Tirage au sort et démocratie

1re partie

vendredi 25 août 2017, par Etienne.

élection, démocratie, tirage au sort

Hosannah !
Nous avons une nouvelle députée, Mme Célia de Lavergne.

La nouvelle chagrine certains :
« la populace n’est pas dupe, et ne veut pas de votre « dialogue » asymétrique […] ni du système politique non démocratique que vous incarnez à merveille », s’offusque Camille Pierrette.

Comment peut-on prétendre cela, s’indigne en écho un commentateur,
« alors que cette personne vient justement d’être choisie par les urnes il y a quelques semaines à peine... y’a comme un truc que je ne comprends pas dans votre démonstration » ? ( Lire : « La députée Célia de Lavergne n’a rien à dire, blablas et banalités », dans les colonnes de Ricochets.)

Pour éclaircir ce paradoxe, considérons les choses de plus près.

Au Venezuela, l’assemblée constituante, convoquée par Maduro, sitôt élue, se faisant bras exécutif, limoge la principale opposante et Procureure générale. En 2008, le Parlement français annule le référendum « constitutionnel » européen de 2005, contraignant le Peuple à l’adhésion. Rien moins qu’un coup d’Etat. Les parlementaires, il est vrai, sont élus. Pas le Peuple. Le Parti communiste chinois pratique l’élection en interne, et à une échelle limitée, au sein de la société civile. Les candidats appartenant tous au PCC, le succès est assuré. On voit que l’élection est compatible avec la dictature.

En réalité, oligarchie unique des « démocraties » populaires, ou oligarchies en concurrence des « démocraties » libérales, la ruse est toujours la même : contrôler les investitures. Ainsi, quoi qu’il en soit du résultat du scrutin, le gagnant sera des nôtres. D’où l’endogamie sociale des assemblées élues. Ce vice intrinsèque sape à la base la légitimité de l’élection comme moyen démocratique.

L’élection, via le contrôle des investitures, favorise les oligarchies et leur reproduction. En privilégiant l’ascendance, la fortune, la propriété, les réseaux, les titres, le statut, les oligarchies écartent talent, audace, innovation, expérience, compétence, habileté, mérite. Ainsi, l’élection en favorisant les oligarchies, induit médiocrité sociale, politique, culturelle. Les oligarchies sont des médiocraties. Aristos, en grec, signifie étymologiquement,talentueux, brillant, vaillant, intelligent. L’aristocrate est le plus digne de conduire les autres. Le problème est que le talent, le brillant, la vaillance, l’intelligence s’usent par sénescence et descendance. L’aristocratie se fige : dès le premier rejeton, elle n’est plus qu’une oligarchie, médiocratie, corporatisme, cul de sac.

Sous nos cieux encore cléments, l’élection à vie n’a pas cours. Pas encore. Car la tendance est naturelle pour tout groupe humain de transformer ses avantages viagers en bénéfices perpétuels, héréditaires. Sous nos latitudes encore, le mandat électif est heureusement borné dans le temps. Le prix à payer est celui du court-terme, de la myopie politique. Le mandat est trop étriqué dans le temps pour embrasser des défis essentiels, ceux des temporalités longues : climat, biosphère, alimentation, bien-être. Mandat au surplus amputé en temps, énergie, et sincérité, par le souci de la réélection. L’élection accompagne et favorise la catastrophe climatique en cours

L’élection biaise la représentativité.
L’élection ne produit pas un corps politique représentatif. Les faits parlent d’eux-mêmes. Pas d’ouvriers, d’artisans, de responsable de TPE, d’employés, d’éleveurs, de petits paysans, tous genres confondus, à l’Assemblée, alors que ces classes constituent la masse de l’électorat. Des députées au micro, certes de plus en plus. Tant mieux. Mais pas n’importe quelles femmes : les diplômées, les bien-élevées, les directrices de ressources humaines…L’élection sous représente le Peuple, favorise les oligarchies. Elle introduit l’inégalité. Elle s’accommode de l’explosion de la pauvreté. L’élection, ou sa version plébiscitaire, peut même constituer un danger pour la démocratie. Hitler fut élu. Comme Donald Trump, candidat des pauvres et président des riches !

On a les élus qu’on mérite
Au Café du Commerce ou chez Fouquet’s, des philosophes éméchés de tous bords répètent à l’envie : « On a les élus qu’on mérite ». En réalité, l’électeur ne fait que refléter les images, les idées, les émotions, les goûts qu’assènent avec une pression et une masse inégalées dans l’histoire les producteurs du sens, Etat, école, médias, publicité, écrans, radio, quotidiens régionaux, méga-annonceurs, chaînes de grande distribution, méga-industries : tout du conso-électeur leur est connu : comportements, position, échanges, amis, mots-clé, contenus, topologie virtuelle – couriels, SMS, websurf - aussitôt analysés, en temps réel-direct-live, afin de lui proposer le produit qui rencontrera pile son désir du moment. Le désir immédiat rencontre sa satisfaction immédiate. Voilà une recette pour l’extinction.
Le quotidien est ce qui laisse le moins de traces dans l’histoire. Il peut tourner de 180 °, sans que jamais il apparaisse changer. Comment écrivait-on hier avant l’ordinateur, sans écrans ni claviers ? Des pédagogues s’interrogent : est-il encore utile d’enseigner l’écriture manuscrite ? Or, le geste, dans sa finesse, a jeté les bases de nos catégories mentales. D’où cette relation sémantique étrange entre la physique et le physique. Qu’on touche à la finesse du geste : c’est toute l’architecture conceptuelle, perceptive et motrice de l’humain qui s’effondre. Nous sommes faits de chair et de quanta qui nous dictent leurs raisons. Ils construisent nos symboles, nos représentations, fournissent les briques de nos raisons, et nous laissent croire que nous en sommes les auteurs.

Il nous paraît incroyable, impossible, qu’hier la société fonctionnât sans téléphone, sans réseaux, sans télévision, sans satellites. Hier, en plein XVe siècle, subsistaient en « France » des terres sans aveu, des terres sans seigneur. Son propriétaire ne s‘avouait le dépendant de personne. Libre chez lui. « Nulle terre sans seigneur », répondaient les puissants. Aujourd’hui, le travail assujetti – salarié – naguère l’exception, est devenu massif. Quand hier subsistaient des formes de propriété collective héritée des âges les plus archaïques, la propriété privée du sol ne cesse d’accroître sa surface, Le salariat, de plus en plus esclavagiste, hier rien ou presque, domine et s’étend. Les métiers disparaissent : Taylor hache l’homme pour mieux le manger. Derrière, en sourdine le cerveau reptilien nous conduit bien plus que le fier néocortex.

Insensiblement le quotidien change, sans que les structures morales ou politiques évoluent au même rythme. On se croit encore en démocratie quand on est déjà asservi. On peine alors à penser un monde divers, où les coutumes, les lois, les langues, les modes divergeaient de région en région. Un monde où l’on ne connaissait pas son âge, où l’on n’était pas tenu de porter sur soi des papiers.

Allongé entre deux monticules de sable ancrés de touffes d’herbe rêche, j’avais à ma gauche l’Egypte, à droite le Sahara. Au couchant, penché sur sa houe, trimait le fellah, les reins douloureux ceints d’un chiffon couleur de limon. Il arrachait à la boue fertile et lourde sa pitance future. L’agriculture invente le travail et sa peine. Chaque année, Pharaon ou les Prêtres arpentaient la campagne, mesurant ce que chacun avait gagné, perdu, de la crue du Nil. Ils calculaient ainsi l’impôt. C’est l’une des sources de la géométrie.

Alors, dans un angle de mon rêve, tout près, passe perché très haut sur un méhari blanc un Touarègue coiffé d’un chèche blanc. D’où venait-il ? Que faisait-il ? Où allait-il cet héritier des Garamantes ?
Quel était le but de cette troupe de dauphins, que nous croisâmes, jeunes marins en plein océan ? C’était le crépuscule. Il faisait presque froid. Le fellah prolongeait son ahan jusqu’à l’ombre, jusqu’au moment où ses yeux n’y voient plus. Il faut payer les taxes ! A l’oblique du soleil, le méhari s’avançait vers demain.

Où donc allait le chèche blanc ? Il allait libre en tout cas ! Le désert est son terrain de jeu, la terre de sa vie, la chair de sa démocratie. Il vaque, nourrit des troupeaux, trafique, guerroie, pille. Il prend la parole dans les assemblées politiques. Dans le vaste désert, tous sont égaux.

Les historiens le savent : dans l’Antiquité, les empereurs les plus puissants ou les plus despotiques, n’exercèrent jamais une emprise aussi ferme et précise sur les populations que le font les Etats modernes, démocraties populaires ou libérales. On peine à penser un monde où la quasi-totalité des images, des sons ne proviendrait pas de sources oligopolistiques et oligarchiques accaparant comme aujourd’hui la production du sens aujourd’hui.

Du pain et des jeux démocratiques
Voilà pour aujourd’hui.
Demain ?
Ça risque d’être pire.
L’électeur futur ne bouge plus de son écran.
Internet est apparu.
Les friches des villes, les jardins perdus,
les villas abandonnées,
les fourrés profonds où nichent les animaux, ces lieux auxquels je ne renonce pas, se sont vidés :
plus de sentiers, plus de cabanes,
plus de traces d’enfance.
Elle les a désertés.
Ados demi-obèses, vautrés sur leurs tablettes,
ils glissent sans frottement leurs pouces de corne sur les vitres de silicium.
S’ils sont debout, le bras tendu vers l’écran,
c’est pour tirer à l’arc à la console.
Fin de l’homme paléolithique.
Socrate meurt, Platon écrit.
Débuts de l’homme-machine,
réduction de Taylor,
prémisses de l’homme-termite.

L’électeur futur sera plus veau encore que l’actuel. La production de masse des denrées demande la production de masse des images et des messages. Leur pénétration atteint l’optimum après deux ou trois générations, le temps que le massage imprime le message, et que les cibles le fassent leur. Les « élites » le savent : la massification et l’uniformisation des produits et idées sont de leur intérêt. Pourquoi, sinon, les grandes fortunes investiraient-elles dans les médias ? Elles ont intérêt à façonner les goûts, besoins, idées du conso-électeur. A cette fin, les médias pilonnent et font le spectacle. Peu à peu, le quotidien virtuel s’éloigne de sa version brick & mortar physique. La fake news est vraie dans le monde virtuel. Le moment électoral fait partie du spectacle. Qu’importent le chômage, la vie grise, le travail harassant, la vie courbée : sur l’écran les villas sont belles, les gens riches, les filles séduisantes. Au moins, virtuellement, la démocratie est un succès.

L’élection favorise les oligarchies, la massification et l’uniformisation de la production des denrées, des goûts, des comportements, des idées. La paupérisation intellectuelle et culturelle en est le résultat. Elle est parallèle à la paupérisation biologique. L’élection permet cela.

(A suivre)

Etienne Maillet

Voir en ligne : Le beau blog bleu de posteno


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