A l’attention de François Ruffin et des médias du pouvoir : non l’anarchie ce n’est ni le chaos gouvernemental ni le libéralisme

Maladresse, humour ou participation volontaire à la propagande anti-anarchiste ?

jeudi 4 février 2021, par A bas la novlangue.

« On a des anarchistes à la tête de l’État… Ils installent un état d’anarchie qui rend le pays incapable d’agir. » (François Ruffin, Le Vent se Lève, 3/02/2021)

LETTRE OUVERTE À FRANÇOIS RUFFIN

Salut François,

Tu me permettras de te tutoyer, car « Monsieur le député », je ne peux pas. Pas plus que « Monsieur le juge », « Monsieur le policier », « Monsieur le ministre » ou « Monsieur le président ». Cela parce que je ne reconnais personne comme mon supérieur ou mon subalterne. Il m’est aussi odieux d’obéir que de commander. Et pour cause : je suis anarchiste.

Je m’adresse à toi parce que je viens de découvrir une vidéo datant d’hier dans laquelle tu traites ceux qui nous gouvernent d’anarchistes. Parlant au sujet des Macron, Castex et autres Veran, tu dis précisément : « On a des anarchistes à la tête de l’État »(1).

Est-ce une blague ? Est-ce simplement une maladresse ? Ou bien est-ce un propos réfléchi qui dévoile vraiment ton opinion ? Je ne suis pas le seul à m’interroger aujourd’hui, après ce dérapage qui en a choqué plus d’un.

Si c’est une blague ou une maladresse, tu ferais bien de le préciser, dans un cas comme dans l’autre. Et peut-être t’en excuser auprès de celles et ceux que tu as insultés en utilisant ce terme. Car affirmer publiquement que Macron et Castex sont des anarchistes, même pour rigoler, c’est d’une part salir ce mot et d’autre part faire un affront aux libertaires qui luttent contre le pouvoir. Bref, ce n’est ni drôle ni malin. Mieux vaudrait y revenir pour s’en expliquer clairement.

Par contre, si ce n’est ni une blague ni une maladresse, autrement dit si tu as délibérément choisi ce terme parce qu’il te semble vraiment le plus opportun pour décrire ce gouvernement, dans ce cas, il faut qu’on en parle. Depuis plusieurs décennies, de pseudo théoriciens prétendent qu’il y aurait une collusion entre libéraux et libertaires. Ils font le plus souvent remonter ce rapprochement à mai 1968. Selon eux, libéraux et libertaires seraient pareillement élitistes, égoïstes et je-m’en-foutistes. Parfois même au niveau des meurs, affublés de tous les maux et de toutes les perversités dans les médias complotistes. Cette théorie grotesque a fait florès dans une partie de la gauche et, plus encore, au sein de l’extrême-droite. De Soral à Zemmour, en passant par le FN de papa Le Pen, les mots « anarchiste » et « mondialiste » veulent dire à peu près la même chose, d’où la reprise à toutes les sauces de la regrettable formule clouscardienne : « libéral-libertaire ».

Pourtant, qui mieux que les anarchistes combat inlassablement le pouvoir sous toutes ses formes depuis un siècle et demi ? Qui pousse résolument la lutte anticapitaliste au refus de toutes formes de compromission avec les patrons et leurs complices ? Qui affirme sans cesse que le pouvoir corrompt et rejette donc toute forme de gouvernement quelle que soit sa couleur ?

Trêve de sornettes : si les anarchistes étaient vraiment au sommet de l’État, il n’y aurait plus de sommet et il n’y aurait plus d’État.

Par conséquent, que tu sois en désaccord avec les anarchistes dans bien des domaines, notamment sur la question de l’État et celle du pouvoir, c’est une chose pour le moins courante, mais que tu sèmes la confusion à leur sujet, ce n’est pas très correct de ta part. Prétendre sérieusement que le gouvernement met en œuvre l’anarchie, n’est-ce pas un mensonge gros comme un parlement ? Mettre dans le même sac Élisée Reclus et le reclus de l’Élysée, n’est-ce pas confondre le jour et la nuit ? Et pourquoi pas, dans la même veine, associer Marlène Schiappa et Louise Michel tant qu’on y est ?

Ce soir, nous sommes plusieurs à nous demander si tu as fais exprès ou pas d’utiliser ce terme. D’autant plus que tu l’as réutilisé quelques secondes plus tard, durant le même entretien, pour justifier ta première assertion : « ils installent un état d’anarchie qui rend le pays incapable d’agir. »

Non, François, ce n’est pas l’anarchie qui empêche d’agir, mais au contraire la forme autoritaire de la société. C’est précisément parce qu’il y a des chefs et des sous-chefs partout et pour tout qu’on empêche à la fois l’intelligence collective de se déployer et les opprimés de tous horizons de choisir librement leur vie et de bâtir plus de liens entre eux sur un plan horizontal dans une société libertaire, solidaire et autogestionnaire.

Pour un anarchiste, la devise « liberté, égalité, fraternité » ne se réduit pas à une incantation illusoire restée lettre morte sur le marbre des monuments de l’État. Bien au contraire, les anarchistes parlent et agissent pour la liberté véritable, l’égalité réelle et la fraternité universelle. Opposés en tous points à la société autoritaire, inégalitaire et haineuse dans laquelle nous étouffons, ils proposent, au contraire, une société libertaire, égalitaire et fraternelle.

Rien qui ressemble à l’avarice et à l’ivresse de pouvoir de ceux qui prétendent nous gouverner, auxquels injustement tu nous associes.

L’autre raison pour laquelle certains s’interrogent sur le sens de tes propos envers les anarchistes, c’est que tu as fait exactement la même chose dans le passé envers les antifascistes. Notamment dans Fakir en 2013 quand tu défendais Étienne Chouard tout en te moquant lourdement des antifascistes, textes et dessins à l’appui. Là encore, c’était au moyen d’une confusion très répandue dans une partie de la gauche et, surtout, à l’extrême-droite : une ritournelle qui veut que les antifascistes seraient, au mieux, les « idiots du système » et, au pire, des « flics missionnés » pour verrouiller le débat politique « déguisés en militants anticapitalistes ». Ceux que Soral, Chouard, Zemmour et Le Pen appellent pareillement : « la police de la pensée ».

D’où ma question : cette nouvelle sortie, cette fois à l’encontre des anarchistes, est-elle du même tonneau que tes sorties passées contre les antifascistes ? Autrement dit, doit-on lui donner une vraie signification politique ou bien n’était-ce qu’une maladresse ou un mauvais trait d’humour ?

Il serait bon que tu t’en expliques.
Fraternellement,
Yannis Youlountas
, l’un des anarchistes choqués par tes propos d’hier.

(1) chaine youtube Le Vent se Lève, 3/02/2021 : https://www.youtube.com/watch?v=a4izSWwlsCU

- Voir aussi https://florealanar.wordpress.com/2021/02/04/le-cretin-majuscule/

A l’attention de François Ruffin et des médias du pouvoir : non l’anarchie ce n’est ni le chaos gouvernemental ni le libéralisme

NOTES :

Yannis Youlountas a raison de faire quelques petits rappels salutaires d’évidences.
Cet incident langagier de François Ruffin pourrait paraître banal et anodin, mais il illustre bien la novlangue toxique des pouvoirs étatiques et capitalistes, de la droite, des médias de milliardaires et hélas d’une partie de la gauche, qui ne cessent de vouloir discréditer l’anarchie en l’assimilant systématiquement au chaos, au désordre, au libéralisme, au chacun pour soi irresponsable.

A force de répéter ce mensonge et cette déformation de la réalité, ça entre dans les têtes.
Merdias et gouvernements procèdent de la même façon pour d’autres occasions, exemples :

  • appeler démocratie ce système tyrannique centralisé
  • traiter les grévistes de « preneurs d’otage »
  • parler de « grogne sociale » pour les manifestations
  • traiter les casseurs de banques et de voitures de luxe de simples délinquants et de violents non-politiques

Forum de l’article

  • A l’attention de François Ruffin et des médias du pouvoir : non l’anarchie ce n’est ni le chaos gouvernemental ni le libéralisme Le 10 février 2021 à 18:55, par A bas la novlangue

    Voici un post de Yannis Youlountas avec la réponse de François Ruffin :

    Suite à ma lettre ouverte et beaucoup d’autres réactions à ses propos concernant les "anarchistes à la tête de l’État" :

    LAPONSE DE RUFFIN (UN PEU PLUS BAS)

    Pour ne rien vous cacher, j’ai tout d’abord reçu un mail de François Ruffin
    dans la matinée dans lequel il m’expliquait pourquoi il avait hésité à me répondre ces derniers jours, souhaitant éviter "un échange de textes" qui, sur internet, peut parfois "tourner au pugilat" (sic). En guise d’explication, il m’a transmis la lettre qu’il venait d’écrire à l’une de ses modératrices sur les réseaux sociaux, une collaboratrice libertaire qui "s’est mise en grève" suite à ses propos. Dans cette lettre, il lui disait que pointer des "anarchistes à la tête de l’État" n’était qu’une boutade, qu’il avait essayé de faire "de l’humour" et rien de plus. Je vous laisse découvrir le texte intégral de cette longue lettre un peu plus bas et vous faire vous-mêmes votre avis.

    Pour ma part, je lui ai répondu que je regrettais la forme "privée" de sa réponse pour des propos qui ont choqué "beaucoup de gens qui souhaitent et méritent pareillement une explication" (...) "Être le seul à recevoir cette information ne me convient pas, je ne souhaite pas garder pour moi une réponse que je n’étais pas le seul à demander : je suis libertaire donc égalitaire aussi. Encore une différence profonde avec le libéralisme." J’ai donc insisté pour qu’il publie au moins la longue lettre d’explication à sa modératrice pour que tout le monde puisse en prendre connaissance et en tirer ses propres conclusions.
    Le soir est tombé. Je viens d’apprendre qu’il a finalement publié cette lettre, il y a deux heures, non pas sur sa page mais dans un groupe sur Facebook. Je peux donc la copier-coller ici :
    - - - - - - -
    « Lettre à ma préfète anar (et en grève)

    Salut Mily, chère préfète fakirienne,

    Tu m’as écrit hier que tu te mettais « en grève », et Jéza aussi, pour « la modo de mes réseaux sociaux ». Sylvain, mon chargé de com’, m’avait déjà alerté, et envoyé un post du copain Yannis Youlountas sur sa page Facebook, « Lettre ouverte à François Ruffin ». Et j’avais auparavant aperçu sur YouTube des commentaires furax.

    Et pourquoi ?
    Pour avoir déclaré : « On croirait qu’on a des anarchistes au gouvernement ». Mon Dieu ! Quel crime horrible, terrible ! Voilà « le mot sali » ! « Dévoyé de son sens réel » ! « Celles et ceux qui s’en réclament sont insultés » ! « La Cause est trahie », pas de place pour la blague ici… Des fois que, pour de vrai, on prenne Jean Castex pour une réincarnation de Bakounine ! Roselyne Bachelot pour la nouvelle Louise Michel ! Ca me vexe, qu’on me suppose une telle culture politique !
    Quand je pense à mes pères libertaires – j’y reviendrai –, Cavanna, Brel, Brassens, ils auraient réagi comment devant ce « on a des anarchistes au gouvernement » ? Devant ce remake de « la chienlit, c’est lui » ? Ils auraient rigolé, je parie, ou haussé les épaules, ou au pire maugréé. Mais à coup sûr, ils n’auraient pas crié au sacrilège, sainte Vierge !, ou hurlé au blasphème, qui peut s’appliquer à tout, à Jésus, à l’Islam, mais pas à l’Anarchie !

    Je pourrais me justifier par des : « Au bas de ma vidéo, j’avais inscrit, entre parenthèses : (Je sais : les anarchistes ne veulent pas l’absence d’ordre, mais un ordre sans pouvoir. Tandis qu’aujourd’hui, on a l’inverse : un pouvoir sans ordre) ». Ou encore, m’en référer au dictionnaire, où le sens premier de « anarchie », datant du XIVe siècle, est : « Confusion due à l’absence de règles. Fam. Bordel. », l’autre sens n’advenant qu’en 1840 : « Conception politique qui tend à supprimer l’état » (et on ne m’a pas prévenu, on n’a pas prévenu Le Robert, que le second sens effaçait le premier).
    Je pourrais, je pourrais, mais tout ça me fatigue. Ces polémiques numériques, je les prends comme un signe des temps, d’une époque qui m’ennuie, qui nous rétrécit. Et en particulier, peut-être, dans notre camp.
    Tu sais, avant de sortir « Merci patron ! », j’ai montré ce film en privé à des camarades, de haut rang, d’à peu près toutes les organisations. Leurs réactions ? C’était « une farce », me reprochaient-ils. Eh bien oui ! Et j’en étais fier ! « Ce n’est pas un film de lutte », « pas assez collectif », « la leçon n’est pas claire ». Ca faisait quinze années, déjà, à travers Fakir, à travers Là-bas si j’y suis, que je me démenais pour que « militant » ne rime pas avec « chiant », mais la bataille était loin d’être achevée…
    « J’ai fantaisie de mettre dans ma vie
    Un petit brin de fantaisie
    Youpi youpi ! »

    Ce refrain de Bobby Lapointe, je l’ai fait mien, espérant mettre de la fantaisie dans ma vie, mais aussi dans la vôtre, dans celle des gens, et même des gens de gauche, si sérieux. En m’efforçant d’échapper, au moins par moments, malgré le découragement, à l’ambiante morosité.
    C’est pire depuis que je suis député, depuis que je suis scruté. Ouh la ! Un mot de traviole, qui dépasse, et avec Twitter vous voilà allumé ! C’est un combat, dès lors, que de maintenir une langue vivante, que de ne pas lisser ses phrases, que de ne pas rechercher le contrôle, la maîtrise, la mesure du moindre vocable, soupesé au trébuchet des consensus. Je sens cette pesanteur, qui peut me gagner, qui me gagne parfois, cette rigidité naissante.
    Il y a les adversaires, les éditorialistes, certes, les affronter, eux, c’est sans surprise, on est prêts, avec vous comme bouclier (merci !). Mais il y a pire, peut-être, pour notre liberté : les alliés, à satisfaire, à qui il faudrait plaire et complaire. Le « premier cercle », qui peut se resserrer jusqu’à vous étouffer, vous asphyxier. Eh bien, je préfère crever – politiquement s’entend –, disparaître de la scène publique, retourner à la solitude, que de remplacer mon ardeur par des calculs, ma chaleur par de la tactique, ma spontanéité par des « éléments de langage ».
    Il me faudrait vous répondre quoi, en politicien ? Que vous avez bien raison, faire le chienchien à l’arrière des voitures, oui oui oui oui, pour ne pas vous perdre. J’espère ne pas vous perdre, et pourtant, par respect pour vous, et pour moi, je vais vous dire : « Vous exercez une pression de normalisation, de consensualisation… Souhaitez-vous cela ? Moi pas. »
    Enfin bon, votre interpellation, ça m’a plutôt conduit à cogiter, à m’introspecter : quelle est ma relation à l’anarchisme ?

    1 – Artistico-libertaire
    Ma « formation politique » à moi, ce ne furent pas les jeunesses socialistes, ni un groupuscule trotskiste, ni le Parti communiste. Rien de tout cela. Mon adolescence fut, si j’y réfléchis, solitaire et libertaire (dans ma tête, hein, juste pour l’imaginaire). Mes premiers émois, de collégien, je les dois à des chanteurs : avec Brel, « jeter des pierres au ciel et crier Dieu est mort une dernière fois ! », se rebeller avec le Renaud de Ravachol, se réchauffer à la moustache solaire de Brassens. Je vivais avec ces amis, voyais le monde à travers leurs vers.

    Puis est venue la passion Cavanna, ses cinq volumes d’autobiographie, l’histoire d’Hara-Kiri, m’identifiant tellement, ratant ma vie parce que je ne deviendrais jamais lui ! Dans sa lignée, du moins les percevais-je ainsi, le Yves Gibeau d’Allons z’enfants ou de Mourir idiot, Alphonse Boudard et sa Métamorphose des cloportes, Octave Mirbeau et sa Femme de chambre, le Jean Meckert de Je suis un monstre, le Céline du Voyage bien sûr, Michel Ragon et le Makhno de la Mémoire des vaincus, la Guerre d’Espagne qui m’occupa un été, avec Koestler, avec Orwell, avec Guilloux, un inventaire qui se poursuit avec Prévert, tout le courant populiste, d’Henri Calet à Eugène Dabit, et leur ancêtre, notre aîné, le Vallès du Bachelier et de L’Insurgé.
    Je ne parle que de livres ? Oui, j’ai baigné dans les mots, et mon existence s’est longtemps confondue avec eux. C’est dans ces pages, plus que dans des rencontres, que ma sensibilité s’est forgée. Une sensibilité libertaire, je dirais, c’est-à-dire un attachement à la liberté, à l’individu, à son indépendance, et en même temps, pourtant, une attention au peuple, aux gens de peu, à la société – ne serait-ce que pour la critiquer.
    De ces oeuvres, je suis imprégné, comme une éponge. Et même, quelque part, je pensais, je pense toujours : il n’y a pas d’artiste, pas de créateur, sans une part de libertaire en lui, sans un élan vital, libéré, assumé, et individuel.. « L’art socialiste », « l’art communiste », on voit bien la friction que portent ces deux termes : c’est toujours en rognant leurs ailes de géant, avec la conscience de rogner leurs ailes, avec la fierté parfois de concéder ce sacrifice, que les surréalistes entrent dans le Parti, ou Roger Vaillant, ou même Sartre. Ils y « entrent », oui, mais un peu en forçant, comme on fait entrer un rond dans un carré ! Il leur faut du courage, aussi. Il leur faut espérer, je pense, une transcendance, un dépassement de leur condition. Et je lis le poignant roman Martin Eden ainsi, également : tout « socialiste » qu’il soit devenu, quel individualiste, quel formidable individualiste, demeure Jack London ! Et Rabelais, et Cervantès, et Diderot, n’étaient-ils pas des libertaires avant l’heure ?
    Je m’égare.
    S’y ajoute, enfin, une mythologie de mon coin (la politique est beaucoup affaire de mythologie) : la Somme fut, au début du XXe, un terreau d’anarcho-syndicalisme, le château de Fressenneville (entres autres) brûla en une jacquerie ouvrière. C’est ici que le voleur Marius Jacob fut arrêté et jugé, et à l’occasion de son procès, pour le défendre, pour menacer les jurés, fut lancé à Amiens le journal Germinal… dont Fakir et son « Fâché avec tout le monde ou presque » sont une lointaine résurgence.
    Voilà.

    C’est en révolté esseulé, en vaguement « libertaire », sans chapelle ni sigle, que je suis né à la politique, ou du moins à l’écriture publique. Et le choix, car ce fut un choix, de fonder mon propre canard, d’être pauvre (un temps, plus maintenant) plutôt que bien nourri chez Drahi, « loup » plutôt que « chien » avec gamelle et collier, ce désir par-dessus tout de défendre ma liberté, ma liberté d’expression, c’est à ces hommes, à ces lectures que je le dois.
    Une liberté que j’espère conserver, sans me trouver prisonnier de moi-même, de mon image, de mon statut, de mon ambition. C’est pour chacun une bataille à livrer, toujours renouvelée.
    (Je viens de regarder « libertaire » dans le dictionnaire, c’est plus raide que je pensais : « Qui n’admet aucune limitation de la liberté individuelle. » Bon, je garde l’idée de « liberté » et d’ « individu », mais en nettement plus modéré.)

    2 – Mais pas anarchiste, c’est vrai
    L’anarchie, en revanche, ne m’a jamais tenté. D’abord, les systèmes ne m’intéressent pas trop : ils figent la vie, je trouve, ils l’écrasent, ils l’emprisonnent. Même la doctrine qui voudrait que, sans Etat, sans autorité, la vie soit libérée, ça me paraît doctrinaire. Je ne doute pas que, ici, mille théoriciens pourraient m’expliquer que je me trompe, que je ne comprends rien à la théorie sur l’anarchie, mais inutile : les débats sur la théorie, celle-là ou une autre, je l’admets, ça n’est pas mon truc, inapte à l’abstraction.
    A des anars, des vrais, à drapeau noir, je disais, à moitié pour rire : « Je suis trop libertaire pour être anarchiste ! » Tout comme mon camarade Sébastien Jumel s’amuse : « Je suis trop insoumis pour être Insoumis ! »
    Il faut dire que j’ai choisi, aussi.

    C’est à la fin du XIXe que l’histoire bifurque, et que je choisis. Contre « la propagande par le fait », qui rebute ouvriers et employés, qui les éloigne, contre-productive à mon sens, je choisis Jaurès et le courant socialiste. Je choisis la transformation par les luttes et par les lois, par les urnes et par la rue. Je choisis la masse, les manifestations de masse, les partis de masse, plutôt que l’avant-garde. Collectivement, politiquement, donc, je ne crois pas à l’anarchie.
    Malgré ces réserves, j’aperçois bien, néanmoins, les apports des anarchistes tout au long du XXe siècle : ils sont, bien souvent, les éclaireurs, les inventeurs sociaux – parce qu’ils n’hésitent pas à avancer seuls, avec liberté, dans les marges, sans attendre « l’opinion », « la majorité », sans « la masse », c’est la force de leur faiblesse. Le féminisme, le nudisme, le végétarisme, parmi cent autres trucs, ils en sont des précurseurs, ou des compagnons de route. Et encore aujourd’hui, dans les bagarres sur l’environnement, contre les technologies, avec les ZAD et ailleurs, ils sonnent l’alarme en première ligne. Ils rouvrent un imaginaire, qui a bien besoin d’air.

    Il est 19 h 07, je fatigue.
    Tu feras comme tu voudras, Mily, avec les copains, y a sans doute d’autres lieux où agir, d’autres gus, qui répondent mieux à ton idéal, et je suis sûr que, si tu t’éloignes, on se croisera sur des combats. Quoi qu’il en soit, je vous remercie pour le boulot accompli.
    De mon côté, je protège, je préserve, la part de moi qui me paraît essentielle, ma liberté. Ma liberté d’expression. Ma liberté d’user d’ « anarchie », même pour me moquer des ministres. Ma liberté de dire, parfois trop vite, parfois trop fort, parfois à côté de la plaque, parfois en songeant que je devrais prendre des cours de media training. Enfin bref, j’espère que dans ces pages tu verras un gage de ma sincérité et de mon respect.
    Bises, en tout cas.

    François. »


    Je vous laisse commenter si vous le désirez. Pour ma part, je suis en retard : je dois cuisiner pour un nouveau collectif qui va distribuer demain. Je vous en parlerai un de ces jours. Ces actions concrètes sont à mes yeux plus importantes que les discussions interminables : dans ce contexte sombre et oppressant, j’ai besoin d’agir, de lutter aux côtés des plus délaissés, grecs précaires et migrants, et de lever le poing avec mes compagnons solidaires, en chantant et en criant avec eux "À bas tous les pouvoirs !", "Vive l’autogestion !" et "Vive l’Anarchie !" (Ζήτω η Aναρχία !)
    Yannis Youlountas

    Répondre à ce message

  • A l’attention de François Ruffin et des médias du pouvoir : non l’anarchie ce n’est ni le chaos gouvernemental ni le libéralisme Le 5 février 2021 à 16:47, par Bernard Bruyat

    Comme sécessionniste j’ai déja eu à subir en public les insultes de Youlountas qui semble être le seul a pouvoir distribuer le diplome du « bon anarchiste » et à le refuser même a ceux qui ne le réclame pas .
    J’ai croisé dans des moments difficiles pour les habitants d’Athéne tous ces courants de pensées politiques qu’Aube Doré avait enfermé dans un quartier et dont faitsaient aussi partie les amis de Ruffin .
    Je n’ai croisé que des agitateurs autour de certains vieux gourous ,tous atteint de Parisiannisme aigue même
    si ils veulent nous faire croire à leur racine par l’exploitation de leur talent en vendant leur soupe de militant par « documentaires » auquel j’ai ouvertement reproché leur appel à la violence parfaitement inutile pour combattre la bètise Humaine .
    Localement et mondialement votre

    Répondre à ce message

  • A l’attention de François Ruffin et des médias du pouvoir : non l’anarchie ce n’est ni le chaos gouvernemental ni le libéralisme Le 5 février 2021 à 14:14, par rutabaga

    1°) « Je ne suis pas contre une alliance avec une partie du patronat. »
    Pour Ruffin il n’y a pas de lutte des classes.
    2°) « Mal payer les auxiliaires de vie etc..c’est un truc de la société » .
    Je pense que c’est un truc des riches, pas de toute la société.

    Répondre à ce message

  • A l’attention de François Ruffin et des médias du pouvoir : non l’anarchie ce n’est ni le chaos gouvernemental ni le libéralisme Le 5 février 2021 à 08:53, par Christian Debruille

    C’est une belle réponse qui rappelle de qu’elle façon le « terme anarchie » est souvent utilisé par ceux qui ne le sont pas et affilie ce terme au désordre. Alors que leur organisation ne fait que cela de désordre. J’ai souvent fait un parallèle avec ces lois de la nature qui sont en perpétuelles évolution puisque baignée dans la « révolution » de le terre. J’ai ce sentiment que de regarder par cette fenêtre de l’évolution permanente que rien n’est acquis et que rien n’est à acquérir. Ce sont les mêmes qu’ils soient de droite ou de gauche qui combien de fois nous rappelle la « démocratie » que nous devons la défendre et pour cela ils ont et ils créent plus de lois et donc plus de répressions. Alors que ce terme « démocratie » n’est pas définissable puisque en perpétuelle évolution à condition d’accepter la remise en question permanente. Ces gens dans cette façon de penser s’attribue la démocratie comme on s’attribue un meuble J’ai de mon côté aussi à plusieurs reprises envoyé des messages que ce soit à Ruffin mais à d’autres (politiques) je n’ai jamais eu de réponse de qui que ce soit

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