Qui est propriétaire des compteurs d’énergie électrique en passe - ou en impasse ?- d’être remplacés massivement par le désormais tristement célèbre compteur Linky ?
Il y a quelques mois ENEDIS (alors ERDF) donnait à cette question une réponse sans ambiguïté lors d’une réunion rassemblant quelques électriciens à Romans au siège de la CAPEB (Confédération artisanale des petites entreprises du bâtiment). La réunion visait à présenter la grille « intelligente » (smartgrid en français), c’est-à-dire le réseau de distribution électrique surveillé en temps « réel » par des moyens électroniques.
Pas le moindre doute à cette époque dans la bouche des responsables d’ERDF : les compteurs sont les dispositifs terminaux du réseau de distribution local, réseau dont les propriétaires, qui les ont financés, sont évidemment les collectivités locales. Télé Val de Drôme, dans une de ses vidéos, donne en passant, via le témoignage de René Bergier, ex-maire de Piégros, quelques éléments substantivant cette affirmation (vers la minute 25 du document).
Creative law
Net et clair. Les cadres d’ERDF présentèrent ensuite l’emboîtement, complexe à loisir, des contrats de gestion de maintenance, de délégation, de sous-délégation, de sous-sous maintenance, de sous délégation assortie de sous-traitance de gestion déléguée et autres délices de juriste, que la plus serrée des analyses ne parviendrait à débrouiller… C’est tout l’intérêt du droit de se renier lui-même dès lors qu’il est manipulé par des juristes sans scrupules.
Les Etatsuniens, très versés dans la discipline, parlent de creative-law, le « droit créatif ». L’euphémisme désigne les gouilles et les magouilles par lesquelles, en payant très cher des cabinets d’avocat « pointus », de fortunés clients parviennent à faire dire n’importe quoi à la Loi. Il y aurait bien une parade, puis qu’il existe un délit d’abus de droit. Mais il ne concerne, bon an mal an, que quelques escrocs à la petite semaine. Jamais les gros, les très gros, qui en font un usage systématique et habituel.
Aussi faut-il s’interroger sur cette volonté effrénée de la technostructure de s’approprier le bien d’autrui. Réfléchissons quelques secondes. Le Linky n’est pas d’abord un compteur d’énergie. Aux dire même de ses promoteurs, le Linky est un dispositif communicant, vers l’amont, et bientôt vers l’aval (il pourra fonctionner comme un boîtier internet). Demain, il saura tout de vous : non seulement vos habitudes, le nombre de personnes qui résident chez-vous, le type des matériels que vous possédez, leur âge, s’ils fonctionnent ou sont en panne : pratique pour proposer au moment ad-hoc un remplacement opportun ! Il saura également en quoi vous déviez du "standard normal" défini par les algorithmes.
Il est toujours utile de comprendre les motifs de l’adversaire. Cedric Villani (mathématicien, médaille Fields, bref sans compétences particulières pour s’exprimer sur le sujet), dans son récent rapport sur « l’intelligence » artificielle offre quelques pistes. Le mathématicien, en substance, explique que la France n’a pas atteint la taille critique en matière de données de masse (Big Data en français). D’où la difficulté d’orienter notre appareil productif vers « l’intelligence artificielle », ultra gourmande en information. Si en effet, la population n’est pas espionnée en profondeur, quotidiennement, dans tous les secteurs de sa vie, difficile d’atteindre la taille critique pour faire tourner commercialement les algorithmes et autre réseaux de neurones en silicium.
Voilà donc vendue la ficelle. Comment en effet acquérir (« miner » en jargon ) et vendre des données dès lors qu’on n’est pas propriétaire du dispositif d’acquisition. Et, bien c’est très simple : en volant la propriété d’autrui : le vecteur physique – le compteur ; en volant eles données qu’il transfère, données qui appartiennent à ceux qui les produisent par le simple fait d’être et d’exister : à savoir les usagers (et non pas les clients, selon une dérive sémantique significative). Voilà donc ce qui se trame : rien moins qu’un vol à l’échelle de la nation entière, la spoliation d’un peuple entier.
Panurge en tête
Les voleurs sont-ils pervers ? « Si nous ne prenons pas le tournant de l’intelligence artificielle et des Grosses Données (Big data), notre pays sera relégué en seconde zone : il perdra son rang », pensent en substance M.Crâne d’oeuf . Il faut bien se donner des raisons. Car « têtes brillantes », élite de la Nation, héritiers de Colbert, De Gaulle, Mitterrand, , ils estiment savoir mieux que le peuple ce qui est bon pour lui .D’autant qu’il y a beaucoup de fric à se faire.
Sauf que l’avenir ne sera pas la prolongation du passé, mais bien sa rupture catastrophique. Rupture que les gnomes et ingénieurs, affublés d’un appareil cognitif, scientifique, moral et politique, obsolète sont tout simplement incapables d’entr’apercevoir. Qu’importe la planète, qu’importe l’empoisonnement généralisé du vivant, les gnomes s’agitent : courons vers le précipice, à condition de faire la course dans le peloton de tête ! Panurge, oui, mais premier de cordée !
En arrière-plan, on devine comme une fébrilité parmi ces cliques du techno-business censées gravir le futur en tête de cordée. Car les réussites ne s’accumulent pas, mais les nuages oui : le nucléaire est une impasse, un gouffre financier, et la relève – l’EPR - s’avère un désastre technique et commercial. Bref, la technocratie, les élites politiques, les start-uppers et les premiers de cordée sont aux abois. Ils craignent la colère du peuple. Préféreront-ils comme naguère la stratégie du pire ? Le viol de la démocratie ? La guerre ? C’est probable. Acculés, leur existence même est en danger.