Hier la grève a commencé. La vraie grève. La grosse grève. Celle que nous sommes tant à attendre, à appeler, à espérer. Certains depuis des décennies, d’autres quelques années, c’est mon cas, d’autres enfin quelque mois, un an ou un peu moins, et l’arrivée dans leur vie des gilets jaunes. Celle grâce à laquelle nous pensons que ce gouvernement devra mettre un genou à terre, pour baisser l’oreille et pour entendre ce que nous voulons lui dire. Cela ne fera pas tout de contraindre ce gouvernement à écouter vraiment, qu’il soit obligé de revoir le plan qu’il avait prévu pour nous tous et pour les temps à venir, cela ne fera pas tout qu’on les fasse plier mais ce sera déjà énorme étant donné la dissymétrie entre leurs forces et la notre. Nous nous en contenterons, nous prendrons cela comme le début du reste. Si il plie une fois, il pliera encore. Et cela il le sait. Si il plie trop, il cassera bien un jour. Quel sera ce moment. Peut être ne viendra t’il pas pour nous mais au moins nous faisons tout ce qui nous semble juste pour qu’il arrive. Et paradoxalement, nous sommes nombreux à penser aussi que cela ne suffira pas.
La grève à donc bel et bien commencé. Ca y est. Valence comme de nombreuses villes moyennes dont il n’est question nulle part dans les journaux nationaux, s’est littéralement remplie d’une foule que l’on a rarement vu aussi importante et aussi variée. Et ça y est, la tension est encore montée d’un cran, à Valence, comme dans toutes ces autres villes. Et en fin de journée, le gaz a fumé partout sur le bout du boulevard menant au pont Mistral. De loin on pouvait voir un nuage gris révélateur de la grande quantité de palets tirés. On a vu les compagnies noires, menaçantes, fondre sur la foule présente. S’approcher autant qu’elles pouvaient de la cantine populaire déployée devant le kiosque du champs de mars.
Tous nous vivions cette tension pour la première fois avec cette intensité à Valence. Certains devaient vivre cela pour la première fois tout court.
Personne ne souhaite cette tension. Mais nous souhaitons toutes et tous ce que cette tension amènera. Tous ceux qui sont présents dans ces moments et le seront encore souhaitent ce qui naitra de cette tension, le rapport de force exercé sur ceux qui de leur tour comptent les points, le nombre de palets de gaz tirés, le nombre de balles, le nombre d’éborgnés, le nombre de compagnie ou d’agents qui sont prêts à craquer… Et les comptes qu’il faut rendre au dessus, les rapports qu’il faut écrire à ses supérieurs, et qui passe d’échelon en échelon. Et les journée qui se prolongent. Et les journées qui se répètent, de plus en plus souvent, dans des endroits de plus en plus nombreux, avec des personnes elles sont aussi de plus en plus nombreuses et surtout de plus en plus diverses, et de plus en plus déterminées.
Personne ne souhaite ces instants pour le plaisir de les vivre, mais tous nous les assumons car il ne reste que cela. Les manifestations de milliers, et comme jeudi d’un million au moins de personnes ne font rien. Essayons alors la grève. Si elle durait peut être. Si elle s’arrête lundi, si elle est perlée, nous connaissons malheureusement le résultat. Il sera nul. Et la tête des syndicats viendra nous dire, droite et fière, « nous avons fait tout ce que nous pouvions ». Nous laissant et laissant leur base sans plus de réponses.
Afin que cela ne se passe pas ainsi, afin que le gouvernement et la tête de ces syndicats sentent bien que nous sommes là juste derrière eux, que nous les observons, il ne reste plus qu’à importer partout, c’est ce qui se passe, ces scènes de tensions.
A ceux qui de l’extérieur craindraient pour eux, je veux dire, ne craignez rien. Avec nous vous ne craignez rien. Avec ceux d’en face non plus, tant que vous ne revendiquerez pas un peu trop fort l’égalité et la justice ou quoi que ce soit qui ne serait pas dans le plan des puissants et par quoi ils estimeraient leur pouvoir et leur ordre menacés. Si ce jour arrivait où vous vous levez face à eux, qu’elle qu’en soit la raison, alors préparez vous à vivre ce que nous sommes nombreuses et nombreuses à vivre. Préparez-vous à accepter l’augmentation du niveau de tension et de ce que aujourd’hui vous considérez comme de la violence, car il ne vous restera alors que ça. Ces scènes de rue tendues, ces vitrines cassées, ces tags qu’aujourd’hui vous considérez comme de la violence, demain vous le considérerez peut être comme un moindre mal. Ce fut le cas pour moi, ce fut le cas pour tant d’autres. Ce sera un moindre mal. Et surtout il ne vous restera que ça, si vous ne voulez pas avoir à passer encore un cran au dessus.
Si encore aujourd’hui, malgré le travail acharné de l’état par l’intermédiaire de nombreux médias, vous avez toujours un doute et gardez au fond l’impression que ce qui est en train de se dérouler dans notre pays, et partout ailleurs, est légitime, c’est qu’au fond vous avez réalisé aussi que toutes les autres voies sont à ce jour épuisées. « Quel autre choix avions-nous » m’a dit un jour la fille d’une voisine que beaucoup pourraient considérer comme privilégiée et n’ayant jamais pris part à aucun rassemblement ni à aucune manifestation. Cette remarque m’a semblé bien résumer ce que nous vivons, et m’a rassuré sur notre légitimité à agir comme nous le faisons : « quel autre choix avons nous ? ».
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