De nos jours le fossé béant entre les technologistes (les techno « écologistes ») et les résersionnaires (les écologistes radicaux, les anti-industriels, anarchoprimitivistes, luddites, néoluddites,...) devient plus évident encore.
Cet antagonisme, cette incompatibilité radicale, dure depuis des millénaires.
Le techno-capitalisme et l’Etat sont raccords avec les divers courants de technologistes, dont certains se prétendent écologistes, tous veulent faire durer la civilisation industrielle, tous obtiennent donc un large écho dans les médias des pouvoirs, ce qui occulte pour le « grand public » l’existence du courant « réversionnaire » et efface le conflit radical entre les deux. Ce qui réduit le débat et l’action à diverses formes de technologismes, effaçant de fait les seules voies permettant de préserver le vivant et l’habitabilité de la Terre.
Les technologistes sont présents partout, obtenant l’oreille attentive des élus avisés et des start up modernes, avec leur encensement des énergies industrielles dites « vertes », de la décarbonation future de l’économie de marché, leur sobriété du système techno-industrielle, leur numérique si indispensable, leur pseudo « transitions » (qui se résume généralement à l’addition de nouvelles énergies aux anciennes pour que la civilisation industrielle puisse continuer à dévorer la planète)
- Deux écologies fondamentalement opposées : les réversionnaires et les technologistes
- Fin 19e siècle, les anarchistes naturiens contre la société industrielle
Voici quelques textes pour creuser ce sujet ô combien important, vital :
Leur écologie et la nôtre : technologistes contre naturiens - Il y a 37 ans, en 1985, le philosophe états-unien Theodore Roszak, célèbre théoricien de la « contre-culture », donnait une présentation à San Francisco, intitulée « Du satori à la Silicon Valley », dans laquelle il soulignait une caractéristique du mouvement écologiste, ou contre-culturel, tel qu’il s’était développé depuis les années 60 : l’existence, en son sein, de deux perspectives antagonistes au sujet de la technologie.
« En contrepoint de ce courant visant un retrait radical, une sorte de réversion, ajoutait ensuite Roszak, nous trouvons la vision technophile de notre destin industriel, un courant de pensée moderne qui remonte à Saint-Simon, Robert Owen et H. G. Wells. Pour ces utopistes industriels, comme pour Buckminster Fuller après eux, le remède aux maux industriels ne se trouve pas dans les choses du passé, mais dans des développements futurs, dans le perfectionnement du processus industriel. Ce qu’il faut, par conséquent, n’est certainement pas une repoussante réversion, mais une persévérance courageuse. Nous devons nous adapter avec ingéniosité à l’industrialisation en tant qu’étape nécessaire de l’évolution sociale, en surveillant et contrôlant minutieusement son procès afin de favoriser ses potentialités salvatrices. Tandis que nous approcherons de la crise qui menacera de virer à la catastrophe, nous devrons saisir les opportunités qui se présenteront et les utiliser en vue de corriger le système de l’intérieur. Afin de nous sortir de la mauvaise passe actuelle, il nous faut continuer sans peur à creuser jusqu’à atteindre la lumière du jour. On reconnaît immédiatement, dans cette vision, la vieille croyance marxiste dans le développement historique. »
- Deux écologies fondamentalement opposées : les réversionnaires et les technologistes
- Achever la civilisation indutrielle au lieu de la faire durer en rénovant ses technologies et en lui ajoutant d’autres énergies
ÉCOLOGIE ET LIBERTÉ
« On le constatera : le choix écologiste est clairement incompatible avec la rationalité capitaliste. Il est aussi incompatible avec le socialisme autoritaire qui, même en l’absence d’une planification centrale de toute l’économie, est le seul qui ait été instauré à ce jour. Le choix écologiste n’est pas incompatible, en revanche, avec le choix socialiste libertaire ou autogestionnaire, mais il ne se confond pas avec lui. Car il se situe à un autre niveau, plus fondamental : celui des présupposés matériels extra-économiques. Ces présupposés sont notamment d’ordre technologique, car la technique n’est pas neutre : elle reflète et détermine le rapport du producteur au produit, du travailleur au travail, de l’individu au groupe et à la société, de l’homme au milieu ; elle est la matrice des rapports de pouvoir, des rapports sociaux de production et de la division hiérarchique des tâches.
Des choix de société n’ont cessé de nous être imposés par le biais de choix techniques. Ces choix techniques sont rarement les seuls possibles. Ce ne sont pas nécessairement les plus efficaces. Car le capitalisme ne développe que les techniques conformes à sa logique et compatibles avec sa domination. Il élimine les techniques qui ne consolideraient pas les rapports sociaux en vigueur, même quand elles sont plus rationnelles au regard des buts à atteindre. Les rapports capitalistes de production et d’échange se sont inscrits dans les technologies que le capitalisme nous lègue.
Sans la lutte pour des technologies différentes, la lutte pour une société différente est vaine : les institutions et les structures de l’État sont, dans une large mesure, déterminées par la nature et le poids des techniques. Le nucléaire par exemple, qu’il soit capitaliste ou socialiste, suppose et impose une société centralisée, hiérarchisée et policière.
L’inversion des outils est une condition fondamentale au changement de société : le développement de la coopération volontaire, l’épanouissement et la souveraineté des communautés et des individus supposent la mise en place d’instruments et de méthodes de production :
◾ utilisables et contrôlables au niveau du quartier ou de la commune ;
◾ générateurs d’une autonomie économique accrue des collectivités locales et régionales ;
◾ non destructeurs du milieu de vie ;
◾ compatibles avec le pouvoir que producteurs et consommateurs associés doivent exercer sur la production et les produits. »
📖 André Gorz, "Écologie et liberté" (1977), extrait reproduit dans l’anthologie intitulée "Leur écologie et la nôtre" (2020, Seuil).
- Deux écologies fondamentalement opposées : les réversionnaires et les technologistes
- Les ouvriers luddites brisaient des machines
sur « Ecoféminisme de subsistance », voir cet extrait d’un livre de Geneviève Pruvost : Penser l’écoféminisme - Féminisme de la subsistance et écoféminisme vernaculaire
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