Depuis décembre 2022, le Pérou traverse une crise politique et sociale aiguë.
Au Pérou, une forte vague de protestations secoue tout le pays, après le coup d’État du 7 décembre contre le Président Pedro Castillo.
Un peu d’histoire
Depuis plus de cinq cents ans, le peuple mène des luttes de résistance pour son droit d’exister, de mener son développement selon leur besoins et leur intérêt, contre les politiques qui les ont dépossédés de leurs terres, territoires et ressources. Contre le servage semi-féodale, encore existant. Contre l’exploitation de grands capitaux.
C’est aussi la lutte centenaire contre les transferts et déplacements forcés de leurs terres et territoires et pour le droit à la conservation, protection de l’environnement et de la capacité productive de leurs terres, territoires et ressources.
Avant le XV ème siècle, la société reposait sur un ordre communautaire agraire qui développait la domestication de multiples plantes à des fins alimentaires. Pommes de terre, tomates, courges, quinoa, maca, fraises, goyave, maïs, poivrons, tournesol, cacao, haricots, etc. Travaux d’irrigation, monuments restés intacts à ce jour, Machupicchu, Sacsayhuaman, Cachora, ville de Cuzco, etc.
L’invasion espagnole au XVI e siècle a changé et mis fin à ce système, imposant une organisation féodale, la domination militaire, les vice-royautés, la religion, le travail gratuit pour l’extraction de l’or et de l’argent. La rébellion la plus importante fut celle dirigée par Tupac Amaru et Micaela Bastidas, au XVIIIe siècle. Malgré sa victoire, l’Espagne n’a pas pu se récupérer.
Au 19e siècle, avec l’indépendance, le nouvel état rompt avec la domination coloniale espagnole mais pas avec le système féodal. Les émancipateurs étaient propriétaires terriens et les paysans n’ont pas réussi à reconquérir la terre.
Le Pérou indépendant n’a pas réalisé un développement en fonction de ses besoins. Les intérêts des élites dominantes étaient liés à l’exportation des matières premières nécessaires aux puissances capitalistes de l’époque, l’Angleterre et la France d’abord et au XXe siècle les États-Unis. Cuivre, fer, or, argent, caoutchouc, laine, coton, huile, anchois, farine de poisson.
Un capitalisme lié à ces puissances est né, plaçant le pays dans une situation de dépendance. Le féodalisme avec l’accaparement des terres, le racisme, le servage, continue. C’était l’essence même de la République, donc, de l’État, de la justice et des forces armées.
Il y eut d’innombrables rébellions et même des luttes révolutionnaires.
Le néolibéralisme
A la fin du siècle dernier, le néolibéralisme s’est instauré avec une Constitution donnée à la suite d’un coup d’Etat. Le soi-disant consensus de Washington est appliqué, réduisant au maximum les devoirs de l’État dans l’éducation, la santé, les infrastructures. La privatisation, des entreprises d’état et de l’ensemble de l’économie, était à l’ordre du jour, également la suppression des droits du travail et des droits sociaux, le tout avec une grandissante criminalisation et persécution politique et un ensemble de lois et mesures qui ont donné un vêtement, une apparence démocratique à la politique néolibérale.
Qu’est-ce qui a généré la Constitution depuis 1993 ?
Le modèle néolibéral et la soi-disant mondialisation sont adoptés.
L’État réduit les services de base à la population. Il établit que les terres considérées abandonnées passent dans le domaine de l’État. Favorisant la dépossession de la paysannerie, la formation de nouveaux latifundia et la pénétration du capitalisme dans les campagnes.
Il annule la stabilité du travail et réduit les avantages pour les secteurs les plus pauvres, ce qui a eu pour résultat la soi-disant flexibilisation du travail favorable aux employeurs, les contrats précaires, la suppression de la protection sociale, etc.
Cela a signifié une baisse des salaires, une augmentation de la journée de travail, une limitation et un déni du droit de grève et de syndicalisation, de conditions de travail précaires, un déni de la stabilité de l’emploi avec des licenciements massifs.
Dans l’enseignement, ils ont supprimé la gratuité dans les universités au détriment des étudiants les plus pauvres.
Tout cela a conduit à une plus grande centralisation du pouvoir typique d’une dictature ouverte.
La corruption généralisée, l’emprisonnement de trois anciens présidents, le suicide d’un autre, la crise à tous les niveaux de l’État est un signe clair de résultats de cette politique qui favorise les investissements étrangers, l’intensification des importations et fermeture des industries nationales.
Le grand capital achète des entreprises publiques à bas prix. L’État ouvre des portes pour l’extraction d’une grande variété de ressources naturelles.
Extractivisme – conflits – lois – criminalisation
Vingt pour cent du territoire péruvien a été concédé aux grands capitaux pour l’extraction et l’exportation minières, pétrolières, gazières, forestières et agricoles.
Dès le début, cela a généré de forts conflits sociaux puisque les concessions sont accordées dans des zones habitées par des villages et des communautés paysannes qui occupaient ces territoires depuis des centaines d’années. Les compagnies d’abord envahissent le territoire avec leur personnel pour des mesures et des explorations. Pour commencer l’extraction, ils obligent la population à quitter le territoire, soit par achat, soit par éviction policière.
Dans la plupart des cas, il y a de la résistance et conflit. La population tente selon ses possibilités d’obtenir le respect de ses droits, auprès du médiateur, de la justice.
L’entreprise utilise des agents à son service pour obtenir l’accord d’une partie avec des promesses, ils peuvent former des associations.
Le rejet de la population se produit parce qu’elle sait que l’expulsion viendra, ou qu’il aura la contamination des eaux, du sol et de l’air. Ils savent qu’il ne sera pas possible avec cette contamination de cultiver la terre ou d’élever du bétail. Ils savent que l’air pollué est vecteur de nombreuses maladies. Alors ils résistent à l’exploitation minière. Avec quelques différences, c’est aussi le cas de l’extractivisme pétrolier, gazier, forestier et de terres dans l’Amazonie.
La population qui se bat est aussi attaquée par la presse locale et nationale. Ils sont stigmatisés comme étant des arriérés, d’être contre le progrès, contre le développement national, d’être des vandales, des criminels et même des terroristes.
Vient enfin l’expulsion par la force policière ou militaire avec des états d’urgence sous le commandement de l’Armée. Toute une machine juridique et militaire se met en branle. Selon les lois, l’exploitation minière est considérée comme un atout national essentiel, faisant partie de la sécurité et de la défense nationales. Ainsi, la loi place les Forces Armées comme les garants non seulement du démarrage de l’activité extractive, mais aussi de son fonctionnement sans troubles de l’ordre public.
Au Pérou, le bureau du médiateur du peuple (Defensoría del pueblo), enregistre environ 120 conflits sociaux par mois depuis plus de vingt ans, la plupart sont des conflits environnementaux et notamment avec les mines.
Ces dernières années, l’intervention de la police nationale et des forces armées dans les conflits a fait 20 morts, de nombreux blessés et des centaines de détenus avec procès en Justice. Conga 5 morts, Xtrata 3, Las Bambas 5, Tía María 3, Minera Quiruvilca 1, et Petrototal 3.
La contestation sociale actuelle
Le coup d’État contre le président Pedro Castillo a également porté un coup au peuple. L’extrême droite au parlement est celle qui a vraiment le pouvoir avec le soutien des forces armées.
On a vu qu’il est impératif de continuer à se battre et à se mobiliser pour une Nouvelle Constitution pour remplacer la politique néolibérale actuelle. La démission de la présidente Dina Boluarte est également exigée, ainsi que la fermeture du parlement d’extrême droite.
Du 7 décembre à aujourd’hui, 25 février 2023, la répression a fait plus de 60 morts et des centaines de blessés, des milliers de prisonniers et prisonnières. Mais la lutte continue avec force dans tout le pays.
Ce n’est pas un hasard si la population d’origine rurale est celle qui se mobilise le plus dans cette lutte extraordinairement prolongée (2 mois) et sur la quasi-totalité du territoire national. Ce sont eux qui, depuis le début, subissent directement la violence des entreprises extractives et de l’État avec ses forces armées.
A mon avis, c’est un combat :
Pour le droit d’exister, pour le droit à la vie, pour que les peuples mènent leur développement selon leurs besoins et leurs intérêts, contre les politiques qui continuent à les expulser de leurs terres, territoires et ressources.
Pour le droit de mettre fin à la dépossession et à l’anéantissement qui ont commencé il y a plus de cinq cents ans et contre la vision discriminatoire et raciste qui persiste.
Ce combat n’est pas terminé, depuis la France, j’exprime de tout cœur mes salutations fraternelles et ma solidarité à l’héroïsme avec lequel le peuple péruvien se bat.
Ronald Bustamante
ameriquelatine.clf chez gmail.com