Ce beau samedi 21 octobre –trop chaud pour être honnête – l’Usine vivante de Crest proposait de découvrir « le vélo dans tous ses états ». Les associations dévouées au développement des transports doux invitaient à essayer des vélos électriques, des vélos cargos, conviaient les enfants à des parcours en draisienne et trottinettes, ou encore le public à se familiariser avec l’action de diverses associations dévouées au développement des modes de transport alternatifs.
Etait également programmé un débat entre militants des nouvelles mobilités et élus. L’un des thèmes roula sur cette question : le vélo est-il un moyen de transport au bénéfice d’abord des déplacements locaux - aller au travail, faire ses courses, rendre visite, accompagner les enfants à l’école…- ou doit-il se mettre d’abord au service du développement touristique ? Rapidement, les échanges mirent en lumière un dissensus : quand la majorité des débatteurs estimaient le vélo, électrique ou musculaire, devoir d’abord répondre aux besoins de la collectivité, l’un des édiles présents (qui bizarrement oublie dans sa présentation de mentionner sa qualité de maire) expliqua qu’au contraire l’intérêt du vélo résidait avant tout dans les possibilités de développement touristique.
Dans un débat, les paroles échangées ont souvent moins de sens que les positions depuis lesquelles elles sont proférées. Les avocats du vélo comme moyen de transport sont plutôt des trentenaires, des quadra, quelques cheveux blancs oublieux de vieillir. Qui incline vers la soixantaine et au-delà estime au contraire que le vélo est d’abord récréatif, son intérêt d’abord touristique. Les générations sont-elles d’accord ?
Au fond, le débat recoupe celui du « centre aquatique vs piscine ». Selon la plupart, une piscine doit d’abord servir au bien-être des habitants. Pour une poignée d’autres, un centre aquatique est un vecteur de développement touristique. Sa manne, par « ruissellement » profiterait à l’ensemble de la collectivité. Derrière cette question se cachent des enjeux à la fois locaux et globaux. Si manne il y a, à qui bénéficieront les profits que l’argent public finance ?
Un militant cycliste s’étonne : « Généralement dans les réunions que nous avons avec les élus, la proportion est inverse. Nous, militants, soutenons l’idée que le vélo doit d’abord être au service des habitants. Les élus, en général, considèrent qu’il doit être au service du développement touristique ».
Ainsi, à l’en croire, selon que la réunion est libre et citoyenne, ou au contraire majoritairement composée d’élus, le consensus s’oriente dans des directions radicalement opposées. Différence qui illustre, une fois de plus, la césure entre l’élu et citoyen, jusqu’à l’intime des territoires. Qui parle et depuis quel point de vue ? Qui sont les élus, qui sont les citoyens ? Les premiers représentent-ils les seconds ? Nos élus, nos édiles, et au-delà l’ensemble des assemblées « représentatives » institutionnelles – conseils d’administration des caisses de sécurité sociale, administrateurs des Chambres de commerce et d’industries, des Chambre de métiers, des Chambres d’agriculture , des SAFER, des syndicats professionnels, membres des Conseils de Prud’hommes, etc – présentent une remarquable et dangereuse homogénéité sociale : les décideurs sont d’abord mâles, aisés, retraités, instruits, sexagénaires et au-delà.
Ils sont les enfants gâtés des Trente Glorieuses. Ils n’ont pas connu le chômage. Par construction, ils croient à cœur que la croissance infinie fera le bonheur de l’homme. Ils croient que les arbres montent jusqu’au ciel. Ils ont pris les habitudes émollientes et somptuaires de l’argent facile, coulées au moule de l’Etat providence. Ils tètent la mamelle de l’Etat, croyant qu’il est leur propriété. Ils ont perdu le goût de l’effort. Ils partagent le credo que la puissance de l’intellect humain lui permettra de dominer l’univers.
Derrière cette simple question « A quoi sert le vélo ? », deux générations s’affrontent, deux visions antithétiques du monde : l’une voulant à tout crin, derrière les apparences de la compétition « démocratique » des partis, conserver ses avantages acquis, ne jamais briser le pot de riz en fer. L’autre, montante, qui sait qu’elle n’a rien à gagner à suivre la voix périmée des anciens. Elle voit que l’erreur de ses pères et mères finira en catastrophe. Elle voit qu’ils se sont trompés et n’ont plus de légitimité. Elle ne veut pas de ce modèle pour ses enfants ; il assassine leur avenir. Elle ne croit plus aux vessies crevées, idéologiquement branlantes et philosophiquement périmés du scientisme techniciste, transhumaniste, nanotechnologique, artificiellement crétin, algorithmique, partidaire, socialiste, communiste, libéral, centraliste, parodiquement démocratique, ruisselantes.
Tous ces modèles du passé annoncent la fin de l’homme.
Sous cette question apparemment triviale – à quoi sert le vélo – le débat dressait en filigrane ces questions : les élus représentent-ils encore les citoyens ? Où veulent-aller les jeunes générations, pour leurs enfants et contre l’aveuglement égoïste de leurs anciens ?
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