Macadam agonie

samedi 29 avril 2017, par Etienne.

Elle est étendue sur le flanc, à l’entrée de Crest, sur le macadam. A sa bouche une flaque de sang, vermillon frais. A sa croupe, une tâche d’urine. Quand mon père est mort, lui aussi a laissé échapper un filet d’urine. Dans la terreur de la mort proche, les sphincters se relâchent. Je contemple cette bête à mes pieds. Je cherche le regard de la biche : je vois une mer vert bleu, profonde, limpide. A mi eau flotte encore une lueur de vie. Du fond de l’abysse où la bête sombre, où se dissout son existence, l’animal me regarde. Mes yeux se portent vers la délicate courbe de son ventre : je jurerai qu’il palpite encore.

Arrive un grand type. En trois ou grandes enjambées décidées il approche, et vlan ! flanque un grand coup de pied à l’animal. Histoire de vérifier qu’il est bien mort. Les chairs rebondissent, toute encore pleine de l’élasticité de la vie. C’est un corps à l’agonie que l’énergumène vient de frapper.

-  Comment osez-vous ? Pourquoi l’avez-vous frappée ».
-  Frappé quoi, frappé qui ?

L’homme ne s’est même pas rendu compte de sa violence. Il n’a pas à ses pieds un corps qui souffre, un corps sensible, un corps qui voit et a peur. Juste une masse de viande, un objet.

- Je suis de la fédération de chasse : je sais ce qu’il faut faire dans ce genre de cas.

Que m’a-t-il dit ? Que les chasseurs auraient un droit particulier sur les animaux ? Que peut-être les bêtes ne seraient pas notre bien commun ? Qu’ils ne seraient sur cette terre que pour être tués ? Que nous mortels sans fusils n’aurions aucun droit à jouir de leur vue, de leur présence ? Qu’ils ne nous seraient pas aussi précieux que nos propres enfants ? Que la diversité biologique, trésor vieux de milliards d’années ne concerne pas les humains, qu’elle ne détermine pas également leur survie ?

A vue de nez, ce type est mon aîné d’une dizaine d’années. Mais bien plus d’une décennie nous sépare : une ère. Il vient de l’ancien monde : celui où l’homme domine la Nature en maître. Celui qui conteste sa suprématie à Dieu même. Celui qui a emprisonné le soleil pour en faire des bombes atomiques. Celui qui trifouille l’ADN, ignorant l’ineffable subtilité des équilibres par quoi la vie est ce qu’elle est. Celui dont les tripatouillages nous préparent des pandémies généralisées, touchant non plus une espèce, mais la vie elle-même, empoisonnée dans ses tréfonds ?

Il est celui qui confond progrès et accumulation matérielle, ignorant que le progrès est d’abord moral, social, politique. Il est celui qui confond science et rationalité. Rationalité borgne qui nous amène au bord de l’effondrement, qu’il ne verra pas, mort qu’il sera, que nos enfants devront assumer dans les flammes, la misère, les douleurs. Il est celui qui croit que progrès et croissance sont synonymes. Il est l’un de ces hommes dont les indiens Tarahumaras dirent à Antonin Artaud qu’ils se sont trompés. Il est mon voisin.

Etienne Maillet

Voir en ligne : http://etiennemaillet.over-blog.com/


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