Analyser la situation pour dégager stratégies de résistance, perspectives d’actions et objectifs

Trois articles à lire et relire en groupe pour sortir des ornières

jeudi 1er octobre 2020, par Camille Pierrette.

Alors qu’on agit souvent dans l’urgence, qu’on court après les multiples actions et lois antisociales du Pouvoir, qu’on essaie d’endiguer les désastres produits sans fin par le système en place, il est grand temps de réfléchir plus largement, d’analyser la situation plus en profondeur.
Au lieu de répéter des erreurs, de s’égarer dans des voies sans issues ou insuffisantes, de s’enliser dans le renoncement ou l’agitation, mieux vaut élaborer des stratégies claires, possiblement « gagnantes ».

Parmi d’autres, voici 3 textes clés que tout le monde aurait avantage à lire attentivement pour ébaucher cette aventure :

1. Sur le choc fondamental qu’est la « civilisation »

- Une analyse critique de la stratégie du choc de Naomi Klein - Ross Carter propose une relecture critique de la Stratégie du Choc de Naomi Klein. Il enrichit l’évaluation de la situation par Naomi en y ajoutant une analyse selon les perspectives de DGR.

L’histoire que raconte Naomi n’est pas une histoire isolée, c’est une histoire qui se déroule sous une forme ou sous une autre depuis que la civilisation existe. La logique de la civilisation est de se protéger à tout prix, et cette logique se poursuit sans relâche. Sans une analyse plus approfondie, vous êtes bloqué dans la perspective limitée que si seulement nous pouvions nous débarrasser de ces horribles capitalistes, alors tout irait bien. C’est une simplification excessive et naïve des problèmes auxquels nous sommes confrontés. Elle ignore le meurtre en cours de la planète par la civilisation industrielle.

Un gouvernement de gauche et des panneaux solaires ne vont pas suffire. Tout comme les changements de chefs et l’accroissement de la technologie n’ont jamais fait de différence auparavant. Ils n’ont fait qu’accroître et accélérer l’expansion et le contrôle de la civilisation. Il n’y a pas de solution simple ni de messie. Notre besoin désespéré de contrôler et de dominer depuis la Maison Blanche, jusqu’à notre famille nucléaire patriarcale, provient du même endroit. Le traumatisme culturel de masse. Comme le souligne Naomi, un individu brisé est facile à manipuler et à contrôler. Et nous avons tous été brisés par la civilisation. Nous avons été traumatisés dès l’utérus. Nous sommes traumatisés de naissance. Nous sommes nés avec un traumatisme générationnel. Nous sommes traumatisés au sein de nos familles et de nos structures sociales dysfonctionnelles. Nous sommes traumatisés par notre « éducation ». Nous sommes traumatisés par les cases dans lesquelles nous sommes forcés de rentrer et les masques que nous devons porter. Nous sommes traumatisés par la pollution, par la nourriture, par les technologies. Etc. Etc.

L’esprit traumatisé est un esprit de guerre et de compétition. Il ne peut pas être satisfait. La civilisation nous transforme et nous rend autres. Elle nous transforme en objets et en rôles. Esclave, fermier, chef, femme, mari, etc. Ceci est le Choc.

Il suffit de se saisir de quelques bases de l’histoire de la civilisation pour réaliser que, depuis sa création, elle repose essentiellement sur l’esclavage (par le fouet ou par le contrôle économique et culturel), le génocide, l’écocide et la colonisation. Mais cela est complètement ignoré. Pourquoi ? Pourquoi les libéraux continuent-ils à prêcher et à croire en ces mêmes choses qui les oppriment ? Le Green New Deal et les Démocrates ne vont pas supprimer le choc que le fait de vivre des vies sacrifiées sur une planète sacrifiée nous fait subir en permanence. Pourtant, ils sont vénérés. Comment avez-vous pu lire ce livre de 533 pages, pendant votre pause au bureau, ou assis dans votre appartement en ville, le bruit des sirènes et des voitures qui bourdonnent autour de vous, l’odeur de la pollution de l’air, l’absence de faune et de flore, sur la façon dont le capitalisme utilise le choc pour faire avancer son programme, et ne pas reconnaître le choc, tout autour de vous et en vous ? La réponse évidente est que les libéraux ont eux-mêmes été choqués.

Dans cet état de perdition et de déconnexion, nous sommes tous susceptibles de trouver des solutions faciles grâce aux religions, aux gourous, aux démagogues et aux techno-solutions. Nous sommes tous malléables. Les gens ne cèdent pas volontairement leur pouvoir et leur autonomie à la civilisation, à moins qu’ils n’aient d’abord été brisés en tant qu’humain et reconstruits en tant que citoyen. Nous ne pourrons vraiment penser avec clarté, et nous relier les uns aux autres et à la terre, qu’une fois que nous nous serons débarrassés des mythes que la civilisation nous impose. Une fois que nous, en tant qu’individus et communautés, aurons détruit la civilisation en tant que concept et système physique. Car ce n’est qu’au-delà de la civilisation que nous pouvons réellement être libérés du choc continu et du désastre perpétuel.

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2. Sur les menées du technocapitalisme - Dégager des voies de résistance

- PMO : « Que la technologie impose ses procédures, des types de comportements et d’organisation sociale est une évidence »

Avec de nombreuses analyses pertinentes de la situation et des pistes stratégiques pour peut-être briser les murs du labyrinthe géant qui nous enferme.

Plus qu’in­dus­triel, le capi­ta­lisme d’au­jourd’­hui est tech­no­lo­gique. Certes, des pans de l’é­co­no­mie reposent encore sur l’in­dus­trie (ne serait-ce que pour pro­duire les outils et machines numé­riques), mais la « qua­trième révo­lu­tion indus­trielle » — sui­vant les impor­tants de Davos —, celle de la robo­tique et du numé­rique, vient déjà chas­ser la « troi­sième », la révo­lu­tion infor­ma­tique. Autre­ment dit, l’é­co­no­mie de la connais­sance — en fait les tech­no­lo­gies de l’in­for­ma­tion et des don­nées —, trans­forme l’an­cien monde indus­triel et pro­pulse le capi­ta­lisme dans l’ère post-indus­trielle. La vente de ser­vices imma­té­riels et l’é­co­no­mie des « usages » accroissent leur part du PIB — voyez Google, Face­book, Uber.

Le capi­ta­lisme tech­no­lo­gique doit résoudre deux pro­blèmes pour enclen­cher un nou­veau cycle de crois­sance (...)

Du point de vue du pou­voir, admi­nis­trer une popu­la­tion par le tru­che­ment des machines (du puçage des pou­belles et du comp­teur d’élec­tri­ci­té à la sur­veillance des com­mu­ni­ca­tions élec­tro­niques en pas­sant par la « déma­té­ria­li­sa­tion » des for­ma­li­tés admi­nis­tra­tives) pré­sente un double avan­tage. Les masses d’en bas sont relé­guées plus loin encore de leurs maîtres, désor­mais vir­tuels, plus que jamais intou­chables, irres­pon­sables, voire incon­nus. Si le monde-machine est le pro­duit imper­son­nel d’un pro­grès-qu’on-n’ar­rête-pas, à qui s’en prendre ? Sous le masque de la tech­no­lo­gie, que les tech­no-furieux et les naïfs per­sistent à croire neutre, le pou­voir dis­si­mule mieux que jamais ses inté­rêts et ses plans.

La « machine à gou­ver­ner » rend ce pou­voir ubi­qui­taire, jus­qu’au sein des foyers. Votre comp­teur Lin­ky en révèle bien plus sur votre vie que vos aveux approxi­ma­tifs. La « pla­nète intel­li­gente », comme la nomme IBM, est celle du tech­no­to­ta­li­ta­risme, sans issue de secours.

Tan­dis que les machines deviennent plus « intel­li­gentes », notre intel­li­gence devient machi­nale. Sans aller jus­qu’aux implants, cha­cun constate les effets sur son propre cer­veau de l’u­sage de pro­thèses élec­tro­niques : perte de mémoire, baisse de l’at­ten­tion pro­fonde, dis­per­sion de la capa­ci­té de concen­tra­tion, etc. Comme nos corps ont per­du en mus­cu­la­ture et en résis­tance en trans­fé­rant les tâches manuelles aux machines, il est nor­mal que nos cer­veaux perdent en acui­té en délé­guant la réso­lu­tion de pro­blèmes intel­lec­tuels aux ordi­na­teurs.

A‑t-on jamais vu, mal­gré des décen­nies d’ap­pels et de pro­pa­gande, la France d’en bas défi­ler en masse contre les nui­sances qui frappent davan­tage les quar­tiers popu­laires ? Le bruit, l’air et l’eau empoi­son­nés, la mal­bouffe, les pes­ti­cides, les engrais qui infectent et abrègent la vie. A‑t-on jamais vu la jeu­nesse des cités ou la vieillesse des can­tons se sou­cier de l’in­té­rêt géné­ral et se joindre aux pro­tes­ta­tions contre le nucléaire, les chi­mères géné­tiques et l’ar­ti­fi­cia­li­sa­tion du ter­ri­toire ? Pour toutes les cri­tiques qu’on leur adresse, et qu’ils méritent, les petits-bour­geois « éco­los » res­tent les seuls, et les der­niers, à ne pas sépa­rer leurs inté­rêts de l’in­té­rêt com­mun, à faire preuve d’i­déa­lisme et à se battre pour tous, en même temps que pour eux. Qu’ils gagnent et qu’ils s’y prennent bien pour ral­lier l’en­semble du peuple à la cause com­mune est une autre affaire. Mais pour en par­ler, il faut avoir ten­té, une fois, d’é­veiller un can­ton d’é­le­veurs de porcs ou les ban­lieu­sards d’une métro­pole à la cri­tique radi­cale.

La ques­tion pen­dante reste celle du sort des super­flus. Peuvent-ils retrou­ver une exis­tence auto­nome, livrés à eux-mêmes dans les « zones grises » ? Vont- ils s’é­teindre « natu­rel­le­ment » sous la com­bi­nai­son de fléaux divers et d’une sté­ri­li­té galo­pante ? Seront-ils exter­mi­nés, plus ou moins vio­lem­ment, par la tech­no­cra­tie ?

Si ce monde est trop petit pour deux classes, pour la tech­no­cra­tie et les super­flus, la pre­mière est concen­trée ; coor­don­née ; consciente d’elle-même. Elle jouit de la conti­nui­té de l’É­tat, d’une uni­té de volon­té, d’une immense supé­rio­ri­té éco­no­mique, tech­no­lo­gique et mili­taire. Les seconds sont faibles, dis­per­sés et leur conscience ne va guère au-delà des péri­pé­ties de la vie pra­tique et quo­ti­dienne. Mal­gré les moyens de com­mu­ni­ca­tion modernes, il n’y a pas encore d’u­ni­té de vue, d’in­té­rêts, de pen­sée, entre les néo­pro­lé­taires d’A­sie et d’A­frique, les pay­sans indiens, les super­flus du Magh­reb, d’Eu­rope et des Amé­riques : tout au plus un début de connais­sance de leurs inté­rêts et de leurs rap­ports mutuels. Et il fau­dra long­temps avant que cette connais­sance ne pro­duise une conscience com­mune. Or notre affaire n’est pas de ren­ver­ser un gou­ver­ne­ment, ni un régime, mais une civi­li­sa­tion en voie d’in­té­gra­tion à l’é­chelle mon­diale, qui est l’é­chelle contem­po­raine.

Il ne suf­fit pas de pro­tes­ter contre la des­truc­tion de l’é­cole, de la langue, de la pen­sée, de la culture, de la mémoire, ni de se réfu­gier, cha­cun pour soi, dans la lec­ture. Il s’a­git de créer un réseau de mai­sons vouées à la conser­va­tion et à la trans­mis­sion de l’œuvre ancienne de l’hu­ma­ni­té. Il faut de la pierre : des bâti­ments, des librai­ries, des salles d’é­tude. Il faut des pro­grammes, des maîtres, des élèves et de l’argent.

Il n’a jamais suf­fi de la réunion men­suelle du « café citoyen » ou du « lieu alter­na­tif », avec son film-débat ou son confé­ren­cier en tour­née.

Il faut, par­tout, des centres de recherches sau­vages qui ana­lysent constam­ment, concrè­te­ment, la situa­tion et lâchent des essaims d’en­quê­teurs dans toutes les situa­tions concrètes.

Il faut sau­ver tout ce qui peut l’être. Il faut des jar­dins, des ver­gers, des pota­gers ; des semences pay­sannes et des arches ani­males. Il faut des ate­liers où réap­prendre les tech­niques ver­na­cu­laires et auto­nomes, par oppo­si­tion aux sys­tèmes tech­no­lo­giques et auto­ri­taires. Il faut donc tout ce qui se fait déjà, depuis des années, de manière éparse et mul­tiple, et qui nour­rit ce fond de conscience humaine et vitale, hos­tile à la mort machine. Mais il le faut de façon beau­coup mieux pen­sée, beau­coup plus dense et rayon­nante. Beau­coup plus sérieuse.

Il s’a­git en somme d’ins­ti­tuer une véri­table édu­ca­tion popu­laire, du meilleur niveau et pour le plus grand nombre. D’ou­vrir des écoles par­tout.

Notre époque est mar­quée par la course de vitesse entre le désastre et la conscience du désastre. Autre­ment dit, le sou­lè­ve­ment est déjà en cours. Il suit la catas­trophe comme son ombre, mais il ne fait que la suivre et rien ne dit qu’il attein­dra ce seuil cri­tique, ce point de bas­cule où sur­git l’é­vé­ne­ment, la Catas­trophe au sens cou­rant. Nous avons éga­le­ment noté quelques signes de ce sou­lè­ve­ment des consciences (dépres­sions, dis­si­dences inté­rieures, pas­sives, séces­sions actives, col­lec­tives, etc.), et cer­tains moyens de l’ac­croître, de satu­rer le monde de l’at­tente consciente de son rêve immé­mo­rial. Son « hori­zon escha­to­lo­gique » en termes reli­gieux. Peut-on, au-delà, pro­po­ser aux super­flus et aux résis­tants des tac­tiques de lutte, comme l’an­cien mou­ve­ment ouvrier en avait inven­té durant son his­toire ?

En fait, nous pou­vons toutes les trans­po­ser — grèves, sabo­tages, occu­pa­tions, blo­cages, boy­cot­tages — de l’u­sine à la vie quo­ti­dienne, en sachant qu’au­cune ne consti­tue l’arme abso­lue (aujourd’­hui comme hier), et que toutes peuvent être récu­pé­rées et retour­nées par la tech­no­cra­tie.

Il est ain­si pos­sible pour les radi­caux de se lier aux super­flus en fai­sant une pro­pa­gande intense et constante aux entrées des grandes sur­faces, aux sor­ties des gares, aux arrêts de bus, etc., par­tout où ils passent et consomment en masse des pro­duits et des ser­vices, afin de les infor­mer concrè­te­ment des vices de ces mar­chan­dises, les inci­ter au boy­cot­tage, leur pro­po­ser des alter­na­tives d’a­chat, et sur­tout, des alter­na­tives à la consom­ma­tion.

3. Sur la police, à quoi sert-elle ? Qui sert-elle ?

- Entretien : Frédéric Lordon : “Cette police est foutue, raciste à cœur, hors de contrôle, devenue folle de violence, d’enfermement dans le déni collectif et n’a que les épisodes d’attaques terroristes pour se refaire la cerise”

Il faut en effet commencer par s’interroger sur ce que c’est que la légitimité – en général – puisque, à propos de la police et de sa violence, c’est devenu le lieu du débat. La légitimité n’est pas une qualité occulte comme disaient les Scolastiques, ou une qualité substantielle, acquise une fois pour toute – par exemple par l’épreuve électorale. La légitimité est le produit d’une formation imaginaire collective, en tant que telle constamment à produire et à reproduire. Pour dire les choses simplement, une institution est légitime si, et tant que les gens considèrent qu’elle est légitime. On dira que c’est là une parfaite circularité. C’est vrai. Mais le monde social ne cesse de fonctionner par l’effet de ce type de circularité. Car c’est la circularité de la croyance, et le monde social est farci de croyances, il ne tient même que par ça. Reproduire un ordre social, reproduire ses institutions, les maintenir dans la « légitimité », suppose de reproduire et de maintenir la croyance – croyance que ces institutions sont bonnes, que leur action est juste et justifiée, etc. C’est pourquoi tout ordre social, en vue de sa persévérance, doit mobiliser des forces de l’ordre symbolique en supplément des forces de l’ordre physique, les premières ayant pour vocation de minimiser le recours aux secondes, et de rendre ce recours acceptable quand néanmoins il doit avoir lieu.

Mais dans l’ordre du matraquage symbolique, il y a pire : il y a toutes ces émissions de journalisme embedded, comble du faux réalisme, donc à cet égard infiniment plus vicieux que la « fiction », puisque là c’est supposément « la réalité ». La TNT, qui est un égout télévisuel à ciel ouvert, déverse tous les jours ce flot de propagande déguisée en objectivité journalistique. Il n’y a pas une soirée de la semaine sans qu’une de ces chaînes, parfois plusieurs, ne diffuse un « reportage » avec caméra embarquée sur la police municipale du Cap d’Agde ou de Toulon (« Accidents, cambriolages et nuits chaudes »), la gendarmerie des autoroutes, ou le GIGN. Avec script unique : dans la société, il y a les braves gens, mais le mal rôde partout : irresponsables plus ou moins dangereux, délinquants endurcis, heureusement la police est là.

Sauf que, direct, ils se font cogner, gazer, embarquer, la totale. Il faut mesurer la violence du choc de stupéfaction, et l’effondrement symbolique qui s’en suit. « Ah d’accord, la police, ça n’est pas ce qu’on nous a raconté ; la police, donc, c’est ça ». En réalité, il y a là une dynamique qui ne peut que s’amplifier : à mesure que le désastre néolibéral s’étend, que des fractions de plus en plus larges de la population en sont touchées, qu’elles expérimentent l’inanité absolue des canaux usuels (électoraux, syndicaux) de la protestation, elles sont vouées à identifier la rue comme la dernière solution possible, donc à rencontrer la police dans les conditions que la situation générale détermine aujourd’hui.

Il n’est pas illogique que la police devienne un point de condensation de la conjoncture politique à partir du moment où le régime ne tient plus que par la force armée. Cependant je suis moins inquiet que toi : je ne crois pas que les divers secteurs en lutte se laissent engloutir comme tu le suggères par le trou noir de la « question policière », et y perdent de vue leurs raisons premières d’être en lutte. Ceci étant je suis sensible à ta question parce que je me sens très concerné par le risque d’égarement, tant les comportements de la police me révulsent. Le risque d’égarement, en effet, c’est de se mettre à penser, comme il m’arrive de le faire, que la police est « le problème numéro un » de la société française. Mais je me reprends et je vois le désastre économique du néolibéralisme, je vois, comme le comité Adama, que le problème c’est le racisme institutionnel et les ségrégations dont sont victimes les populations décoloniales, comme les Gilets Jaunes que le problème, ce sont les abyssales injustices sociales, comme les militants climat (conséquents…) que le problème c’est la dévastation capitaliste de la planète, etc. Et je ne crois pas qu’aucun de ces secteurs, tous s’étant retrouvés confrontés à la violence policière, ait pour autant oublié ce qui l’avait fait descendre dans la rue en première instance.

Maintenant il y a aussi un sens à faire de la police la question n°1 : le sens des considérations tactiques. Car la police est l’unique et dernier verrou. Nous avons expérimenté depuis suffisamment longtemps l’incapacité définitive des mécanismes institutionnels, politiques comme syndicaux, à obtenir quoi que ce soit de significatif – et dans la situation présente, c’est plus que du « significatif » qu’il va falloir. La solution de dernier recours – la rue – rend fatale la rencontre de la police. Donc, d’une certaine manière, rendue à son rôle d’ultime rempart, oui la question de la police, de l’affrontement des populations avec la police, ou du retournement de la police, dans la perspective d’Eric Hazan, devient centrale – mais à titre tactique. Je ne pense pas qu’il y ait beaucoup de personnes enclines à affronter la police pour affronter la police. Les gens affrontent la police parce que la police est l’obstacle qui sépare d’une chose politique ardemment désirée.

Dans tous les cas, la police est un problème gravissime, pas le problème central mais, dirais-je, le problème goulet : le problème dans lequel viennent buter tous les autres problèmes.

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Méthode

Après une lecture et une première macération individuelle, le mieux serait d’imprimer ces textes et de les étudier en groupe, d’utiliser des méthodes de lecture collective comme l’arpentage, où chaque personne étudie d’abord un morceau du texte avant de le commenter.
Ensuite, évidemment, ne pas en rester là, diffuser largement les stratégies et analyses qu’on en tire, et les mettre en pratique, les mettre à l’épreuve du réel.

Dans certains de mes anciens textes, je me suis aussi risqué à des analyses stratégiques et autres démystifications, voir par exemple :

Voir aussi cet article à propos d’un livre récent :
- Geoffroy de Lagasnerie : « La manifestation ou la grève sont des formes d’expression et plus d’action » - Le philosophe et sociologue, Geoffroy de Lagasnerie, est l’invité du Grand entretien de la matinale de France Inter. Il est l’auteur de « Sortir de notre impuissance politique » aux éditions Fayard, paru le 26 août. (...) « Le sociologue s’inquiète ainsi d’une »ritualisation« de certains modes d’action, au détriment de leur efficacité. »Il y a une logique perverse qui s‘est mise en place à gauche depuis une vingtaine ou une trentaine d’années : c’est lorsqu’elle croit qu’elle est en train d’agir, qu’elle est en fait en train de s’autodétruire et de perdre. La contestation nous piège : lorsque nous militons, nous militons beaucoup plus en automates qu’en stratèges. Nous recourons à des formes d’action rituelles, instituées : la manifestation, la grève, l’occupation, même l’émeute violente… Il faudrait faire un état des lieux général des formes d’actions pour les réinventer autrement."
- Voir aussi sa présentation plus détaillée ici
(je trouve qu’il s’illusionne un peu sur ce qu’on peut faire avec les institutions, et il ne parle pas du fait que le bloc bourgeois s’est durci et se fout dorénavant des formes de protestations qui auparavant avaient quelque effet, mais le bouquin a l’air intéressant)

P.-S.

Autres références

Il existe bien sûr quantité de livres, films, textes, oeuvres d’art... à même de nous aider à mieux appréhender ces questions et à définir des stratégies.
En voici une sélection qui lie questions sociales et écologiques. N’hésitez pas à citer d’autres références utiles en commentaires.

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