La propriété privée de la terre, des biens immobiliers et des moyens de production fait partie de la Constitution de l’Etat français, et pratiquement tout le monde trouve ça complètement naturel, sacré même, et on ne pense même pas à se questionner là-dessus, à chercher d’autres voies.
Pourtant, d’autres cultures (par exemple les Amérindiens) et certains courants politiques (par exemple anarchistes, communistes libertaires) ont depuis longtemps d’autres pratiques et d’autres idées sur la question.
Notre terre vaut mieux que de l’argent. Elle sera toujours là. Elle ne périra pas, même dans les flammes d’un feu. Aussi longtemps que le soleil brillera et que l’eau coulera, cette terre sera ici pour donner vie aux hommes et aux animaux. Nous ne pouvons vendre la vie des hommes et des animaux. C’est pourquoi nous ne pouvons vendre cette terre. Elle fut placée ici par le Grand Esprit et nous ne pouvons la vendre parce qu’elle ne nous appartient pas.
Chef indien Blackfeet
Comment peut-on acheter ou vendre le ciel ou la chaleur de la terre ? Cette manière de penser nous est étrangère. Si nous ne possédons pas la fraîcheur de l’air ni le miroitement de l’eau, comment pouvez-vous nous les acheter ?
Seattle (chef de la tribu des Dwamish) en réponse au président Franklin Pierce qui voulait acheter des terres
Dans notre culture actuelle, la propriété privée de terres, de maisons, d’appartements, d’usines est considérée comme étant le socle indispensable pour exercer notre liberté et vivre en sécurité.
Les inégalités criantes, le renforcement des disparités sociales par l’héritage, la spéculation immobilière, la gentrification, les bâtiments murés ou abandonnés, le mal logement, les SDF, le chaos urbain et rurbain dû en partie à la spéculation et à la propriété privée, la violence des expulsions pour impayés (voir crise des subprimes de 2008), les logements insalubres, l’étalement urbain et le mitage, l’éloignement forcé des centres urbains ou des lieux de travail, etc. ne suffisent toujours pas à remettre en question la propriété privée.
Malgré tous ces maux connus, presque tout le monde veut devenir propriétaire, les jeunes et les vieux, les patrons et les salariés, les gens de gauche et de droite, c’est le Graal partout vendu de la tranquillité, d’être enfin maître chez soi.
Tous propriétaires, pour se rassurer, pour jouir d’une petite parcelle de toute puissance dans une société où nous sommes partout dépossédés complètement des choix politiques et économiques ?
Il me semble qu’on vivrait bien mieux et qu’on serait plus libres sans la propriété privée des terres, des biens immobiliers et des moyens de production.
Mais pour que ça marche, il faudrait bien sûr vivre dans une société réellement démocratique, décentralisée, où des assemblées locales décideraient des choix politiques, et aussi être libérés du joug capitaliste (d’ailleurs la fin de ce type de propriété privée aiderait à se débarrasser du droit de quelques uns d’extorquer une plus Value sur le travail de nombreux autres).
On pourrait alors avantageusement remplacer cette propriété privée par le droit d’usage, la propriété d’usage, la possession des lieux où on vit et où on travaille.
Non pas la propriété d’Etat, qui centralise, bureaucratise, et verse dans le capitalisme d’Etat, comme en Chine ou en ex-URSS, mais la non-propriété.
Tout serait à toutes et à tous, à personne, et les assemblées démocratiques seraient chargées de réguler équitablement les droits d’usages et les fruits de la Terre aux habitant.e.s.
Bien entendu, par ailleurs, chacun.e resterait possesseurs des objets et outils personnels : vêtements, brosse à dent, livres, stylos... qui peuvent être librement partagés ou pas.
Ce serait bien plus sécurisant que les froides et violentes lois du marché ou la ségrégation par l’argent qui excluent le plus grand nombre tout en détruisant les écosystèmes partout sur la planète.
Ce serait bien plus équitable que la perpétuation des classes de riches possédants ou la course à la l’achat d’une maison de lotissement en parpaings sur fond d’endettement et d’enchaînement au Travail.
La non-propriété généralisée permettrait à toutes et à tous d’avoir des logements de qualité, isolés, économes, confortables, fonctionnels, pour un coût bien moindre.
La non-propriété des usines permettrait l’autogestion, la fin de l’exploitation, la réduction du travail, la maîtrise collective des choix de production et de distribution. On en a bien besoin en ces temps où on doit opter pour une décroissance choisie et solidaire si on veut éviter les pénuries subies.
La non-propriété des terres permettraient d’éviter la constitution de méga entreprises agro-industrielles, et de favoriser les multitudes de petites fermes dont on a bien besoin pour construire une résilience alimentaire, une production durable et de qualité pour toutes et tous.
La propriété foncière et immobilière ne sont pas plus naturelles que la monarchie ou l’esclavage.
Il y aurait encore beaucoup à dire, mais à vous de continuer la réflexion !
Pour aller plus loin et voir d’autres aspects, quelques liens :
- Propriété privée, travail & pauvreté (en 3 volets)
- En 2015, à Die, lire les commentaires sur l’expulsion du squat « Le peuple y est », et aussi cet article
- Vulgarisation : la propriété privée : un bon résumé, avec les définitions et distinctions qui s’imposent (usus, fructus, abusus...)
- Manifeste d’un squat
- Le droit de propriété, un droit naturel ? Certainement pas
- Sur l’autogestion d’une usine en Grèce
- Paul Jorion : « Pas de décroissance sans remise en question de la propriété privée »
- La ZAD de NDDL, vers une autre forme d’habiter et de travailler la terre
- Droit au logement contre droit de propriété
- Vertus et vices du développement de l’accession à la propriété
- Abolir la propriété privée des moyens de production et des capitaux ou la laisser détruire l’humanité, il faut choisir !
- Pourquoi il faut abolir la propriété privée
On voit dans certains de ces textes que l’occupation, le squat peut être un des moyens pour s’émanciper de la propriété privée immobilière, pour fissurer le mur des habitudes et des peurs culturelles, ou tout simplement pour surmonter la précarité imposée par ce système politique et économique inique.
La plupart des « bons citoyens » critiquent les squatteurs, ces « fainéants et parasites » disent-ils. Les esclaves entravés par de multiples chaînes n’aiment pas voir d’autres personnes essayer, parfois maladroitement, de briser leurs chaînes. Sans doute parce que ça leur rappelle douloureusement leur asservissement et leurs renoncements à vivre libres ?
A Crest, comme à Die, comme partout, la propriété privée des terres et des biens immobiliers règne, le capitalisme violent et destructeur fait loi, protégé par la non-démocratie, perpétuant une « société » perdue qui court à l’effondrement systémique.
A nous, comme à NDDL et à d’autres « en-dehors », de créer ici des brèches, des lieux où respirer, où vivre.
Forum de l’article