Aurons-nous un jour le choix dans la date ?
Ce matin, au réveil, ou presque, je me suis regardé dans la glace. Le matin, souvent, je me regarde dans la glace. Je me fais des sourires, je me tire la langue, je prends des airs indignés, ou sérieux, j’étudie comment ça fait un sourcil levé, l’air dubitatif, je me fais des clins d’oeil racoleur, je me drague, je m’approuve, me congratule, me félicite, ou alors je m’engueule, je me jette des regards méprisants, je me toise, me scrute d’un air ironique, furieux, ou condescendant, hautain, malicieux parfois.
On a de ces jeux quand on vit seul, comme un chien, non ?
Non, ça t’arrive jamais à toi ?
Souvent aussi j’apporte une chaise, je me mets devant la glace, et je me regarde vieillir. Je peux passer des journées entières à être là tranquillement assis, sans jugement, à me regarder vieillir. Tiens, qu’est-ce que je vieillis, me dis-je en moi-même. Je constate. Tiens, une cellule est en train de mourir. La peau se dessèche. La ride se creuse. Et ce cheveu, là, il est en train de blanchir.
Si tu te regardes bien dans le miroir, avec suffisamment de patience, tu te vois vieillir. Tiens, je suis en train de vieillir à vue d’oeil me dis-je avec bienveillance. Comme c’est curieux d’être en train de vieillir.
La plupart du temps j’ai remarqué qu’on dit ça de quelqu’un comme d’un fait accompli « Ha, j’ai vu Roger, je ne l’avais pas vu depuis longtemps, il a un pris un coup de vieux, hein, tu trouves pas ? ». Comme un fait accompli, une sorte de cassure. On utilise le passé composé pour parler de ça, ou le passé simple.
Souvent, quand je dis à quelqu’un, « ô toi tu es train de prendre un coup de vieux, là, vraiment tu vieillis à vue d’oeil en ce moment » on me regarde d’un air surpris, comme si je disais des stupidités. Lorsque je dis à mon petit-fils de 14 ans « Hé bin ça alors, qu’est-ce que t’as vieilli depuis hier, toi ! » il me considère longuement comme s’il doutait de ma santé mentale, et j’ai l’impression qu’il se demande s’il ne serait pas temps de m’envoyer à l’asile psychiatrique. Quand je vois ça, je me hâte de dire « je blaguais, je blaguais ! » Je n’ai aucune envie de me retrouver à l’asile psychiatrique tu comprends.
A certains moments, en m’inspectant dans le miroir, je me dis « tiens, c’est déjà hier » ou « tiens, déjà demain ? » Parfois, je me dis « Ha ! il est maintenant, faut que je me dépêche », comme on dirait « il est onze heures vingt-sept et quatorze secondes ». Je suis un guetteur. Je guette quand commence le maintenant.
Maintenant doit bien commencer à un certain moment, et finir à un autre, non ? Maintenant c’est le début de maintenant, parfois me dis-je, ou bien aussi « tiens, maintenant est fini, là, complètement ». C’est surtout le milieu de maintenant qui est difficile à déterminer, surtout quand on veut le déterminer avec précision. Je ne supporte pas l’imprécision.
Pour aider à clairement déterminer le maintenant, le mieux est de se repérer sur le passé et le futur. Le passé commence maintenant. Le futur commence maintenant. Et donc, avec ces deux points de repère du futur et du passé, on voit bien où se situe le maintenant. On peut ainsi définir clairement le milieu de maintenant. Tu me suis ?
Car les questions qui se posent ensuite sont la conséquence de la réponse à la question précédente. D’une part, quand commence le futur ? Est-ce que le futur commence maintenant, tout de suite, ou bien commence-t-il plus tard ? Dans le cas où le futur commencerait plus tard, il est important d’avoir une réponse précise. Commence-t-il demain, après-demain ou bien plus tard encore ? Admettons que nous décidions que le futur commence le 10 mars 2018 à 18h25 et 11 secondes. Quand je serai le 14 mars à 8h25, par exemple, je serai donc dans le futur ? Et en 2025, par exemple encore, je pourrai dire que le 14 mars 2018 est du futur.
De même une réponse exacte est nécessaire pour savoir quand commence le passé. Le passé commence-t-il maintenant ou avant maintenant ? Certains disent que le maintenant n’a ni début, ni fin, ce qui me paraît très dérangeant pour l’esprit, d’imaginer un maintenant qui durerait infiniment. Tu ne trouves pas ?
Imaginons que je décide que le passé commence le 12 ventôse 1497, ça peut agrandir le maintenant (et le maintenant peut encore être agrandi si je décide que le futur commence dimanche 83 mars 2823). Néanmoins Néandertal peut protester et dire : « Je ne vis pas dans le passé, moi, je vis en plein dans le maintenant. Je ne voudrais pas désobliger Néandertal non plus.
Cependant, imaginer un maintenant sans fin signifierait qu’il n’y a plus ni passé, ni futur. Et la logique serait en défaut quelque part, non ?
Voilà qui me ramène à la question de départ : « Avons-nous le choix dans la date ? »
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