Actualités de la peste touristique

Des atours éco-responsables pour mieux cacher sa nocivité mortifère

vendredi 24 juin 2022, par Auteurs divers.

Actualités de la peste touristique


La belle saison revient, déjà, et, avec elle, comme chaque année, le même fléau du Diois s’abat sur le pays : ce n’est ni la peste, ni le choléra, ni le CoViD, mais bel et bien le tourisme. Il n’est plus possible de prendre à la légère ce phénomène qui tente même de se parer d’atours éco-responsables pour mieux cacher sa nocivité mortifère.

Cette activité prend les allures innocentes d’un enfant de trois ans. Elle tire pourtant ses origines de cette classe historique qui a consenti à laisser capitalisme et bourgeoisie s’accaparer la planète en applaudissant de leurs mains gantées : la noblesse fin de race des dix-septième et dix-huitième siècles. Le nom même de tourisme provient de ce qui était appelé entre nobles gens le Grand Tour : cette mode consistait à envoyer les jeunes hommes fortunés faire le tour des grandes villes européennes afin qu’ils parfissent leurs humanités. On entendait par là ce vernis culturel vaguement en lien avec l’Antiquité qui permit de colonialiser le monde entier et d’en exploiter tous les humains sans la moindre culpabilité. Selon l’étendue des fortunes que leurs familles s’étaient constituées sur le dos des autres, ces voyages pouvaient durer plusieurs années et ont alimenté des réseaux de prostitution qui n’ont rien à envier à ceux de nos élites actuelles.

On sait que la Révolution industrielle n’a finalement offert à chaque prolo — enfin, ceux qui ne sont pas restés coincés en bas de l’ascenseur — que la liberté de faire les mêmes conneries que les gros bourges — en moins classe quand même, faudrait pas que la lutte des classes efface toute distinction... C’est ainsi que le tourisme est devenu, au vingtième siècle, l’une des sept plaies de la planète, ravageant méthodiquement chaque arpent de pays qui avait réussi à échapper à l’agriculture industrielle, à l’extraction de minerai ou à la bétonisation sans fin. Il faudrait d’ailleurs étudier combien la photographie satellite de chaque mètre carré du sol terrestre devant lesquelles on est censé s’ébahir s’est accompagnée, en même temps, de son exploitation techno-industrielle complète... mais c’est là un bien trop vaste débat pour notre modeste cadre.

Revenons-en aux ravages du tourisme : quand on y pense, viennent des fonds marins exsangues, d’abjects réseaux de proxénétisme quasi pédophiles, des cadavres d’alpinistes bloqués à huit mille mètres d’altitude, etc. Du grand exotisme, des horreurs ignobles, certes, mais cachées à l’autre bout de la planète, et rien qui ne concerne notre bon goût français... Car, lui, permet de voyager en train sans dépenser de CO2 — magie de la taxe carbone ! —, de ne manger que des bio produits dans un rayon de moins de vingt kilomètres — c’est tellement moins cher à la campagne ! —, de ne se loger que dans de charmantes fermes rénovées — parce qu’AirBnB, de temps en temps, ça ne peut pas faire de mal ! — et de ne s’adonner qu’à des activités certifiées protectrices de la nature — parce qu’évidemment, il faut la protéger cette nature, elle est bien incapable de s’en sortir toute seule !

Et pourtant, il va falloir finir par ouvrir les yeux : les ravages sont déjà là, bien présents jusque dans notre « cher Diois », aussi indécents qu’indicibles. Prenons, par exemple, le cas du logement : à l’heure actuelle, il est devenu presque impossible de se loger dans le Diois, à Die notamment. En même temps, un tiers des bâtiments sont réservés aux deux mois de vacances des gros bourges en manque de nature bien domestiquée et d’authenticité toute artificielle. Pour preuve édifiante, apprenez que la maison la plus prétentieuse du centre, inoccupée depuis des lustres, a été accaparée cet hiver par une famille qui en ouvrira les volets, au mieux, trois fois par an. Le projet culturel et associatif concurrent, qui aurait pu animer la ville toute l’année n’a évidemment pas pesé lourd face aux sommes rondelettes mises sur la table par ces touristes en manque de villégiature. Et la mairie n’a, bien sûr, pas daigné bon d’intervenir de quelques manières que ce soit, sans doute pensait-elle que cette « main vertueuse » du marché allait tout arranger...

Admettons que certains ne soient pas encore obligés de se réfugier dans la Creuse et soient mêmes parvenus à trouver un abri à moins de trente bornes du centre... Qu’en sera-t-il de l’état du logement ? Généralement, il privilégiera une vue imprenable sur des toits en amiante vétustes, pleins de fuites, qui, avec un peu de chance, laisseront au moins les enfants se tenir debout. Il sera très probablement coincé entre la voie ferrée et la « nationale », condamnant à n’en pas pouvoir ouvrir les fenêtres de tout l’été. Mais il ne faut pas être trop exigeant : devant le coût de la rénovation, c’est tout normal que les biens retapés partent directement en location saisonnière, ma bonne dame ! De même qu’il est bien normal que les emplacements pour vivre en camion à l’année soient supprimés, à Die comme dans les communes autour... Sauf, évidemment, pour les camping-cars étrangers !

Enfin, mettons que la question du logement soit réglée d’une manière ou d’une autre, que se présente-t-il aux diois pendant les dix longs mois de disette qui séparent ces invasions touristiques ? On comprendra bien que les activités officielles, restauration, commerces, festivités, etc., ne s’efforcent même plus de proposer encore un semblant d’animation : c’est bien plus simple et rentable de fourguer la même merde aux touristes chaque été que de répondre aux prétentions d’une population locale qui, non contente de survivre dans ce paradis de carte postale, aurait même des exigences ! Parmi les meilleurs établissement de la ville, l’un d’entre eux a poussé l’amabilité jusqu’à tabasser un habitant parce que ses revendications ne plaisaient pas au taulier. Est-ce qu’il aurait eu le même comportement face à ces touristes aux poches pleines de billets ?

L’étape suivante, il suffit de franchir le col de Cabre pour s’en rendre compte... Ce sont des villages sinistrés, où les baraques s’arrachent à un demi-million d’euros par cette gente qui peut rouler en Tesla. C’est une activité annuelle qui se résume à astiquer les champs de lavande pour qu’ils soient bien violets le long des sentiers balisés. C’est une nature ravagée par ces loisirs labellisés éco-responsables qui ont oublié qu’au fond de ces rivières, sous leur semelle en Vibram, vibraient autrefois, écrevisses, aloses, anguilles, truites, lamproies... Ce sont ces belvédères spécialement aménagés afin que les décérébrés du guidon n’aient qu’à s’arrêter au bord de la route pour contempler des vues imprenables sur nos montagnes.

Pensez-vous que les choses s’améliorent ? Insatisfaites des prodiges en communication que leurs stagiaires produisent chaque année pour échanger les talents de notre région contre quelques talents d’or, nos chères et coûteuses institutions se sont toutes accordées sur l’inénarrable programme des « Sublimes routes de Vercors » : au menu, encore davantage de trafic, davantage de goudron, davantage de nuisance, davantage de bruit et de fureur, davantage de destruction de tout, du vivant, de l’humain et de ce monde dans lequel nous survivons, encore, bon an, mal an. Et évidemment, tout le monde applaudit des deux mains ! Sauf le manchot, comme chantait l’autre...

P.-S.

- Article initialement publié en mars 2022 dans le numéro 22 du journal papier Ricochets


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