L’étrange débâcle des élites françaises

mardi 2 juillet 2024, par bally26.

Si l’extrême droite est aux portes du pouvoir, c’est d’abord à cause de la faillite des élites françaises. Comme lors de la débâcle de juin 1940, si remarquablement décrite par Marc Bloch dans « L’Étrange défaite », il est urgent de pointer les innombrables lâchetés ou complicités qui ont conduit à cette catastrophe démocratique.

Laurent Mauduit - Mediapart 1 juillet 2024 à 17h10

Dans les périodes de tourmente, quand la démocratie vacille, il est de grands livres dans lesquels il est revigorant de se replonger. Pour retrouver de l’espoir quand l’heure n’en fournit guère, pour prendre de la hauteur quand les temps sont médiocres ou dangereux.

C’est assurément le cas de L’Étrange Défaite, l’essai posthume rédigé par le grand historien Marc Bloch (1886-1944) pendant l’été 1940 et publié pour la première fois aux éditions Franc-Tireur, en 1946, deux ans après l’assassinat de son auteur par la Gestapo. Ce formidable texte a raconté l’invraisemblable débâcle française du mois de juin 1940, conséquence des stupidités et de l’arrogance de l’état-major militaire. Mais tout autant de la crise morale des élites françaises de l’époque.

Près de 85 ans plus tard, c’est à nouveau une étrange défaite qui se profile pour la France. Le contexte est certes radicalement différent et la comparaison historique à manier avec précaution. Le danger qui menace n’est plus l’invasion du pays par l’armée allemande sous commandement nazi, mais la possible prise du pouvoir par l’extrême droite en France.

Il existe néanmoins entre ces deux situations d’évidentes similitudes qui retiennent l’attention pour au moins deux raisons.

Si elle intervient, cette prise du pouvoir par l’extrême droite pourrait conduire à un renversement de la démocratie – comme ce fut le cas quand le régime de Vichy s’est installé, après le vote des pleins pouvoirs à Pétain, le 10 juillet 1940.

Et s’il est utile d’entendre de nouveau la formidable alerte du grand républicain que fut Marc Bloch, c’est qu’à son époque comme à la nôtre, la même implacable mécanique est à l’œuvre. En juin 1940, la débâcle s’explique d’abord par la démission des élites françaises, beaucoup plus que par la qualité du commandement de l’armée allemande. De nos jours, c’est aussi le naufrage des élites qui conduit immanquablement à la catastrophe démocratique, et non pas l’ingéniosité de Jordan Bardella ou de Marine Le Pen.

Une crise morale majeure

Se souvenir de l’alerte de Marc Bloch, c’est en comprendre la formidable actualité. Cette Étrange Défaite, magnifiquement racontée, d’une France qui, en juin 1940, sombre presque d’elle-même sous les avancées de l’armée allemande. Par la faute d’une hiérarchie militaire sclérosée, de services de renseignement totalement incompétents ou d’un haut commandement suffisant et sourd aux malheurs de la troupe, qu’il envoie perpétuellement sur les mauvais fronts.

C’est l’histoire d’un pays qui traverse une crise morale majeure et dont les élites se sont discréditées dans les scandales. Un pays dont les gouvernements récents ont sans cesse capitulé devant les techniciens. Et dont la presse, gangrenée par l’affairisme, n’assume plus sa mission démocratique et ratiocine les mêmes fausses évidences.

C’est, en somme, l’histoire inédite d’un pays en crise qui s’effondre presque de lui-même, après que les élites n’ont pas assumé leurs responsabilités et que les partis démocratiques ont largement fait faillite.

Même les partis de gauche, ceux du Front populaire, n’échappent alors pas à la critique acerbe et lucide de l’historien. Marc Bloch connaît mieux que d’autres l’histoire du mouvement ouvrier et nourrit pour elle de la sympathie. Ainsi pour Karl Marx (1818-1883), il dresse l’éloge, disant qu’il a pour son œuvre « l’admiration la plus vive ».

Mais en ces temps de tourmente, l’historien constate avec férocité et consternation la défaillance de la gauche : « Je n’ai nulle envie d’entreprendre ici l’apologie des gouvernements de Front populaire. Une pelletée de terre, pieusement jetée sur leurs tombes : de la part de ceux qui, un moment, purent mettre en eux leur foi ; ces morts ne méritent rien de plus. Ils tombèrent sans gloire. Le pis est que leurs adversaires y furent pour peu de choses. »

L’extrême droite est aux portes du pouvoir ; et si c’est le cas, c’est que les élites françaises se sont accommodées de la perspective de cette catastrophe démocratique.

Dans sa chronique de la débâcle, Marc Bloch se fait cruel : « Mal instruits de ressources infinies d’un peuple resté beaucoup plus sain que des leçons empoisonnées ne les avaient inclinés à le croire, incapables, par dédain comme par routine, d’en appeler à temps à ses réserves profondes, nos chefs ne se sont pas seulement laissé battre, ils ont estimé très naturel d’être battus. »

C’est cela L’Étrange Défaite : l’histoire d’un pays vaincu d’abord par sa propre faute, où le commandement militaire s’est coupé de la troupe, et les gouvernements successifs du peuple. Parce que la démocratie a été trop fortement pervertie sans que nul ne se soucie de lui redonner vie.

La voici donc, la terrible leçon : les élites françaises ont renoncé à se battre et même, pour certaines d’entre elles, étaient déjà du côté des vainqueurs avant même qu’ils n’envahissent le pays.

La même terrible mécanique est aujourd’hui à l’œuvre : l’extrême droite est aux portes du pouvoir, parce que les élites françaises se sont accommodées de cette perspective, quand certaines d’entre elles ne sont pas déjà en train de passer du côté des possibles vainqueurs.

C’est même pire : d’innombrables démissions, voire d’innombrables complicités, ou même ralliements, prouvent que le diagnostic de Marc Bloch est plus que jamais d’actualité : la démocratie est en grand danger, et « le pis est que ses adversaires y [sont] pour peu de choses ».

Le danger n’est pas que l’extrême droite progresse ; c’est que la République régresse.

La mécanique est si implacable que l’extrême droite n’apparaît jamais si forte que lorsqu’elle se tait. Ses adversaires supposés semblent alors s’ingénier à tout faire pour organiser en sa faveur la meilleure des publicités. À reprendre à leur compte les pires de ses propositions, xénophobes ou islamophobes. À se résigner à ce que l’agenda du débat public soit celui fixé par l’extrême droite. À préparer le terrain à sa possible accession au pouvoir en prenant par avance des mesures liberticides, qu’elle n’aura ensuite qu’à appliquer avec diligence.

Avant que la catastrophe n’intervienne, s’il est encore temps de la conjurer, il est donc impérieux de mettre au jour toutes ces résignations dont profite aujourd’hui l’extrême droite, toutes ces complicités dans les lieux de pouvoir ou d’influence.

Dans les sommets de l’État, comme dans ceux de la haute fonction publique. Dans les partis de la droite dite républicaine, et qui souvent ne l’est plus guère, comme dans les différents partis de la gauche qui ont tellement tardé à faire l’union quand le danger approchait, et qui ont même violemment polémiqué entre eux jusqu’aux élections européennes.

Dans les milieux patronaux, aussi, où beaucoup jugent désormais fréquentables les dirigeants de l’extrême droite et fraient avec eux sans la moindre gêne. Dans la presse mainstream également, où toutes les digues déontologiques ont été rompues depuis longtemps, avec d’autant plus de facilité que l’extrême droite a déjà fait une entrée fracassante dans ce secteur grâce aux médias Bolloré…

Le diagnostic de Marc Bloch garde toute sa pertinence : le danger n’est pas que l’extrême droite progresse ; c’est que la République régresse, piétine ses propres valeurs et pour tout dire qu’elle se suicide, avant même d’être renversée.

Il est donc urgent d’établir un état des lieux le plus méticuleux possible de ces renoncements, lâchetés ou complicités ; de mettre au jour tous les rouages de la mécanique à l’œuvre dont profite Marine Le Pen, même quand elle se tait. Voici donc quelques-uns des chaînons de cette histoire qu’il est utile de reconstituer.

L’écrasante responsabilité de Macron

En 2017 comme en 2022, Emmanuel Macron a été élu président de la République pour faire barrage à Marine Le Pen. C’est ce qu’il a dit qu’il ferait ; et c’est dans cet espoir, et non pour son programme, qu’il a été porté à l’Élysée. Il a même sollicité les voix de la gauche, sans lesquelles il n’aurait pas été élu. Mais il a sur le champ renié son engagement et, au lieu de faire obstacle aux idées de l’extrême droite, il en est devenu l’un des principaux propagandistes, faisant sien et mettant en pratique une bonne partie de son agenda idéologique.

La suite, chacun la connaît : deux quinquennats catastrophiques rythmés par les idées principales du Rassemblement national (RN), la sécurité et l’immigration notamment, avec à la clef une cascade de dispositions nouvelles : loi sur la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme ; loi sur la sécurité globale ; loi immigration (votée avec les voix RN à l’Assemblée) ; renforcement de la législation permettant l’expulsion des étrangers en situation régulière, etc.

S’ajoute une stratégie politique mortifère consistant à faire du RN son principal adversaire. Une stratégie dont le danger a été résumé par Patrick Boucheron dès 2019 dans le Journal du dimanche (avant que ce journal ne soit croqué par Vincent Bolloré) : « Si l’idée est d’organiser l’inéluctabilité d’un face-à-face avec Marine Le Pen en 2022, elle heurte cette loi politique : désigner son adversaire revient à choisir son successeur. Emmanuel Macron fait preuve d’un aveuglement historique et idéologique inquiétant, car il semble ignorer qu’à ce jeu-là on perd toujours. On croit poser une digue alors qu’on lance un pont. »

Cette stratégie mortifère, Emmanuel Macron l’a poursuivie sans cesse, jusqu’aux récentes élections européennes, dans lesquelles il s’est immiscé pour proposer à Marine Le Pen un débat. Et sitôt la dissolution prononcée, il a ciblé ses attaques en priorité contre le Nouveau Front populaire (NFP), comme si c’était contre lui qu’il était urgent de faire barrage.

Il y a aussi la brutalité de la politique sociale conduite par Emmanuel Macron, imposant de force une réforme des retraites que tout le pays rejetait, ou une nouvelle réforme de l’assurance-chômage (suspendue in extremis au soir du premier tour des législatives), qui a donné naissance à des mouvements de colère et même de rage, face à l’entêtement élyséen.

Si l’extrême droite est aux portes du pouvoir, c’est d’abord parce que Macron n’a cessé depuis 2017 de lui faire la courte échelle. La stratégie de communication a prolongé la stratégie politique : Macron et ses partisans n’ont cessé de s’afficher dans les médias Bolloré, de Valeurs actuelles aux émissions de Hanouna, etc.

Les reniements de la gauche

Dans un petit opuscule intitulé Où va la France ?, Trotsky détaille les raisons de la montée de l’extrême droite dans le courant des années 1930. Et avance cette explication principale : quand le peuple ne trouve pas de solution dans l’espoir révolutionnaire, il peut être tenté de la chercher dans le désespoir contre-révolutionnaire. En somme, la montée de l’extrême droite trouve toujours sa source principale dans l’incurie ou les trahisons de la gauche.

Si les temps ne sont plus les mêmes, on ne peut s’empêcher de penser que cette incurie a aussi été à notre époque l’un des facteurs majeurs qui ont alimenté progressivement un désespoir de plus en plus fort dans les couches populaires, comme un populisme radical sur lequel l’extrême droite a prospéré.

Alors qu’une catastrophe démocratique majeure se profile, comment ne pas regarder les choses en face ? En se faisant depuis 1982 le relais des politiques néolibérales, en conduisant quand ils étaient au pouvoir des politiques d’austérité et de privatisations, les deux principaux partis de gauche qu’étaient le Parti socialiste (PS) et le Parti communiste français (PCF) se sont progressivement coupés de leurs électorats populaires. Ils en ont payé le prix fort en étant l’un comme l’autre réduits à des forces politiques groupusculaires, mais ils ont aussi massivement alimenté un vent de colère radicale ou parfois populiste.

Là encore, on ne peut revisiter l’histoire du lent naufrage de la gauche depuis la « parenthèse de la rigueur » (qui ne s’est en réalité jamais refermée) sans penser à Marc Bloch et aux mots qu’il prononce contre le Front populaire : « Une pelletée de terre, pieusement jetée sur leurs tombes : de la part de ceux qui, un moment, purent mettre en eux leur foi. »

La responsabilité de la gauche, ou des gauches, ne porte pas que sur le passé. Elle est aussi engagée actuellement. Car face à la menace de l’extrême droite, l’urgence aurait dû être de faire front commun depuis longtemps. Or, avec l’implosion de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) et ses insultes venant de tous bords, c’est un tout autre chemin qui a longtemps été emprunté. Jusqu’à ce que, heureusement, l’électrochoc des européennes et de la dissolution pousse de nouveau à cette union, si profondément souhaitée par les électeurs et électrices de gauche.

Le naufrage historique de la droite LR

Si l’extrême droite apparaît aujourd’hui si forte et si menaçante, c’est aussi parce que le mouvement néo-gaulliste (on peine à user encore aujourd’hui d’un pareil qualificatif) a lui aussi fait faillite.

Par une vision à courte vue, on pourrait la réduire à la trahison d’Éric Ciotti, s’alliant avec le RN au mépris de tous ses engagements antérieurs. Et pourtant, le ver de la compromission était dans le fruit depuis bien plus longtemps.

Que l’on se souvienne en effet de l’héritage gaulliste. Il imposait un scrupuleux cordon sanitaire, tenant à distance de la vie républicaine les admirateurs de Vichy ou de l’Organisation de l’armée secrète (OAS). Et il a fonctionné jusqu’à Jacques Chirac (1932-2019). Depuis un dérapage en 1991, à la fin d’un banquet à Orléans où il pérorait sur « le bruit et l’odeur » des populations immigrées, Chirac a toujours combattu les idées racistes ou xénophobes du Front national (FN), sans jamais estimer qu’elles faisaient partie du débat républicain.

Et de cette intransigeance vertueuse, il a donné un signe fort le 23 avril 2002, en annonçant entre les deux tours de l’élection présidentielle que, contrairement à l’usage en vigueur depuis 1974, il n’accepterait pas de débat télévisé d’entre-deux-tours avec Jean-Marie Le Pen : « Pas plus que je n’ai accepté dans le passé d’alliance avec le Front national, et ceci quel qu’en soit le prix politique, je n’accepterai demain de débat avec son représentant. Je ne peux pas accepter la banalisation de l’intolérance et de la haine. »

On peut donc mesurer, à l’aune de cet épisode passé à la postérité, la dégradation des mœurs politiques survenue depuis. Car à peine Jacques Chirac quitte-t-il l’Élysée en 2007 que son successeur Nicolas Sarkozy s’empresse de bafouer le dogme gaulliste et de remettre en cause la marginalisation de l’extrême droite, reprenant à son compte certaines de ses thématiques.

C’est à cette époque que le legs gaulliste est jeté par-dessus bord. À la faveur de la campagne présidentielle de 2007, il bafoue l’article 1 de la Constitution qui fait de l’égalité la valeur fondatrice de la République, et lui préfère la thématique de l’identité nationale et la création d’un très inquiétant ministère éponyme. Puis, à l’occasion d’un discours à Grenoble, le 30 juillet 2010, il va encore plus loin : il copie pour la première fois le Front national en faisant un lien entre immigration et délinquance.

La dérive est alors enclenchée et ne s’arrêtera plus : le parti Union pour un mouvement populaire (UMP), vite rebaptisé Les Républicains (LR), ne cesse de chasser de plus en plus ostensiblement sur les terres du RN, en reprenant nombre de ses propositions xénophobes. Puis tout au long des deux quinquennats d’Emmanuel Macron, le parti ne cesse, tout particulièrement dans son dernier bastion du Sénat, de jouer sur ce registre de la droite radicale.

Aujourd’hui en voie de disparition, LR en paie le prix fort. Comme le dit le magazine Regards, il y a peut-être eu dans cette histoire un traître, mais il y a eu aussi beaucoup de salauds…

Le patronat disposé à collaborer avec le RN

Il y a toujours eu des liens entre le patronat français et l’extrême droite. Mais depuis la Libération, ces liens étaient cachés ou alors les grands patrons qui affichaient ces fréquentations étaient mis au ban de la confrérie patronale.

Dans le cas des instances patronales, le ton a même longtemps été très acerbe à l’encontre de l’extrême droite. Il suffit pour s’en convaincre de relire la déclaration d’Ernest-Antoine Seillière, à l’époque président du Medef, entre les deux tours de l’élection présidentielle de 2002. C’est une charge très violente contre Jean-Marie Le Pen et son parti : « Le programme présenté aux électeurs par le candidat du Front national dans le domaine économique et social provoquerait une régression économique profonde, une montée forte du chômage, une crise financière sans précédent, une poussée inflationniste, un appauvrissement de tous, des tensions sociales explosives […]. Choisir l’isolationnisme et le protectionnisme conduirait dans un monde où la liberté, l’ouverture et l’échange créent partout la croissance, à un déclin sans précédent, à un décrochage sans retour par rapport aux autres grandes nations. »

"Je suis estomaqué par la résignation des milieux dirigeants face à la possible élection de Marine Le Pen" Alain Minc

Aujourd’hui, rien de tel. L’Association française des entreprises privées (Afep), qui regroupe les plus grandes entreprises françaises, a publié un communiqué indigent dans lequel il n’est pas même fait mention de l’extrême droite : « Le risque majeur est celui du décrochage durable de l’économie française et européenne que les tentations d’isolement international et de fuite en avant budgétaire ne feraient que renforcer. Cette situation compromettrait le maintien de l’emploi et de notre modèle social auquel nous sommes tous attachés. »

Le président du Medef, Patrick Martin, a fait comprendre mezza voce que le véritable ennemi du patronat, c’était beaucoup plus la gauche que l’extrême droite : « Le programme du RN est dangereux pour l’économie française, la croissance et l’emploi, celui du Nouveau Front populaire l’est tout autant, voire plus. » Car, comme Mediapart l’a déjà chroniqué, le patronat s’apprête à collaborer avec le RN en cas de victoire, et des émissaires jouent déjà des intermédiaires pour le convaincre de faire son aggiornamento, « pro-Europe » et « pro-business ». Preuve que les marchés financiers s’arrangent d’une possible victoire de l’extrême droite, la Bourse de Paris a ouvert lundi 1er juillet en nette hausse.

Cette résignation des milieux patronaux face à la montée de l’extrême droite, voire leur complicité, a suscité des alertes qui retiennent l’attention. Dans Le Figaro, Alain Minc, qui fut longtemps l’entremetteur du capitalisme parisien, a ainsi lui-même conseillé aux grands patrons de relire L’Étrange Défaite de Marc Bloch, en usant de cette formule : « Je suis estomaqué par la résignation des milieux dirigeants face à la possible élection de Marine Le Pen. »

Si même lui le dit…

Les dérives de la presse et des médias

C’est peu dire que la presse a connu au cours de ces dernières années une dérive spectaculaire qui a grandement contribué à l’ascension de l’extrême droite.

D’abord, il y a eu l’émergence d’un groupe de presse d’extrême droite, créé par le milliardaire Vincent Bolloré, autour de CNews, du Journal du dimanche ou encore d’Europe 1. Cette émergence aurait été impossible si François Hollande puis Emmanuel Macron n’avaient favorisé l’homme d’affaires, comme Mediapart l’a raconté.

Le résultat est spectaculaire : c’est la première fois depuis la prise de contrôle du Figaro par le parfumeur fasciste François Coty (1874-1934), en 1922, qu’un groupe de presse d’extrême droite peut lourdement peser sur le débat public, avec là encore la complicité d’Emmanuel Macron et de beaucoup de ses proches, qui ont multiplié les entretiens dans tous ces médias.

Il y a eu ainsi des phénomènes de porosité : de nombreux médias ont copié les recettes rances de CNews. Ainsi à BFMTV, une liste d’éditorialistes réactionnaires a été envoyée par la direction aux journalistes chargés de sélectionner les invités, comprenant un ancien communicant du RN et plusieurs journalistes de Valeurs actuelles et du JDD, de sorte qu’ils soient invités plus souvent.

C’est France 2, de 2006 à 2011, avec l’émission « On n’est pas couché », qui a servi de tremplin au chroniqueur raciste et xénophobe Éric Zemmour.

De son côté, Le Figaro est depuis longtemps accommodant avec l’extrême droite. Et nul ne sera surpris que son directeur Alexis Brézet ait appelé à voter pour le camp de Jordan Bardella dans son éditorial, au soir du premier tour de ces élections législatives.

L’audiovisuel public a lui-même été contaminé. On ne peut s’empêcher de se souvenir que c’est France 2, de 2006 à 2011, avec l’émission « On n’est pas couché », qui a servi de tremplin au chroniqueur raciste et xénophobe Éric Zemmour.

Plus généralement, ce sont les principes déontologiques et professionnels de presque toute la presse qui ont changé au cours de ces dernières années, face à l’extrême droite. Car, depuis des lustres, comme l’a rappelé récemment le journaliste Sylvain Bourmeau sur le site AOC, la presse indépendante refusait tout échange avec l’extrême droite, comme le faisait dans son registre Jacques Chirac. Elle avait pour principe éditorial que le FN puis le RN étaient des objets d’enquête, pas des objets de débat.

Mais comme tant d’autres, cette digue a progressivement cédé. Et dans une quête effrénée d’audience, de nombreux médias en sont même venus à penser que Marine Le Pen puis Jordan Bardella étaient de « bons clients », puisque leurs propos, aussi glauques soient-ils, faisaient polémique et alimentaient le buzz.

Un formidable rouleau compresseur médiatique au profit de l’extrême droite s’est ainsi mis en place au fil des ans.

La démocratie en balance

Cette longue liste de lâchetés ou de complicités est loin d’être exhaustive. On pourrait pointer la faillite morale de quelques intellectuels ayant perdu toute boussole, et parfois même tout sens de l’honneur. Mais cette énumération suffit à pointer l’essentiel : « Mal instruit des ressources infinies d’un peuple resté beaucoup plus sain que des leçons empoisonnées ne les avaient inclinés à le croire », beaucoup de « nos chefs » n’ont pas songé un instant ces années récentes à « en appeler à temps à ses réserves profondes ».

En dernière minute, le formidable sursaut du Nouveau Front populaire est venu redorer le tableau. Trop tard ? Espérons que non…

Laurent Mauduit


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