Il est de bonne méthode, lorsqu’on n’y comprend plus rien, de prendre le contre-pied systématique de l’image que l’on nous donne des choses, non pas pour y trouver une vérité toute faite, mais pour essayer de penser plus loin. L’image que nous avons du mouvement des gilets jaunes depuis deux semaines est qu’il est animé par la colère, pouvant aller jusqu’à la manifestation violente. Or si ce qui se passe a un intérêt c’est précisément qu’il n’est ni une manifestation, ni essentiellement violent.
Or ce que font pour l’instant les gilets jaunes avec une clairvoyance hallucinante ne consiste pas à instituer un nouveau pouvoir, mais au contraire à placer leurs corps même au milieu des infrastructures à travers lesquelles le pouvoir organise catastrophiquement nos vies. Il y a bien là un modèle pour une révolution « non-violente », qui n’est pas la table rase, qui n’est pas la suppression de ce qui existe, mais qui est sa destitution, c’est-à-dire sa désactivation. C’est pourquoi, s’il peut être utile d’aller à l’Elysée samedi prochain, la question n’est pas de savoir si on y guillotinera Macron, mais de savoir comment on pourra le destituer, c’est-à-dire le faire servir à un autre usage que celui du gouvernement de plus en plus minutieux des vies par le calcul et la performance. Question bien plus difficile qu’un simple changement de gouvernement.