothèques et médiathèques - la seule grève professionnelle contre le pass sanitaire - qui dure pour certains depuis presqu’un mois et qui a touché plusieurs centaines de bibliothèques, médiathèques et établissements culturels avec deux journées d’action en octobre sans que les grandes confédérations syndicales les soutiennent à l’exception de Solidaires.
Ces luttes sont entourées ces dernières semaines d’une forte extension de grèves diverses dans tous les secteurs pour des augmentations de salaires, contre des licenciements, pour l’amélioration de conditions de travail et en particulier depuis la journée syndicale nationale d’action du 5 octobre qui a redonné confiance à un certain nombre de militants de base, tandis que poussés par cette tendance et le mouvement anti-pass qui continue, les grandes confédérations syndicales multiplient en ce mois d’octobre 2021 les journées d’action profession par profession, deux à trois par semaine environ, pour d’une part disperser la colère et d’autre part éviter qu’une coordination des luttes se fasse et sans elles.
Les plus pessimistes peuvent penser que la multiplication des luttes, qui souvent durent, est due à la résistance des patrons qui ne cèdent rien ou pas grand chose et du gouvernement qui cogne fort. Oui, bien sûr, mais face à un tel mur, elles pourraient se décourager et s’arrêter. Or, c’est le contraire qui se passe, ne pas gagner, perdre ne décourage pas mais encourage à y revenir plus fort et plus conscients. Et la multiplication des luttes actuelles témoigne du fait que le mouvement social cherche une issue collective qui définit la possibilité d’un huitième mouvement.
Tout cela définit une période.

NOUS VIVONS UNE PERIODE DE GREVE GENERALE A LAQUELLE IL NOUS FAUT CONSTRUIRE SON EXPRESSION POLITIQUE
La grève générale ne se définit pas tant par l’importance des luttes mais par l’esprit commun subversif qui les les anime.
Or ce terreau large de luttes, c’est aussi celui dans lequel s’est formée silencieusement une méfiance générale envers la police, la justice, la presse, les partis politiques, les élections, les directions syndicales, le clergé, les valeurs de réussite individuelle au détriment des autres, les croyances religieuses, la protection des frontières, l’expertise scientifique sanitaire ou climatique de l’Etat, la pseudo honnêteté des dirigeants économiques, des nantis... Cela existait plus ou moins auparavant mais est devenu aujourd’hui un langage véritablement commun dans les classes populaires.

Et petits ou grands, tous les mouvements sont habités de cette conscience.
Ainsi, contrairement aux périodes précédentes, où chaque lutte se vivait de manière indépendante des autres, chaque échec démoralisait aujourd’hui chaque échec apprend à faire mieux demain, cela aussi bien en France qu’à l’échelle du globe.

Cet esprit général forme un seul et même mouvement ou plus exactement, une seule et même période qu’on peut appeler "période de grève générale" au sens ou ce qui définit l’infinie variété de mouvements est que la tendance dominante en est habitée par l’importance croissante de la prise de conscience que pour gagner, il faudrait une grève générale, s’y mettre tous ensemble et renverser le système.
Les bourgeois sont clairement conscients de ce qui est en jeu.

C’est pourquoi ils font beaucoup d’effort pour placer dans leurs médias nombre de journalistes et chroniqueurs fascistes ou fascisants afin d’une part de brouiller les esprits et d’autre part de préparer pour demain, s’ils y arrivent, des troupes fascistes face à une montée insurrectionnelle du prolétariat et leurs attaques contre les protections des chômeurs ne sont peut-être pas indépendantes de ces calculs afin de créer une base de masse, miséreuse, pour la création de forces fascistes.
De son côté, la majorité de la gauche syndicale et politique complète cette même confusion en faisant semblant de confondre la fascisation des sommets et celle d’en bas. Elle dénonce les quartiers populaires comme électeurs des Le Pen, ce qui est faux les quartiers s’abstiennent ; elle dénonce comme "fascistes" les mouvement populaires d’émancipation, les Gilets Jaunes, le mouvement anti-pass, ou en Italie les ouvriers qui se battent pour ne pas être licenciés. Ainsi, les partis trouvent-ils encore là la justification à leur présence aux élections pour y soit-disant "battre le fascisme", ce qui concrètement revient en fait à la justification de la politique du moindre mal tandis que les directions syndicales ont trouvé là, la justification de leur inaction face aux reculs, l’argument des masses devenues fascistes venant remplacer celui des masses qui ne se battent pas.
Pour le moment, les classes populaires n’ont pas vraiment toute cette conscience par la réflexion, mais elle grandit toutefois par l’expérience.

Cependant, il est important dans cette période de faire plus et plus vite, parce que la réaction bourgeoise peut taper fort très vite avant justement que les classes populaires en viennent à la conscience révolutionnaire vers laquelle elles tendent. Il s’agit d’accélérer les prises de conscience en liant les expériences actuelles aux lointaines expériences du mouvement ouvrier dans ses moments révolutionnaires et aux leçons qu’il en a tirées.

C’est Rosa Luxembourg qui en son temps avait initié cette idée de "période de grève générale" autour de la révolution de 1905 et les tâches qui en découlaient. Elle estimait cette période pour cette époque à une période de dix ans. C’est encore elle qui écrivait au même moment que dans cette période, "la révolution précédait la grève", signifiant que la grève, fut-elle générale, ne pouvait déboucher, ne pouvait gagner, avoir un débouché, que si elle était animée de l’expérience concentrée et des perspectives du mouvement ouvrier dans ce qu’il avait de réellement socialiste et révolutionnaire.

Aujourd’hui, la première étape de prise de conscience socialiste révolutionnaire est d’avoir la conscience de cette période de grève générale et ses tâches en ayant déjà la mémoire des luttes de ces dernières années et de la restituer, car cette mémoire définit une compréhension commune de la période ce qui permet en retour d’y agir plus efficacement.

En même temps, cette mémoire définit un "parti" au vrai sens du terme, non pas au sens de discipline, mais au sens de "partisans" libres d’un même combat, d’un même but. C’est ce "parti" ou le terreau de ce "parti" qui prend forme aujourd’hui de manière informelle par les multiples échanges et prises de contacts de militants divers, sur fond d’une prise de conscience large. Il reste à accélérer ce mouvement en lui donnant un caractère plus formel.

La convergence Gilets Jaunes/mouvement anti-pass qui s’est dessinée ce 16 octobre nous dit que la situation et mûre pour que se cristallise à nouveau ce que le Front Social ou l’Assemblée des Assemblées ont tenté en leur temps, voire plus tôt auparavant le NPA dans ses objectifs de ses tout débuts et le LKP guadeloupéen, dans un moment qui à l’époque englobait les révolutions arabes et à partir de laquelle on peut mesurer l’évolution des prises de conscience qui ont mené jusqu’à aujourd’hui.

Nul ne peut savoir ce que peuvent être ce nouveau NPA, LKP, Front Social ou Assemblées des Assemblées de demain,
Par contre, ce qui est sûr, c’est qu’il y a aujourd’hui des centaines de militants qui tout en participant aux combats des Gilets Jaunes ou du mouvement anti-pass, ont déjà fait l’expérience, tout ou partie, de ces regroupements en ayant à l’esprit la mesure de leurs erreurs ou fragilités et qui cherchent à se rassembler. Il y a également des milliers de Gilets Jaunes qui tout en animant en partie le mouvement anti-pass sanitaire cherchent le moyen d’être plus efficaces qu’ils ne l’ont été et cherchent des idées en ce sens, des regroupements en ce sens. Il y a des milliers de militants syndicalistes de base qui s’étaient déjà regroupés dans le Front Social et qui ont repris du poil de la bête autour et à partir de la journée syndicale nationale d’action du 5 octobre.

Par ailleurs, il y a fort à parier que plus on avancera vers le piège des élections présidentielles, plus le mouvement social actuel qui n’a pas de candidat et qui se définit entre le mouvement anti-pass, les Gilets Jaunes, les syndicalistes de base qui animent les luttes actuelles, les militants révolutionnaires ou radicaux à gauche, cherchera à y avoir sa propre expression politique. Il cherchera à faire passer le message révolutionnaire qui découle de son expérience et de ses méfiances et qui déborde les élections et leur résultat. Il cherchera à donner un message qui offre des perspectives révolutionnaires tout à la fois totalement indépendantes du jeu électoral mais qui en même temps englobe ce moment électoral en permettant de maintenir l’unité du mouvement par delà des choix électoraux des uns ou des autres qui divisent - participation et vote pour tel ou tel ou abstention - et qu’il pourra définir collectivement en fonction des circonstances concrètes du moment.
La perspective de construire cette nouvelle force politico-sociale carrément révolutionnaire sur fond général d’évolution subversive des consciences et de luttes qui ne cessent pas, c’est maintenant.

Jacques Chastaing le 17/10/2021

Analyses et perspectives socio-politique des mouvements de contestation récents et en cours en France
La stratégie n’est pas un jeu, c’est un élément primordial sur lequel s’appuyer pour vaincre l’ennemi

9/10/2021. IL NOUS FAUT MESURER ET FAIRE MESURER COMBIEN LE MOUVEMENT ANTI-PASS EST EN TRAIN DE SAPER L’ORDRE ETABLI

Les manifestations du samedi 9 octobre ont montré que le mouvement anti-pass, loin de s’essouffler, garde au contraire tout son souffle avec toujours un haut niveau de mobilisation bien qu’il en soit à sa 13e semaine. Les situations sont contrastées selon les villes et même si on en est pas de manière générale à la hauteur de juillet ou bien août, on notait toutefois ce samedi des villes où on comptait plus de manifestants que la semaine passée.
Par ailleurs, le caractère plus populaire, plus déterminé, plus révolté des manifestations qui était apparu le 2 octobre avec plus de Gilets Jaunes s’est maintenu ou amplifié en même temps que l’extrême droite continue son décrochage.
Il est à noter aussi que dans plusieurs villes ou régions, des Gilets Jaunes ont précédé les manifestations d’opérations escargots sur les autoroutes contre la hausse des prix de l’essence, du gaz et de l’électricité. Une tendance ?
Enfin en Guadeloupe, Martinique et Guyane, la mobilisation qui ressemble à une grève générale rampante a été marquée non pas par une mais deux fortes journées de mobilisation. D’abord le 7 octobre où cela a été massif avec une mobilisation coordonnée aux Antilles et en Guyane, ensuite le 9 octobre où il a été appelé à intensifier encore la mobilisation dés le 11 octobre au matin, jour où l’administration sanitaire a promis dans un style tout à fait colonial et ubuesque de suspendre les non vaccinés bien qu’ils soient très majoritaires parmi les agents hospitaliers ou de santé.
Quoi qu’il en soit des tendances en cours, de manière générale la persistance de cette mobilisation populaire foisonnante à un haut niveau et de plus en plus déterminée, à la veille des élections présidentielles, est en train de marquer la situation politique et sociale sans qu’on s’en rende toujours compte ou bien plus qu’on ne le croit souvent.
Il ne faut jamais oublier pour mesurer ce poids de la mobilisation actuelle sur la situation générale que cette mobilisation anti-pass en France, comme hier celle des Gilets Jaunes ou encore celle contre la réforme des retraites en 2019 mais aussi toute la conflictualité sociale quelle que soit sa forme qui n’a pas cessé depuis au moins 2016, s’intègre dans une vague de soulèvement sociaux qui embrasent quasi toute la planète. Tous, d’une manière ou d’une autre, exigent un plus grand contrôle des peuples sur la conduite des affaires politiques et sociales, avec jusque là un pic de mobilisation en 2018-2019 et 54 pays connaissant des soulèvements ces années-là.
Ces conflits ont été un instant atténués ou interrompus par le covid.
Mais aujourd’hui où l’épidémie semble s’émousser et pourrait aller vers sa fin au moins à certains endroits, la question qui en filigrane détermine toute la situation est de savoir si la vague de contestation sociale d’avant covid va reprendre, va se développer à un niveau encore plus élevé et plus politique qu’en 2018-2019 et si le mouvement anti-pass en est le premier pas.
Personne ne peut le savoir mais tout porte à le penser à la lumière des développements du mouvement social en particulier en Inde où il ne s’est pas arrêté, au Chili et au Brésil où il reprend, et surtout plus proche de notre univers occidental, dans bien des pays d’Europe ou d’occident notamment aux USA et en Italie, où le mouvement anti pass se mêle à une vague de grèves.
En tous cas, les milliardaires et le pouvoir craignent cette résurgence et toute leur politique est d’essayer de prévenir cette nouvelle bouffée de colère populaire qui pourrait les menacer.
Alors, si les bourgeois et le pouvoir se préparent, pourquoi ne le ferions nous pas aussi en donnant au moins à voir ce que notre camp est en train de réaliser et à travers cela notre force ascendante.
DONNER A VOIR COMMENT LA DUREE DANS LES CONFLITS SOCIAUX EST LIEE A UNE CONSCIENCE MONTANTE
Ce qui caractérise la situation conflictuelle dans la période c’est que la plupart des conflits durent. Ils durent parce que la situation matérielle devient cruciale pour beaucoup mais aussi et lié à cela, parce que même catégoriels, pour la survie immédiate, ils sont tous habités d’une conscience globale de la situation qui a bien compris qu’il s’agit d’un combat à mort entre le capitalisme et notre survie.
Il y a aujourd’hui en conséquence et en plus des mouvements à proprement parler, un phénomène massif de désobéissance sociale, sociétale et civique qui devient la règle.
On voit la partie émergée de cet iceberg par le refus des salariés d’aller au travail en mars 2020 pour protéger leur santé en utilisant massivement le droit de retrait, puis le refus des parents d’envoyer leurs enfants à l’école, le refus massif ensuite de participer aux scrutins électoraux, puis aujourd’hui celui de refuser l’obligation vaccinale et le pass…
Cette désobéissance de masse dans tous les domaines se nomme liberté ; liberté de penser, de croire ou ne pas croire, de dire ce que sont les hauts gradés, les personnalités, les importants, les experts et docteurs de télévision et autres parasites au service de l’ordre établi... Tous ceux qui se croient grands mais sont au service d’un petit… un petit apprenti dictateur vomi.
Nous avons connu jusque là une longue période où la « réussite » sociale individuelle était le but de la vie. Nous sommes en train de passer à une autre où la « politique » au meilleur sens de l’organisation de la vie en commun est en train de devenir l’objectif collectif de la vie. Ce n’est pas encore de l’auto-organisation mais ça en est le chemin nécessaire.
Cette méfiance/conscience générale qui habite tous les mouvements et qui est la source de leur durée est animée du sentiment, en plus ou en moins, que nous ne vivons plus vraiment en démocratie, que la justice est celle des riches, que la police est la milice du pouvoir, que la grande presse n’informe pas mais fait de la propagande, que le pouvoir économique non élu est au dessus du pouvoir politique élu, que les frontières ne nous protègent pas des crises climatiques et sanitaires mondiales, que l’expertise scientifique dans les mains des puissants est un outil politique avant de dire la « vérité », que les grands partis et directions syndicales sont des rouages du « système », que l’opposition gauche-droite n’a plus de sens et que s’y substitue une opposition haut et bas, que les élections dites représentatives ne nous représentent plus et qu’elles ne sont plus le débouché politique des mouvements sociaux mais que le mouvement social est devenu son propre débouché politique, bref,en résumé, que le capitalisme n’est pas le seul système possible.
C’est une très forte prise de conscience.

DONNER A VOIR LE POIDS DU MOUVEMENT SOCIAL ACTUEL SUR LA SITUATION ET A TRAVERS CELA DONNER CONFIANCE EN NOTRE FORCE ASCENDANTE
Comme je l’ai déjà noté, le mouvement anti-pass a bloqué les prétentions du gouvernement à sanctionner les non vaccinés, puisque seulement 3 000 (ou 20 000) selon lui – même si c’est 3 000 ou 20 000 de trop – ont été suspendus sur 350 000 soignants non vaccinés. Il a bloqué aussi l’envie du grand patronat d’étendre le pass sanitaire à toutes les professions comme cela se fait par exemple en Italie ou aux USA, pour licencier plus facilement, par peur d’une généralisation de la colère.
Il a pesé encore sur la manifestation syndicale du 5 octobre et surtout ses suites et par là, a remis la question sociale au centre de l’actualité contre les questions de sécurité, d’immigration, etc....
Cette journée du 5 a été conçue au départ par les directions syndicales pour repousser au plus loin possible toute mobilisation contre les attaques de Macron déclenchées le 12 juillet et - accompagné de quelques calomnies sur le mouvement anti-pass – pour éloigner le mouvement ouvrier organisé de cette mobilisation anti-pass.
L’objectif de décourager les salariés a fonctionné puisque la mobilisation était loin d’être à la hauteur des enjeux. En même temps, on peut voir cette faible participation non pas comme une absence de volonté de mobilisation de la part des travailleurs, puisqu’il y a en même temps de fortes participations à de nombreux mouvements locaux ou catégoriels, mais plus comme un désaveu de la politique syndicale. Cependant, les directions syndicales avaient un double problème : qu’il n’y ait pas trop de monde pour ne pas avoir envie de continuer mais suffisamment quand même pour ne pas paraître ridicules par rapport aux manifestations anti-pass, ce qui les a amené à faire un petit effort de mobilisation ici ou là.
Ainsi, l’objectif de décourager les militants d’une mobilisation d’ensemble a moins marché.
Ces derniers étaient en effet assez nombreux dans ces manifestations pour qu’un nombre non négligeable d’entre eux en sorte encouragé par rapport au pire qu’ils pressentaient. Les militants de certains secteurs étaient d’autant plus encouragés qu’il y avait dans ces manifestations une présence non négligeable de cortèges d’entreprises en lutte avec des salariés qui n’avaient jamais manifesté jusque là et pas mal d’entreprises qui sans participer aux manifestations avaient choisi cette date pour faite grève sur des problèmes particuliers.
A la RATP pour ne prendre que cet exemple, le mouvement a été plutôt bien suivi dans certains dépôts. Du coup les syndicats ont appelé à une suite rapide plus radicale dans leurs secteur. Rappelons-nous combien déjà la RATP avait été un intermédiaire entre le mouvement des Gilets Jaunes et les secteurs ouvriers organisés avec le mouvement que les agents de la RATP ont déclenché fin 2019 contre la réforme des retraites.
Or cet « encouragement » initie une conscience que le découragement fait taire. Ainsi, une leçon de cette période de mouvement anti-pass et de la grève du 5 octobre à laquelle les directions syndicales n’ont aucune envie de donner une suite, c’est qu’il n’y a plus grand monde chez les militants pour penser que les directions syndicales puissent rompre avec leur politique de dialogue social comme avec leurs journées d’action sans suite et sans plan.
Aussi, parce que les directions syndicales ne donneront pas de suite au 5 octobre et parce que dans le même temps le mouvement anti-pass va continuer les 16, 23, 30 octobre et au delà en exerçant toute sa pression pour tirer vers la rue, l’encouragement du 5 octobre aura servi de point d’appui aux militants les plus combatifs pour prendre plus d’autonomie afin d’aller plus loin.
Le plus important est donc qu’enfin les militants syndicalistes sont descendus dans la rue et que suffisamment d’entre eux aient envie de remettre ça d’une manière ou d’une autre.
A partir de là, la situation a brutalement changé. Une sorte de halo politico-social général s’est formé qui associe maintenant plus ou moins consciemment dans les esprits de tous, les luttes syndicales et économiques et la lutte anti-pass, comme un tout, marchant toutes dans le même sens, toutes contre le pouvoir, toutes dans la rue, tendant à faire oublier alors tout d’un coup toute la propagande sur la prétendue fascisation des masses et en particulier de celles qui défilent contre le pass.

Ainsi, on a pu remarquer que ce samedi 9 octobre, en retour du 5, que bien des cortèges « syndicaux » dans les manifestations anti-pass étaient plus fournis, phénomène qu’il faut associer aux opérations escargots des Gilets Jaunes contre les hausses des prix ce 9 également et au mouvement anti-pass qui a rejoint la marche des fiertés à Toulouse toujours ce 9, ce qui construit un tout, une tendance et donne forme à une conscience.
On peut d’autant plus mesurer cette conscience et cette tendance et la possibilité d’un mouvement d’ampleur, à la remontée des grèves aux USA et en Italie (qui associent pour ce dernier pays, luttes anti-pass et luttes contre les licenciements), les deux pays occidentaux qui avec la France ont connu une montée sociale dans la période récente dans des circonstances semblables. Et tout cela sans oublier dans la situation les chômeurs dont on peut se demander comment ils vont réagir dans ce contexte « tendanciel » lorsqu’ils auront à la fin du mois des allocations fortement diminuées.
On peut alors mesurer l’inquiétude des directions syndicales face à cette situation qui pourrait les déborder à la multiplication des journées d’action dispersées qu’elles annoncent pour l’après 5 octobre afin d’essayer de faire barrage. Toutes ne dépendent pas d’elles mais toutes baignent dans l’absence de suite d’ensemble au 5 octobre. Il y ainsi le 6/10 le médico-social ; le 7/10 les sages-femmes et la MSA (Mutualité Sociale Agricole) ; le 12/10 les médecins urgentistes et le SAMU ; le 13/10 les bibliothèques et établissements culturels ; le 15/10 les pompiers et la santé ; le 19/10 les AESH, l’Énergie et la sûreté des aéroports ; le 29/10 la SNCF... et d’autres encore en novembre, au cas où... Mais lorsqu’un mouvement est enclenché, il se sert le plus souvent de ces fractionnements pour faire de chacun d’eux un point d’appui pour aller plus loin, comme le 5 octobre.

Le principal acquis global du mouvement anti-pass - et c’est déjà une victoire politique importante- est donc qu’il a redonné à la rue son rôle central pour battre Macron aujourd’hui et pas dans les élections dans 6 mois mais aussi pour battre en même temps Le Pen, Zemmour, Bertrand, Pécresse ou encore Philippe qui ont tous horreur de la rue.
Cette nouvelle situation qui s’amorce détourne ainsi les militants syndicaux et politiques de base de l’attraction électorale vers laquelle leurs organisations les poussait et vers laquelle ils ne s’engageaient qu’à contre-cœur, n’y voyant qu’une impasse et un piège. Il n’y a plus que le petit cercle militant restreint qui se bat pour son champion pour être encore attiré par la question électorale, ses différents candidats, l’abstention ou non.
Cette mobilisation en remettant donc la rue et la question sociale au centre de la situation, nous débarrasse de toutes les puanteurs que véhiculent les élections à commencer par celle de la sécurité et du racisme que les partis de l’ordre et leurs médias nous distillent à longueur de journée. La perspective de la rue rend non seulement la perspective électorale obsolète mais encore plus visible l’usure de ses champions, le couple Macron/Le Pen. Or il y a risque pour les riches que cette usure renforce un rejet populaire des deux déjà bien amorcé et en conséquence délégitimerait l’ensemble des élections présidentielles. Cela est très problématique pour la bourgeoisie car l’élection présidentielle – bien plus que les autres élections - est le noyau de la réitération périodique de la fabrication du consentement populaire à l’exploitation et l’oppression.

Cette délégitimation des élections présidentielles qui s’amorce aujourd’hui dans la lutte pour battre Macron maintenant dans la rue pourrait s’exprimer demain de très nombreuses manières dans le scrutin suivant les résultats de cette lutte. Une victoire ou une défaite auraient des conséquences très différentes. De manière générale, et pour donner quelques exemples de l’infinie variété de possibilités, le mouvement social n’ayant pas vraiment de candidat à lui, il pourrait s’exprimer par une abstention massive. Mais le scrutin pourrait au contraire connaître une participation record suivant l’enjeu perçu dans ces élections comme par exemple aux USA où les électeurs n’ont pas tant voté pour Biden ou pour Trump mais pour ou contre le mouvement social Black Lives Matter, qui précédait le scrutin, le plus grand qu’ait jamais connu le pays. Il pourrait y avoir aussi l’émergence surprise au dernier moment d’un candidat non prévu – comme on l’a vu en Tunisie - et pourquoi pas de gauche – comme on l’a vu au Pérou, ou encore une mobilisation de la rue durant les élections contestant tous les candidats de l’ordre établi comme on le voit en Inde. Bien imprudent serait donc celui qui prétendrait savoir aujourd’hui ce qui va se passer dans 6 mois.

Et c’est bien ce qui inquiète la bourgeoisie. Face au mouvement de rue qui dure et prend de plus en plus d’espace, pouvant avoir des développements inconnus demain, elle se prépare à cette incertitude comme à l’obsolescence de la tromperie électorale et à l’usure du tandem Macron/Le Pen. Les milieux bourgeois cherchent des solutions. C’est pourquoi ils se construisent la possibilité d’un duo Philippe/Zemmour aux présidentielles pour renouveler l’attrait de la tromperie ou d’un Philippe gagnant les législatives pour contrôler le président....
Leur objectif est de remettre les élections et donc la sécurité et l’immigration au centre de la situation alors qu’ils y échouent depuis trois mois face à la mobilisation anti-pass qui a relégué élections et racisme bien loin des esprits en mettant pour sa part la question sociale et la rue au centre de l’actualité et des solutions aux problèmes de la période : un grand succès du mouvement anti-pass.
Ce qui fait un bien fou.

Jacques Chastaing, le 10 octobre 2021.


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